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Sardine : petit poisson sans tête qui vit dans l’huile”. Cette définition grinçante empruntée à l’humoriste Léo Campion reflète bien le rapport que nous avons avec ce petit poisson argenté. Comme de nombreux animaux marins, la Sardine n’est perçue qu’en stock, banc, masse, produit de consommation avant même d’être reconnue comme un animal singulier avec ses mœurs et sa biologie bien particulière. Zoom sur un poisson témoin de la révolution industrielle et emblématique de la production intensive.

Le nom de la Sardine vient… de la Sardaigne. Tout simplement car ce poisson y était très abondant. La Sardine (Sardina pilchardus) est aussi connue sous le nom “sarda”, “pilchard” ou encore “sardinyola”. Avec ses flancs argentés et son dos vert ou bleu irisé, elle dépasse rarement les 20 cm de long. Elle aurait donc le plus grand mal à boucher l’entrée du port de Marseille, contrairement à la frégate du secrétaire d’État Antoine de Sartine!

Le 19 mai 1780, après avoir été bombardé par erreur par les Anglais, le navire s’échoue devant la cité Phocéenne. Plus de 240 ans plus tard, le bouche-à-oreille ayant fait son travail, l’expression “c’est la sardine qui a bouché le port de Marseille” est toujours utilisée pour dépeindre un récit exagéré.

Outre cette expression amusante, la Sardine est bien présente dans le langage populaire. Que ce soit aux heures de pointes dans le métro parisien ou dans les foules compactes des concerts, qui n’a pas un jour ressenti le fait d’être “serrés comme des Sardines?” Cette expression très imagée est assez récente: la “boîte de Sardines” n’est apparue qu’au début du 19ème siècle. L’expression s’est donc substituée à celle plus ancienne “être serrés comme des Harengs” qui étaient salés puis empilés dans des caques (sorte de tonneaux en bois) de manière à ce qu’il ne reste aucun espace entre les poissons .

Banc de sardines
©Tanaka Juuyuo

Poisson pélagique (comme le Hareng, l’Anchois, le Maquereau ou le Thon qui vivent dans les eaux proches de la surface ou entre la surface et le fond), la Sardine évolue en bancs très compacts pouvant atteindre des centaines de millions d’individus!

Présente dans presque tout l’Atlantique nord, de l’Irlande jusqu’aux Açores, et entre les côtes Atlantique marocaine et européenne, ainsi qu’en Méditerranée, la Sardine fait partie des poissons pélagiques les plus pêchés après l’Anchois.

La surpêche dont elle est victime dans toutes ses aires de répartition contribuerait à l’extension des zones marines mortes (environnements déficitaires en oxygène dissous où les poissons meurent asphyxiés). Cette surpêche a un impact réel sur les réseaux trophiques (ensembles de chaînes alimentaires reliées entre elles) et les écosystèmes.

Chaque année, lors du frai, la Sardine migre et se rapproche des côtes. La Sardine du Pacifique, Sardinops sagax, effectue, entre mai et juillet, près des côtes méridionales de l’Afrique, un des exodes les plus spectaculaires du règne animal! Parmi les plus importantes (en nombre d’individus) jamais observées, cette migration rassemble des milliards de spécimens dans des bancs mesurant jusqu’à 7 km de long, 1,5 km de large et 30 m de hauteur! Une telle masse de poissons ne passe pas inaperçue. Dauphins, Requins, Baleines, Otaries, Thons, Bonites, Marlins, Espadons et… pêcheurs sont au rendez-vous pour ce festin providentiel! La concentration de Sardines atteint une telle ampleur que ces prédateurs entrent dans une frénésie alimentaire. Ils en arrivent parfois à se mordre les uns les autres!

Face à la menace, les Sardines s’organisent. Elles serrent les rangs et forment une sphère compacte, le fish ball, d’un diamètre de 10 ou 20 m, où les plus jeunes sont réfugiés au centre. Le but des prédateurs: désorganiser le banc afin que les Sardines s’éparpillent! Mais nager vers la surface ne leur apportera pas le salut: les Fous du cap et autres oiseaux pêcheurs sont eux aussi venus profiter de cette manne. Ce phénomène grandiose, tant par son ampleur que par la richesse d’espèces qu’il concentre, est devenu le rendez-vous des plongeurs du monde entier qui assistent émerveillés à ce sardine run.

