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Image de mise en avant a été prise par Patoche Schitter

Le Gypaète barbu, Gypaetus barbatus, pourrait être considéré comme roi des airs en Europe étant le plus grand rapace de ce continent. Et pourtant, c’est lui qui se bat le moins pour avoir sa part de charogne, car il passe derrière tout le monde quand vient l’heure du repas.

Queues du Gypaète barbu
Les différentes formes de queues chez les rapaces diurnes, de Anne-France Bâche

Notre grand rapace fait partie de la famille des Vautours. En France, nous en trouvons 4 espèces distinctes : Vautours fauve, Gyps fulvus ; Vautour moine, Aegypius monachus ; Percnoptère d’Egypte, Neophron percopterus et la star de cet article: le Gypaète barbu. Avec ses 3 m d’envergure, c’est notre Gypaète qui détient les records européens. Facilement reconnaissable avec sa queue cunéiforme, ses mèches de plumes naissant à la base de ses mandibules, forment une barbe qui le rend identifiable au premier coup d’œil !

Chasseur ou Pique-assiette ?

Eh oui !!!! Le Gypaète barbu est un charognard, mais pas n’importe lequel. Nous avons tous l’image des vautours “chauves” grâce à la bande dessinée belge Lucky Luke. Ils sont là, à attendre que les cow-boys meurent pour s’en nourrir. Cela ne donne pas une belle image des vautours. La raison pour laquelle ils sont chauves (en réalité ils ont un petit duvet) est purement pratique. En effet, leur régime alimentaire est composé de charogne en décomposition, pleine de parasites et de bactéries. Ils rentrent leur tête dans le corps mort et la ressortent, le duvet se nettoie donc plus facilement et plus vite que de belles et longues plumes. Cela leur évite d’attraper toutes sortes de maladies,de parasites…. Le Gypaète barbu, lui, ne mange pas la chair des corps en décomposition, mais se nourrit d’os et de ligaments. Du fait qu’il se nourrit après que d’autres charognards aient fait du nettoyage, il peut donc arborer fièrement un très beau plumage sur la tête qui lui donne fière allure . 

Pendant longtemps, le Gypaète barbu était considéré comme l’oiseau de Satan avec ses yeux jaunes contouré de rouge sang. Au XIXe siècle, la population le prenait pour un voleur d’enfants et d’agneaux. Une mauvaise réputation infondée pour notre bel ami aux yeux jaunes. 

Il possède un œsophage plus large que les autres vautours, 70 mm de large, ce qui lui permet d’avaler les os en une fois. Sauf exception pour les très gros os, il n’hésite pas à les lâcher depuis les airs pour qu’ils se fracassent sur un rocher. La taille de son œsophage n’est pas la seule caractéristique liée à son alimentation, il a des sucs digestifs capables de dissoudre les os pour une meilleure digestion. 

Une légende datant de 456 av. JC. lui est dédiée : raffolant des tortues, le Gypaète barbu avait l’habitude de laisser tomber la carapace de ce reptile afin qu’elle se brise car malgré son large oesophage, ça ne passait pas. Apercevant un rocher au loin, le gypaète lâcha sa proie. Malheureusement, ce n’était pas un caillou mais le crâne chauve du poète grec Eschyle. Une mort originale pour ce tragédien-poète qui avait choisi de vivre dehors après une prédiction annonçant qu’une maison lui tomberait dessus : Il fut mortellement assommé par celle d’une tortue.

Il peut arriver en cas de pénurie de cadavre, que le Gypaète attrape des proies vivantes, mais celles-ci restent petites telles que les oisillons dans leur nid.

Drôle de comportement pour un si grand rapace

Gypaète barbu bain de boue
Bain de boue du Gypaète barbu, de Massimo Prati

Sa queue et sa barbe ne sont pas les seuls critères de reconnaissance sur lesquels s’appuyer. Le Gypaète immature possède un plumage brun tirant vers le noir sur tout son corps ainsi que sur ses ailes. Une fois adulte, le plumage s’éclaircit et devient orange. Mais attention !!! Ce n’est pas une pigmentation génétique. Le Parc naturel national des Pyrénées a longuement observé les Gypaètes barbus présents sur site. Le rapace prend des bains de boue dans des sources ferrugineuses, ce qui lui donne cette couleur rouille sur tout le corps. Les études étant récentes, nous ne connaissons pas les raisons de ce comportement. Est-ce par pure coquetterie ou y a-t-il un intérêt bénéfique pour sa santé ? 

Une petite population de Gypaètes barbus vivant en Corse a le corps très clair allant au blanc crème. La raison est simple : il n’y a pas de sources ferrugineuses en Corse pour permettre au Gypaète de prendre son bain sous le soleil.

Gypaète barbu
“Les têtes du Gypaète barbu”, de Anne-France Bâche

Le Gypaète barbu est sensible aux perturbations dues aux activités bruyantes ou aux activités de sports d’hiver. Il va essayer de fuir ces lieux afin de trouver des territoires calmes. Mais les choix sont restreints dans nos massifs montagneux, il peut donc lui arriver de nicher dans des zones d’activités touristiques. J’ai pu l’observer, à 3 reprises, dans les Alpes. Deux des sites étaient en station de ski, un pour la niché et un autre pour se nourrir. Il y avait également des Vautours fauves en compagnie de celui qui se nourrissait. La troisième observation se situait sur un sentier de randonnée qui disparaît lorsque la neige arrive. Une fois la période de reproduction en approche (l’hiver), le Gypaète barbu a l’embarras du choix sur le lieu de la nichée.

