L’Arénicole : le ver qui donne son sang

L’Arénicole est un ver marin de couleur rouge, qui peut survivre plusieurs heures en apnée en attendant que la marée remonte… Son sang a la capacité de capter 40 fois plus d’oxygène que le sang humain. De plus, son hémoglobine – molécule qui transporte l’oxygène – est libre dans le sang, et non dans des globules rouges. Cette propriété la rend très intéressante pour les dons d’organes et fait l’objet de recherches en biotechnologies.

Caché dans le sable vit un ver rouge, sans yeux et avec une trompe… Ce Ver marin dont le nom scientifique est Arenicola marina est commun sur les plages de sable de l’Atlantique. En même temps tout est dans son nom qui signifie littéralement “qui habite dans le sable” (arena = sable en latin). En creusant un tunnel en forme de U pour se nourrir et s’enfouir, l’Arénicole rejette du sable. Le sable accumulé créé un tas de la forme d’un vers appelé turricule mais régulièrement qualifié de “caca”. En réalité, c’est du sable pur, nettoyé de la matière organique dont l’Arénicole s’est nourri ! Les pêcheurs utilisent beaucoup ce Ver comme appât, car ses turricules permettent de le repérer simplement.

Vivant sur la côte allant du Portugal à l’Irlande, il peut représenter jusqu’à un tiers de la biomasse des plages de sable fin et vaseux. Il peut y avoir plus d’une centaine d’individus au mètre carré ! Long d’une dizaine de centimètre et de couleur rouge foncé, son corps se compose de 3 parties : l’avant (tête et thorax), l’abdomen et la queue. Sur sa tête, l’Arénicole n’a pas d’yeux. Son abdomen porte des branchies arborescentes externes, de couleur rouge vif. Pour couronner cette description qui n’a ni queue ni tête : sa bouche, dépourvue de dents, se situe à l’extrémité d’une trompe molle dévaginable. Cela signifie que la trompe est déployée lorsque l’Arénicole s’alimente et cachée dans le thorax le reste du temps.

Annélide poly-quoi ?

L’Arénicole appartient à un grand taxon, la classe des Annélides Polychètes. Ce taxon comprend les espèces de Vers qui ont de nombreuses soies, de petits filaments de chitine ressemblant à des poils. Les Vers avec très peu de soies sont dans la classe des Oligochètes (Lombric), et ceux n’en ayant pas sont des Achètes (Sangsues). Avec plus 12 000 espèces, la classe des Polychètes est loin devant les deux autres, et ses espèces sont essentiellement marines (2% vivent en eaux douces). D’ailleurs on distingue 2 types de Polychètes, selon leur capacité de mouvement : les Errantia qui se déplacent et les Sedentaria. Ces derniers se déplacent peu et vivent généralement dans un tube qu’ils construisent, ils sont tubicoles. Leur manière de s’alimenter est couplée à leur capacité de se déplacer. Les Errantia sont des prédateurs qui attrapent leurs proies grâce à leur agilité. Par opposition, les Sedentaria se nourrissent en filtrant de l’eau ou en ingérant du sable pour collecter la matière organique agglutinée entre les grains de sable.

L’Arénicole fait partie de cette seconde catégorie, le sable est son garde-manger, on dit qu’il est psammivore. Les Vers vivant dans le sable participent à ramener vers le haut de la matière enfouie, c’est la bioturbation. De plus, de nombreux oiseaux du rivage se nourrissent de ces Vers à marée basse, c’est un maillon essentiel de la chaînte trophique des plages. En effet, à cause de sa lenteur, l’Arénicole ne peut suivre le rythme des marées pour rester dans l’eau. Il doit donc survivre presque sans respirer pendant que la mer est basse, parfois durant plus de 6 heures. C’est en s’intéressant à ces capacités qui rendraient jaloux les meilleurs apnéistes que le Dr Franck Zal, chercheur au CNRS, a découvert les propriétés étonnantes de son sang.

L’Arénicole, ver au sang merveilleux

L’hémoglobine – molécule qui transporte le dioxygène (O₂) dans le sang – des Arénicoles est capable de fixer 40 fois plus d’O₂ que celle des humains… En plus, cet animal fascinant est prémuni des AVC ou accidents dus à un rétrécissement des artères. C’est parce que leur fameuse hémoglobine est de très petite taille. De quoi faire rêver la médecine actuelle. C’est pourquoi la start-up bretonne Hemarina travaille sur des applications médicales comme la préservation des greffons en chirurgie ou des pansements contre la gangrène. Enfin, l’ajout de molécules issues du sang d’Arénicole dans le liquide préservant les greffons permet d’augmenter considérablement la durée de préservation des organes avant transplantation. 

