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Si vous tapez le mot “Flétan” sur un moteur de recherche, un grand nombre de sites de recettes culinaires vont apparaître vous proposant ce poisson… à toutes les sauces ! Mais avant de finir dans l’assiette, considéré comme le “roi des poissons blancs” par tous les cuisiniers, dans quel milieu survit le Flétan et pour combien d’années encore ? Le “roi des poissons blancs” peut être bientôt déchu si l’on s’attarde sur sa pêche en eaux profondes et sur la qualité des océans.

Sur un étal de poissonnier ou dans son assiette, qui ne connaît pas le Flétan ? En papillotes, au four, pané, à la vapeur, en sushi ou sashimi, présenté en filet le plus souvent, ce poisson semble battre tous les records de nombre de recettes dans lesquelles il est cuisiné. On en fait aussi de la farine de poisson. Grâce à sa taille, qui peut dépasser les 4m, des filets ou des “steaks” sans arête peuvent être facilement prélevés. Les restaurateurs s’accordent à dire qu’il est le “roi des poissons blancs”. Il est en effet recherché car sa chair est réputée tant du point de vue gustatif que nutritif. Un filet de Flétan contient 13,3 % de protéines, 1,7 % d’acides gras , incluant une généreuse dose d’Oméga-3, sans oublier le sélénium. De son foie, on extrait les vitamines D et A pour en faire de l’huile de poisson. Sa réputation “royale” remonte déjà aux années 50.

De l’assiette à l’océan, le Flétan, “roi des poissons blancs”

Illustration d'un des poissons plats, le Flétan de l'Atlantique
Flétan de l’Atlantique – Anne-France Bâche, 2023.

Mais le nom de “Flétan” qui repose dans votre assiette, renvoie-t-il à un seul individu ? Ce poisson, n’est pas en réalité “une” mais “plusieurs” espèces. Il est issu de la famille des Pleuronectidéscelle-ci regroupant près de 750 espèces de pleuronectiformes, étymologiquement, les poissons qui nagent sur le côté ! Premier élément caractéristique. Il appartient ensuite à la sous-famille des Hippoglossinés (du grec hippo = cheval et glossiné = plat). Pourquoi ce lien au “cheval”, le mystère reste entier ! Quant à plat, cela correspond à sa deuxième caractéristique anatomique ! L’origine du nom “Flétan” reste assez obscure : il viendrait du néerlandais “Vleting” ou “vlete“, lui-même dérivé de “flet”. En anglais, le Flétan se prénomme “halibut“, de “hali” ou “haly” qui signifie saint ; la deuxième partie du nom est dérivée du mot néerlandais ou allemand “butte“, qui signifie poisson plat. L’apparition la plus ancienne du nom “flétan” se trouve dans des documents du XIVe siècle. Autrefois considéré comme un poisson spécial , il était consommé seulement les jours saints. 

L’asymétrie, une spécificité du Flétan

Le Flétan est aussi le nom vernaculaire, c’est à dire commun, donné à certains grands poissons osseux plats. Recouvert d’écailles rondes, il a la même physionomie que la Sole, le Carrelet ou la Limande, d’autres poissons plats. Il nage de manière latérale et se camoufle dans les fonds marins.

Un des poissons plats, le Flétan du Pacifique, camouflé au fond de l'océan.
Flétan du Pacifique, camouflé au fond de l’océan. Auteur : Magnus Kjaergaard. CC BY-SA 2.5

Il est facilement reconnaissable à ses deux yeux situés du côté droit (dextre) de la tête en prolongement de son même flanc (caractéristiques dextre ou senestre selon l’espèce des pleuronectidés). Il est donc aveugle du côté gauche. Comme les membres de sa famille, il ne naît pas ainsi. A la naissance, les larves pélagiques sont symétriques et se développent de façon classique. A la fin du stade larvaire, l’animal se métamorphose : son crâne se modifie et l’œil migre vers le flanc. Il rejoint alors les profondeurs. Cette évolution a fait débat pour se clore provisoirement en 2008 après la découverte de fossiles de poissons plats datant de 45 millions d’années. Sur les deux spécimens observés, l’œil n’avait pas complètement migré, témoins d’une très longue évolution. La base des nageoires rayonnées dorsale et anale s’étend sur quasiment toute la longueur du Flétan. Sa queue concave possède une ligne latérale fortement arquée dans la région pectorale. Du blanc au gris pale du flanc droit, il passe sur son flanc gauche du gris vert au brun sombre.

