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Les mécanismes mis en œuvre par le vivant pour se nourrir, s’orienter, se reproduire, relèvent bien souvent d’une technologie de pointe, enviée et copiée par bon nombre d’ingénieurs. C’est le biomimétisme. Écholocation, phéromones, ultrasons… Les animaux et végétaux ont à leur disposition un équipement qui dépasse de loin nos 5 sens. Aujourd’hui, c’est un organe discret, quoique perceptible à l’œil nu, qui attire notre attention: la ligne latérale des poissons.

schéma de la ligne latérale
Schéma des éléments de la ligne latérale ©BT

 Avez-vous déjà observé le ballet hypnotisant d’un banc de poissons tentant d’échapper à un prédateur ? Une synchronisation parfaite, sans accroc. Leur secret ? Parmi leur équipement sensoriel, les poissons possèdent un système d’une redoutable efficacité: le système acoustico-latéral, composé de l’oreille interne et de la ligne latérale.

Contrairement à l’oreille interne, bien à l’abri dans la boîte crânienne, le système latéral est en permanence exposé au milieu ambiant. Comme son nom l’indique, la ligne latérale est un organe sensoriel en forme de ligne, parfois discontinue, présent sur les deux flancs des poissons.

Chez certains poissons comme les Truites ou les Saumons, cette ligne est très marquée et facilement identifiable. Très proche de notre système auditif, elle en est certainement l’ancêtre évolutif. On retrouve des organes analogues à la ligne latérale chez quelques amphibiens et têtards.

La ligne latérale est composée d’un ensemble de petits organes dont la disposition et le nombre sont spécifiques à chaque espèce. Ces organes, les neuromastes, sont répartis en un groupe superficiel et un groupe canalaire. Tous les neuromastes sont composés de cellules ciliées, d’une cupule, de cellules supports et sont innervés par des neurones sensoriels spécialisés dans la transmission des sens. Les cellules ciliées, extrêmement sensibles (comme celles du système auditif) vont réagir aux vibrations de l’eau et sont à l’origine de l’information. Ensuite les neurones sensoriels transmettent le message nerveux au cerveau (plus précisément dans le rhombencéphale composé du pont, du cervelet et du bulbe rachidien) afin qu’il y soit traité.

Mise en surbrillance des neuromastes et de la ligne latérale chez 3 poissons: le danio, le Tetra aveugle et l'ancistrus
Les neuromastes plus nombreux chez le Tétra aveugle (fig.B) ©Alain Ghysen

En simplifiant, le mécanisme du système latéral pourrait être décrit comme la détection de vibrations par des cellules sensitives, transmises au cerveau afin d’analyser l’environnement direct du poisson pour chasser, fuir, migrer ou se déplacer en banc de manière efficiente.

Chez les poissons aveugles, le rôle de la ligne latérale est fondamental pour la survie. Ainsi le Tétra mexicain ou Tétra aveugle (Astynax mexicanus) possède un nombre de neuromastes plus important que ses cousins pourvus d’yeux.

Les cils sont plus longs et leur agencement dans les canaux semble spécifique à l’espèce. Ces modifications augmenteraient donc l’efficacité du système latéral, fortement sollicité chez les poissons dont la vue est déficiente.

Un organe discret pour un 6e sens puissant !

Souvent comparée à un 6ème sens, la ligne latérale permet aux poissons de détecter les mouvements ou les changements dans l’écoulement de l’eau autour d’eux.

mise en évidence par scintigraphie de la ligne latérale et des neuromastes
Mise en évidence des neuromaste superficiels par scintigraphie chez une Épinoche.

Les neuromastes superficiels (disposés directement à la surface de la peau) agissent comme des détecteurs de vitesse alors que les neuromastes canalaires (qui se trouvent dans le canal de la ligne latérale) fonctionnent plus comme des détecteurs de pression.

La ligne latérale détecte donc les vibrations, les changements de pression et les mouvements d’eau d’origine biotique (provenant d’une source vivante) et abiotique (provenant d’une source non vivante), aussi bien à la surface de l’eau qu’entre deux eaux.


Un insecte tombé dans l’eau produit des ondes de surface qu’un poisson identifie immédiatement s’il est à proximité. La ligne latérale est suffisamment précise pour permettre de déterminer la vitesse, la direction et la taille d’une proie ou d’un prédateur grâce à son empreinte hydrodynamique. 