Le jeune vautour reste au nid auprès de ses parents, entre 116 et 136 jours. Ensuite, il prend son envol et parcourt les cieux. Il est possible d’apercevoir des Gypaètes barbus hors des montagnes, mais ce sont principalement des immatures qui voyagent avant de rencontrer leur moitié. En juin 2023, un jeune a été observé au-dessus des Monts d’Arrée dans le massif Armoricain dont le point culminant ne dépasse pas les 384 m d’altitude. Une joie pour les Bretons d’avoir vu ce grand rapace de passage.

Une reproduction difficile pour le Gypaète barbu

Les Gypaètes barbus ont une longévité de 40 ans en moyenne. Il deviennent matures sexuellement vers l’âge de 7 ou 8 ans. Il faut donc que notre grand vautour arrive jusqu’à cet âge-là sans rencontrer d’obstacles pour pouvoir se reproduire. Lorsque le Gypaète trouve son âme sœur c’est pour une relation longue et monogame. Le couple possède une aire de répartition qui peut aller jusqu’à 300 km². Une fois en couple, notre barbu devient sédentaire. Sur son territoire, il possède plusieurs “spots” cachés dans la falaise pour établir son nid. Celui-ci accueillera deux œufs en moyenne, mais un seul des oisillons sera élevé car cela demande trop d’énergie au couple d’en élever deux. Ils en pondent deux dans l’espoir qu’un survive. Les adultes défendent leur nid de tout intrus de la même espèce ou non. 

Gypaète barbu juvénile
Gypaète barbu juvénile

J’ai eu l’occasion d’observer une nidification, non loin de mon lieu de travail, signalé par la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). Des vols de parapente et autres engins volants y sont devenus interdits afin de ne pas déranger la couvaison de ce géant des airs. Il a beau être lourd, il profite des courants thermiques pour s’élever dans les airs et finir en planant. Mais attention ! Une Corneille noire en approche ! Son œuf est en danger ! Le Gypaète fait preuve d’une grande agilité pour chasser l’assaillant qui tente coûte que coûte d’atteindre le nid. Je vous rassure, la Corneille noire a fini par abandonner ce jour-là.

Chez le Gypaète barbu, toutes les couvées n’ont pas de “happy-end”, seul 1 couple sur 4 réussi l’élevage de son jeune. Cela augmente encore la difficulté d’avoir une progéniture viable.

Une victime indirecte

Le nombre de Gypaètes barbus est faible mais en nette augmentation en France. En Europe, on dénombre entre 225 et 250 couples, et en France hexagonale, nous en comptons environ 150 couples répartis principalement dans les Pyrénées. En 1995, le nombre de couples dans ce massif était de 61, et a augmenté pour atteindre 101 en 2002. Une très belle évolution en seulement 7 ans. Dans les Alpes, le Gypaète barbu a été réintroduit depuis 1986 avec succès. En 2004, cette chaîne de montagnes compte 16 couples dont 8 nichées. Ce bel oiseau est bien rare.

Gypaète barbu
Gypaète barbu adulte, de Patoche Schwitter

Même si les populations de ce rapace connaissent une belle évolution, il est victime de nombreux empoisonnements dont il n’est pas la cible d’origine. 52% des Gypaètes retrouvés morts dans les Pyrénées sont empoisonnés. Étant charognard, le Gypaète barbu finit les restes de cadavres qu’ils soient sauvages ou d’élevages. Le poison, qui leur est fatal, se trouve dans les cadavres pour viser le Loup gris, Lupus lupus, le Lynx boréal, Lynx lynx et l’Aigle royal, Aquila chrysaetos. Étant des espèces protégées, il s’agit donc de braconnage par empoisonnement visant des prédateurs sauvages en “concurrence” avec les chasseurs.

Le braconnage n’est pas la seule cause de mortalité, il est aussi souvent victime de collisions. Cependant, les voitures ne sont pas son principal ennemi. Le Gypaète barbu étant dans le ciel, les éoliennes s’avèrent être le véritable danger. Un cas récent a permis une mise en lumière de ce véritable problème. Un jeune Gypaète, nommé Roc, a été retrouvé au Pays-Bas percuté par une éolienne après deux ans seulement de réintroduction. Ce n’est malheureusement pas le premier cas.. 

Ils leur arrivent aussi de finir électrocutés par les câbles électriques qui se suspendent le long des routes, qui traversent nos champs et nos montagnes. Pour le Gypaète barbu qui n’a pas de prédateur, l’être humain, avec toutes ses infrastructures, est le véritable danger !

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Pour écouter les épisodes sur le Gypaète barbu dans BSG et Nomen :

  • NOMENS03E18 : Le Gypaète barbu, barbu certes, mais pas voleur d’agneaux …
  • BSGS04E38 : Les vautours européens 1/5
  • BSGS04E39 : Les vautours européens 2/5
  • BSGS04E40 : Les vautours européens 3/5
  • BSGS04E41 : Les vautours européens 4/5
  • BSGS04E42 : Les vautours européens 5/5

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Bibliographie

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