Un “roi” en mauvaise posture face à la palangre et aux filets 

Flétans et pêcheurs
Alaska, 1930 – Auteur : ©Hillsboro – Oregon

Le Flétan est un poisson très présent dans les eaux profondes, de 500 à 1000 mètres. Il se cache aussi dans les sédiments du fond de l’océan. Carnivore, il chasse d’autres poissons, comme la Morue, le Hareng, le Sébaste, l’Aiglefin, le Cabillaud, ainsi que des espèces de poissons vivant dans le sol tels la Raie, la Lingue, le Turbot et également les petits Requins. En hiver, il se nourrit de crevettes en eaux profondes. Lorsqu’il attrape et croque sa proie, la position de sa bouche donne l’impression qu’il mange sur le côté. Ses prédateurs principaux sont l’Épaulard, le Lion de mer et le Requin. Mais son ennemi principal est l’être humain. Celui-ci utilise des chaluts de fond, à perche et des palangres. On “ratisse” de manière large occasionnant un nombre élevé de prises accidentelles de jeunes Flétans. Ces prises compromettent la perpétuation de l’espèce mais aussi des animaux déjà menacés. Avec ces techniques de pêche, le filet traînant au fond cause un désastre écologique sur les fonds marins provoquant la destruction des habitats benthiques, ceux en eaux profondes, et des animaux qui y vivent. Quant à la palangre, cordage sur lequel sont positionnées des lignes plus courtes munies d’hameçons, elle engendre en même temps la disparition d’oiseaux marins ainsi piégés tout comme les requins et les tortues de mer. 

Wanted Flétan : Avis de recherche dans tous les océans 

Fiorello la Garda, maire de New York posant devant un Flétan en 1936 - Library of Congress - New York
Fiorello la Garda, maire de New York posant devant un Flétan en 1936 – Library of Congress – New York

Cette situation n’est pas récente. La pêche au Flétan a commencé en Amérique dès les années 1820 dans la région de Cap Cod et dans la baie du Massachusetts. Puis très demandée, elle a migré vers l’Atlantique nord, en haute mer et depuis les années 1930 dans plusieurs océans du globe.

Le Flétan du Pacifique, Hippoglossus stenolepsis, est capturé sur la côte occidentale du Canada, en Colombie britannique, le long de l’Alaska et de l’Orégon mais aussi au large de l’île japonaise d’Hokkaido. Avec son homologue de l’Atlantique, c’est un des plus grands poissons plats au monde, pouvant peser jusqu’à 300 kg et mesurer jusqu’à 2,70m.

Le Flétan du Pacifique a des cousins tout aussi prisés. C’est notamment celui de l’Atlantique, ou Flétan blanc, qui nage dans les eaux froides de l’Est et du Nord de l’Atlantique. Son nom latin, Hippoglossus hippoglossus, signifie littéralement “langue de cheval”. Avec un corps en forme de losange, il possède une ligne latérale courbée au-dessus de la nageoire pectorale alors que sa nageoire caudale est concave. Ce géant en taille et en poids – il peut atteindre les 4 mètres, fait les choux gras de la presse quand il est capturé tel un trophée. Ainsi, en 1936, le “petit” maire de New York, Fiorello la Garda, fait la une des journaux, prenant la pose auprès d’un Flétan de 136 kg qui le dépasse d’un tiers. 

Flétan noir un des poissons plats
Un Flétan noir avec son oeil sur le front – Iles de la Madeleine – Auteur : ©Mathieu Godbout – 2007

Ces deux espèces de l’Atlantique et du Pacifique, aux caractéristiques proches, possèdent l’appellation officielle de Flétan.

Pourtant, il existe une troisième espèce de Flétan : c’est le Flétan noir commun ou Flétan du Groenland qui leur ressemble. Il possède plusieurs autres appellations : Turbot (à ne pas confondre avec le nom français), Flétan bleu, Petit flétan, Turbot de Terre-Neuve ou Turbot du Groenland. Rheinhardtius hippoglossoides est capturé dans les eaux très froides du Groenland, près des stocks de crevettes du Canada, au nord de la Norvège, en Islande, vers les Îles Britanniques et la Scandinavie.

Sa chair, plus sombre que celle de ses cousins, est aussi plus grasse et plus tendre, recélant un parfum subtil : c’est un met de choix prisé. Il se distingue aussi par ses yeux plus écartés et proéminents. D’ailleurs son œil gauche est situé au bord supérieur du front. Sa ligne latérale est plus droite que le Flétan de l’Atlantique. Il est moins massif et sa taille n’excède pas 1,20m pour un poids maximum de 25kg. 

Une surpêche problématique, une extinction évitée de justesse

Les dimensions impressionnantes selon l’espèce ne doivent pas occulter la menace qui pèse sur lui.