La Sardine: du banc…

Aquarelle représentant des pêcheurs à la sardine posant leur filet depuis une barque
Christophe-Paul de Robien : Pesche de la sardine (dessin aquarellé sur papier, 1756)

Pêchée dès la Préhistoire, avec de simples hameçons, ou encerclée avec une sorte de palissade en bois lorsque les bancs approchaient du rivage lors du frai (au printemps), la Sardine ne subit pas encore une réelle pression. Durant l’Antiquité, la pêche de ce petit Clupéidé est largement répandue, que ce soit pour la préparation du Garos en Grèce et de Garum dans l’empire Romain (condiment composé de chairs ou de viscères de poisson salés et fermentés) ou pour nourrir les légions romaines.

En France, durant le Moyen-Age, la pêche à la Sardine n’est que peu documentée mais la monarchie s’intéresse à la pêche en mer puisque le recueil des lois, établi par Isambert, De Crusy, Jourdan et Taillandier mentionne l’existence d’un règlement royal du 10 mars 1358 organisant “la pêche du poisson de mer” . Deux siècles plus tard, l’édit de mars 1584 pose les règles concernant les filets. La pêche à la Sardine devient un élément économique déterminant et on souhaite mettre un terme à certains abus des pêcheurs. Il faut attendre l’ordonnance de la marine de 1681 pour voir arriver une véritable législation de la pêche. À ces textes émanant de la monarchie, s’ajoutent des mesures locales car des régions entières dépendent de la Sardine. Ainsi à la fin du 18ème  siècle, ce sont plus de 15.000 personnes en Bretagne qui pêchent, traitent ou commercialisent ce petit poisson argenté.

La réglementation de la pêche dépend donc de différents organes qui ont les mêmes préoccupations. En premier lieu, la protection des fonds marins: favoriser le renouvellement des espèces est une réelle préoccupation. Ainsi la pêche du frai de poisson est interdite par la déclaration du 23 avril 1726, et concerne “tous les petits poissons nouvellement éclos, et qui n’auront pas trois pouces de longueur au moins entre l’œil et la queue“. Dans un second temps, il s’agit de protéger le consommateur.

Au début du 20ème siècle une pénurie de Sardines en France entraîne de la contrebande de poissons venus d’Espagne et questionne sur l’utilisation des sennes (des filets rectangulaires utilisés en surface pour encercler des bancs de poissons) et sur les techniques de pêche en général. En effet durant des siècles, la technique n’a que très peu évolué et au début du XXe siècle, on pêche toujours la Sardine comme en 1500.

Aujourd’hui encore, on applique des mesures contraignant à respecter une taille de pêche minimale (11 cm) et la taille des mailles des engins de pêche est réglementée. Étonnamment, la Sardine n’est pas soumise à des quotas. Si des limitations du nombre de licences existent, c’est avant tout pour limiter la baisse des cours qui serait préjudiciable à la rentabilité de cette activité.

…à la boîte !

« Les sardinières à l’usine » vers 1930.
© Archives de la Conserverie Le Gall.

Mais comment la Sardine est-elle passée d’un poisson mésestimé à met de luxe destiné aux tables des élites au 19ème siècle puis à produit de dépannage au 20ème ?

Conjointement, évolutions technologiques, préoccupations sanitaires, besoins militaires et changements dans le monde du travail ont propulsé la Sardine, petit poisson parfois boudé en raison de ses arêtes, au cœur de l’économie française.

Dès 1723, Jacques Savary des Brûlons, dans son Dictionnaire Universel du commerce, mentionne ce que l’on peut considérer comme l’ancêtre de la Sardine en boîte : « que l’on met en sausse dans de petites boêtes ou barils que l’on appelle sardines confites ». Mais il faut attendre 1822 et une campagne sardinière miraculeuse pour que le questionnement de la conservation et de l’écoulement du poisson entraîne une vraie réflexion. Il faut rendre le produit attrayant : grillée et conservée dans de l’huile, la Sardine devient un produit raffiné et cher. La réinvention en 1852 de l’autoclave (le principe date du 17ème, la chaleur associée à l’humidité provoque la destruction des germes et permet une stérilisation efficace) est une révolution, les Sardines passent d’une production artisanale à industrielle.