Brochet de profil
Le Brochet se laisse glisser afin de couvrir ses traces hydrodynamiques ! ©Dirk Godlinskicommons.wikimedia.org

S’engage alors une course à l’armement entre proie et prédateur. Face à un détecteur ultrasensible, la furtivité se doit d’être exceptionnelle ! Le Brochet par exemple, perturbe ses propres empreintes hydrodynamiques du fait de sa longueur et de sa forme de torpille.

Il se déplace par de courtes accélérations puis il se laisse glisser à proximité de sa proie avant de lancer une attaque éclair quasi inévitable!

De même certaines espèces planctophages semblent avoir une ligne latérale à la sensibilité exacerbée puisqu’elles détectent des fréquences de quelques Hertz seulement. Tout aussi impressionnant, certains prédateurs arrivent à détecter le courant produit par le siphon des mollusques !

La ligne latérale : le “toucher à distance

Banc de poisson se déplaçant grâce à la ligne latérale
Banc de Pêche-cavale ©SteveD.

Ce système sensitif ultra perfectionné n’est cependant efficace qu’à courte distance, de quelques millimètres à quelques dizaines de centimètres. Cette distance de détection est largement suffisante pour permettre la nage en banc des Harengs, Anchois ou Sardines par exemple.

Ce comportement, assez répandu, possède deux avantages majeurs : la réduction de la prédation et la facilitation de la recherche de nourriture. Il est donc important pour les poissons d’arriver à évoluer en bancs compacts, denses et cohérents.

C’est là qu’intervient une fois encore la ligne latérale. Si pour se regrouper les poissons utilisent essentiellement la vue, la ligne latérale leur permet de garder une distance interindividuelle minimale et constante, un peu comme une force répulsive. La sensation de ce “toucher à distance” permet ainsi à des millions d’individus de réaliser des déplacements synchronisés à grande vitesse sans qu’il y ait de collisions.

Aujourd’hui, des études sont en cours afin de comprendre le rôle précis de la ligne latérale lors des migrations saisonnières de certains poissons. La découverte de cristaux de magnétite dans la ligne latérale des Saumons conforte l’hypothèse que cet organe leur permettrait de se localiser dans l’océan et de retrouver leur rivière de naissance grâce au champ magnétique terrestre. En effet il s’agit d’un minéral sensible au champ magnétique terrestre et pouvant être biosynthétisé par certaines espèces du vivant , on le retrouve chez des oiseaux migrateurs, des amphibiens et des cétacés.

Exposée de manière constante aux éléments, la ligne latérale semble avoir subi de nombreuses évolutions afin de s’adapter aux différents environnements hydrodynamiques. Une étude sur la morphologie de la ligne latérale des Chabots montre qu’en fonction de la puissance des courants, la configuration des canaux, le nombre et le placement des neuromastes superficiels est significativement modifié afin que le système reste pertinent.

Aujourd’hui la ligne latérale n’a pas encore livré tous ses secrets. Mais elle apparaît comme un “super-organe” tirant profit de la densité du milieu aqueux et capable de s’adapter.

La question est désormais de savoir si cette adaptation arrivera à suivre la vitesse des changements environnementaux causés par l’être humain et qui impactent de manière durable mers, fleuves et rivières.

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Sources :

  • Quelques aspects du développement de la ligne latérale du poisson zèbre, Danio rerio (Hamilton, 1822), (Actinopterygii, Cyprinidae), par Nicolas GOMPEL
  • Abdel-Latif, H., Hassan, E. S. and von Campenhausen, C. (1990). Sensory performance of blind mexican cave fish after destruction of the canal neuromasts. Naturwissenschaften 77, 237–239.
  • Mogdans, J. Sensory ecology of the fish lateral-line system: Morphological and physiological adaptations for the perception of hydrodynamic stimuli. J Fish Biol. 2018; 95: 53– 72
  • Dijkgraaf S. The mechanosensory lateral line: neurobiology and evolution. In: Coombs S, Munz H, Gorner P, eds. Neurobiology and evolution of the lateral line system. New York: Springer Verlag, 1989 : 7–14
  • Journal de la Société de Biologie, 198 (2), 153-155 (2004)
    Imagerie et développement de la ligne latérale chez le Poisson-zèbre
    par Christine Dambly-Chaudière

Pour écouter l’épisode de PPDP sur la ligne latérale :

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Bannière Baleine sous gravillon , paysage de glace

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