Plus généralement, dans les années 90, les populations de Flétans ont chuté vertigineusement. Même si, les femelles peuvent libérer en profondeur, plusieurs millions d’œufs entre février et mai pendant la période de frai, la croissance du Flétan est lente : les mâles n’arrivent à maturité qu’à partir de la 7ème année, entre 10 et 12 ans pour les femelles, sa taille oscillant alors entre 60cm et 100cm. Sa disparition a failli être définitive entraînant des conséquences dramatiques pour l’écosystème dont il est un maillon essentiel. Les États liés à la pêche au Flétan établissent régulièrement des quotas. 

La surpêche a eu plusieurs conséquences : capturé depuis les années 50 en Allemagne et en Norvège notamment, le Flétan noir a vu sa taille diminuer au cours des deux dernières décennies. Ce poisson est soumis à des quotas de pêche pour tenter d’enrayer son déclin. En 1991, la Norvège a introduit une taille minimale de capture de 45cm. 

Graphique montrant les quantités de poissons pêchés, pour le Flétan noir

La cage et le poison, au royaume sombre du Flétan

Pour le Flétan blanc, devenu rare et inscrit sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, une solution purement commerciale s’est mise en place avec l’aquaculture. La Norvège est le premier producteur au monde de Flétan blanc. Élevé en pleine mer, il est nourri à la farine et à l’huile de poisson, ce qui accroît la pression sur les autres espèces de poissons sauvages. Entassé dans des cages à étages, il reçoit quantité d’antibiotiques et de produits chimiques pour limiter la prolifération des maladies. Mais cette concentration a des conséquences néfastes et polluantes sur l’environnement naturel, sans oublier les eaux usées des systèmes à circulation continue qui se dispersent dans l’océan. Il faut environ 5 années pour élever un Flétan de 5kg.

Plus largement, la consommation de poissons, dont le Flétan, est une source d’inquiétude pour les scientifiques. En effet, avec la hausse des températures sur le pergélisol et le dérèglement climatique, des taux anormalement élevés de méthylmercure dans des Flétans capturés ont été constatés, ce qui accroît à terme leur toxicité pour l’être humain.

Mieux étudié, pour être mieux protégé ? Flamenco, un projet pour le Flétan blanc

A force de surpêche, d’effets collatéraux néfastes sur la chaîne alimentaire, ce poisson est-il en sursis ? Avec la disparition de la Morue, la question s’est posée pour le Flétan blanc. Or, la pêche de ce géant est une des plus lucratives dans la région de Québec et de Saint-Pierre et Miquelon. Juste pour mémoire, rappelons qu’en 2015, la valeur commerciale du Flétan de l’Atlantique a dépassé les 51 millions de dollars au Canada. Cependant cette pêche souffre de l’absence de données concernant la reproduction de l’espèce et donc de son avenir.

Afin d’assurer sa pérennité et par la même occasion les stocks de pêche pour la consommation, les scientifiques se sont intéressés au Flétan blanc, finalement méconnu. Ainsi une collaboration franco-canadienne a vu le jour entre l’Institut maritime de St John’s, l’université de Québec à Rimouski (UQAR-ISMER) et l’université de Bretagne à Brest organisée par l’Association de Recherche et Développement pour la pêche et l’Aquaculture financé par le Réseau Québec Maritime. Menée par le professeur québécois Dominique Robert, elle a été baptisée Projet Flamenco. Et non ! Ce n’est pas l’étude de la danse des poissons… mais les initiales de “FLétan Atlantique : Migration ENergétique et reproduCtiOn”. Initié à l’automne 2018, le projet a débuté par la mise en place d’étiquettes satellites avec l’aide des pêcheurs locaux, sur 10 individus adultes afin de connaître plus en détail leurs habitudes (migration, zone et période de reproduction, régime alimentaire…). Depuis 4 ans, des données ont pu être récupérées. La balise est fixée sous la nageoire dorsale du poisson qui la portera ainsi pendant une année complète. Reliée à un GPS, elle permet d’enregistrer des informations comme la température, la luminosité, la profondeur. Au bout d’une année complète, une partie de la balise se détache. Récupérée par les scientifiques, elle va leur permettre d’exploiter toutes les données collectées et de modéliser toute la trajectoire du poisson. La campagne 2023 a débuté ce premier août.

Gageons que la collaboration scientifiques-pêcheurs pour l’avenir du Flétan blanc, fasse des émules pour d’autres espèces menacées…

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Retrouvez les épisodes de Petit Poisson Deviendra Podcast sur les poissons plats :

  • PPDP S03E03 : Les poissons plats 1/2 : Une vie de traviole
  • PPDP S03E04 : Les poissons plats 2/2 : Le Flétan, un géant de 200 kg

Sources :

Crédits photos : Histoire naturelle, générale et particulière des poissons (1785–1797) by Marcus Elieser Bloch (1723–1799) – photo principale – BNF –

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