Au 1er janvier 2023, il y avait 10 810 patients en liste d’attente active (immédiatement éligibles à une greffe d’organe). Par ailleurs, en 2022, ce sont près de 5500 greffes qui ont été réalisées. Malheureusement, entre 500 et 600 personnes décèdent chaque année faute de recevoir un tel greffon. La possibilité de conserver des organes plus longtemps pourrait révolutionner l’attente actuelle.

Les curiosités des Annélides polychètes

Si vous creusez dans le sable afin d’observer des Arénicoles, sachez que c’est loin d’être le seul Ver sur lequel vous pourriez tomber ! D’autres sont par ailleurs très étonnants, de couleur verte, très rapides et portant de longs tentacules, déployés comme un parasol… Plus globalement, voici quelques espèces remarquables d’Annélides polychètes et autres vers :

• Les Sabellida sont des Vers tubicoles (ils vivent dans un tube) et leur tête porte une multitude de tentacules. Ceux-ci sont déployés de manière circulaire dans l’eau, comme un éventail et servent à capter des particules dans l’eau. C’est ainsi que ces vers s’alimentent. Si l’on s’en approche brusquement, ce délicat parasol se rétracte immédiatement et se dissimule dans leur tube. Le reste du corps étant en permanence caché dans ce tube. Le Ver Sapin de Noël est une petite espèce de Sabellida qui vit dans les coraux. Cette espèce aurait inspiré James Cameron pour imaginer les “Helicoradian”, plantes fantastiques du film Avatar 1.
• Le Ver maçon (Lanice conchilega) qui est aussi un Ver tubicole. Sa particularité est de construire ce tube à partir de grains de sable et de fragments de coquillages.
• Le Ver de Roscoff, qui n’est pas un Polychète mais un petit ver, commun sur les plages de l’Atlantique. Il est vert et effectue la photosynthèse. Symsagittifera roscoffensis de son nom scientifique vit en symbiose avec des micro-algues vertes. Celles-ci, abritées à l’intérieur du corps du Ver, sont photosynthétiques et procurent donc au ver de la nourriture. Nous décrivons cette relation symbiotique dans un autre épisode de Petit Poisson Deviendra Podcast.
• Enfin, on ne le trouve pas sur le rivage de la métropole mais le Ver Palolo reste remarquable. Le cycle de la Lune rythme sa vie, à l’instar de plusieurs espèces de coraux et d’insectes (cécidomyie intertidale). En effet, sa reproduction a lieu à un moment extrêmement précis, lors du 3ème quart de Lune d’octobre et novembre. Pour libérer ses spermatozoïdes et œufs, ce Ver s’autotomise : la partie de son corps contenant les cellules reproductrices se détache naturellement. Le reste du corps, dont la tête, reste dans le milieu de vie de ce ver, c’est-à-dire dans des coraux. A Samoa, en Polynésie, une tradition est de récolter et manger la partie reproductrice de ce Ver.

Enfin, si l’on rencontre ces Vers sur les plages, on peut également en voir sur grand écran, citons le monstrueux Shai Hulud, immense ver des sables dans Dune, roman de Franck Herbert. Décrit comme un “annélide” qui serait terrestre et il rappelle certaines caractéristiques des polychètes. Si les Vers ont moins de potentiel charismatique que d’autres animaux marins comme les Baleines, ce n’est pas parce qu’ils manquent de spécificités intriguantes.

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Pour écouter les épisodes avec Michel Hignette sur l’Arénicole :

• S01E41 L’Arénicole un champion d’apnée très inspirant
• S01E42 Son hémoglobine miraculeuse pour les greffes, le diabète et tant d’autres usages médicaux.

Sources : 

• Image principale : Dessin issu du livre A monograph of the British marine annelids, The Ray society, 1873-1923 consulté sur le site de la Biodiversity Heritage Library.
• Mosaïque d’Annélides polychètes : Sabella spallanzanii © Jordi Regas sur Club d’Immersio Biologica ; Image issue du film Avatar 1 ; Spirobranchus giganteus – Red and white Christmas tree worm © Nick Hobgood (CC BY-SA 3.0) ; Ver Maçon sur le site de Essex Wildlife Trust ; Ver de Roscoff © David Busti sur le site de l’ENS de Lyon, Ver Palolo ; © Jacques Six sur Britannica.

• https://doris.ffessm.fr/Especes/Arenicola-marina-Arenicole-577
• https://www.hemarina.com/
• https://www.britannica.com/animal/palolo-worm

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