Dans les années 1850, 25 conserveries produisent environs 3 millions de boîtes , en 1876 on en compte 150 produisant 56 millions de boîtes par an! La France devient le plus grand producteur de Sardines et 75 à 85 % des boîtes sont destinées aux marchés étrangers, aux grandes villes ou aux terres de colonisation. Fait notable, témoignant d’un changement dans le monde du travail, sur les 14.000 emplois crées par ces usines, plus de 13.000 sont occupés par des femmes !

Boîte de sardines d'origine française mais avec marquages bilingues pour les troupes alliées, datant de la Grande Guerre. Découverte à Marcilly-sur-Tille (Côte-d'Or), 2011.
Boîte de sardines française avec marquages bilingues pour les troupes alliées, datant de la Grande Guerre. © Denis Gliksman inrap

Produit fin, la sardine à l’huile est un met de luxe que l’on retrouve sur les tables des diplomates. Parallèlement, la bourgeoisie invente de nouveaux usages pour sortir de son quotidien. Se développe alors le “déjeuner sur l’herbe” qui impose un nouvel art de la table et de nouvelles habitudes alimentaires… La boîte de conserve s’avère être le produit idéal ! La facilité de transport et de conservation de la boîte de Sardines en feront aussi un indispensable de la ration du soldat.

En France au début du 19ème, le Ministère de la Marine développe l’hygiène navale afin de mettre fin aux épidémies de scorbut. On recherche l’aliment complet qui permettra aux marins de vivre en mer sans souffrir de carences alimentaires. La boîte de conserve, et la Sardine en particulier, est décrite comme un produit miracle entrant  désormais dans la ration du soldat. Les milliers d’appelés, de 1870 jusqu’ à la guerre d’Algérie, ont ramené avec eux leurs habitudes de consommation. Dès lors, la Sardine a conquis tous les milieux sociaux, tantôt  met de choix lorsqu’elle est millésimée, tantôt repas des plus démunis puisqu’elle peut être consommée à même la boîte sans aucune préparation…

La Sardine est un animal très représentatif des conséquences de la surpêche. En effet, ces 20 dernières années, sa biomasse a connu un véritable effondrement et on considère que celle-ci a été divisée par trois. Il est donc urgent d’adopter une approche globale afin de préserver ces poissons, leur habitat et d’entamer une réelle réflexion sur notre perception du vivant considéré comme un stock que l’on consomme jusqu’à l’épuisement.

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Retrouvez l’épisode de Nomen sur la Sardine: https://app.ausha.co/app/show/51719/episodes/1859320

Pour en apprendre plus sur d’autres poissons victimes de la surpêche:

https://app.ausha.co/app/show/51719/episodes/preview/1859233

https://app.ausha.co/app/show/51719/episodes/preview/1859293


Sources:

  • Denis Binet, Anna Trespeuch-Berthelot, Françoise Passera. L’épuisement des mers : une histoire
    universelle de la surpêche. 2020. hal-03537735.
  • J.M. Becet, D. Le Morvan, op. cit., p. 289, 292. Arrêt du Parlement de Bretagne du 17 juillet 1786, A.D.I.-V., 1Bf 1599.
  • Histoire des engins et techniques de pêche par Jean-Paul Beucher, avec la collaboration de Patricia Barthélémy,Gérard Deschamps, Isabelle Péronnet et Erwan Duhamel .
  • Isambert, De Crusy, Jourdan et Taillandier, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, 29 volumes, Paris, 1821-1833, T. V, p. 55.
  • La réglementation de la pêche côtière sous l’Ancien Régime, aux origines de notre législation,Romain Bareau
  • Entre terre et mer : le territoire des pêcheurs préhistoriques égéens January 2011 Tatiana Theodoropoulou.
banniere baleine sous gravillon

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