Cette interview de Paul Watson, le mythique fondateur de Sea Shepherd a été réalisée en anglais pour le podcast Demain n’attend pas, et rediffusée dans Combats. Nous proposons ici la retranscription complète en français. Voici la 3e partie de l’entretien consacrée aux médias et aux rapports avec les gouvernements du monde entier.
Delphine Darmon : Vos actions vous ont mené très loin, vous avez accompli beaucoup de choses. Avec le recul, y a-t-il quelque chose que vous auriez fait différemment ?
Paul Watson : Au début des années soixante-dix, ma spécialité à l’université était la communication, je voulais tout comprendre de son fonctionnement. J’ai toujours dit que l’arme la plus puissante de la planète était la caméra. J’ai donc vite réalisé qu’il y a quatre éléments clés dans les médias : le sexe, le scandale, la violence et la célébrité.
Toutes les bonnes histoires comportent un ou plusieurs de ces éléments. Et si ce n’est pas le cas, il n’y a pas vraiment d’histoire. Si les 4 éléments sont réunis, vous avez une super histoire qui fonctionnera dans le temps.
Par exemple, en 1986, j’ai mené une campagne pour mettre fin à l’abattage des loups dans le nord de la Colombie-Britannique et dans le Yukon. Il y avait la violence des chasseurs qui abattaient les loups, et la violence des chasseurs qui menaçaient de nous abattre, nous! Il y avait le scandale d’un ministre de l’environnement ayant accepté un pot-de-vin d’une organisation de chasseurs. Donc pour compléter tout ça, j’ai recruté Bo Derek (NDLR, actrice et productrice Américaine, ancien modèle chez Playboy) comme porte-parole de la campagne.
Lors de la conférence de presse, un journaliste du Vancouver Sun a demandé : “Qu’est-ce que Bo Derek connaît aux loups ? C’est stupide de l’avoir comme porte-parole!“. J’ai répondu que si j’avais eu le Dr. David Mecker, ou Gordon Hayward, les deux plus grands biologistes spécialistes des loups au monde, la salle aurait été vide. Personne ne serait venu. J’ai ajouté : “Le fait qu’elle soit ici fera la première page de votre journal demain. Vous allez le publier. Votre rédacteur va vous y obliger, car les médias ne peuvent pas résister à ce genre de célébrité !“
Quand nous avons sorti Seaspiracy, ce documentaire a très bien marché. D’abord parce que c’est un très bon documentaire, mais surtout parce que nous l’avons diffusé sur Netflix. Les médias sont souvent plus importants que le message. N’importe qui peut faire un documentaire, mais personne ne le verra, ou alors seulement ceux qui sont d’accord avec le sujet. Alors qu’en le diffusant sur un média comme Netflix, nous avons touché des millions de personnes.
Pour la série Whale Wars (NDLR : Série “Justiciers des mers”, diffusée en France à partir de 2009 sur RMC Découverte), lorsque je me suis adressé aux différentes chaînes, je leur ai dit : “Écoutez, la plus grosse émission de Discovery en ce moment parle de gars qui se rendent dans une région hostile et reculée de la planète, pour attraper les crabes! C’est à mourir d’ennui. Je vais vous montrer des hommes et des femmes du monde entier qui vont dans un environnement encore plus froid, plus éloigné et plus hostile, et pour sauver des baleines! Il faut que ce soit plus captivant que d’attraper des crabes chaque semaine!”.
Et Animal Planet a pris les devants, et nous avons produit sept saisons! Les gens me demandent encore pourquoi la série n’est plus diffusée? Mais c’est parce que nous avons gagné! Il n’y a plus de baleiniers japonais dans l’océan Austral, donc plus d’émission sur la guerre des baleines, ce qui nous convient parfaitement.
Delphine Darmon : Paul, vous avez parfois collaboré avec des gouvernements dans le passé. Pouvez-vous nous en dire plus sur le type de collaborations que vous avez mises en place, et comment tout cela a fonctionné ?
Paul Watson : Notre première collaboration avec un Gouvernement remonte à 1999, lorsque j’ai contacté le parc national des Galápagos au large de l’Équateur, et que nous leur avons fourni un bateau de patrouille. Avec cela, nous avons mis en place tout un système de surveillance pour suivre les braconniers, mais aussi des programmes de formation, et des brigades canines pour attraper les braconniers. Et ça a été un énorme succès! C’était il y a 22 ans déjà.
En 2015, nous nous sommes attaqués aux braconniers de Légine australe, sur les côtes Antarctiques et dans l’océan Austral. Et il y avait six navires opérant illégalement là-bas, le plus connu étant le Thunder. Nous avons donc envoyé deux navires, le Bob Barker et le Sam Simon, à la poursuite du Thunder. Nous avons mis 8 jours à le localiser, et quand nous l’avons retrouvé au large des côtes de l’Antarctique, il a lâché son filet et s’est enfui.
Et c’est ainsi qu’a commencé la plus grande et la plus longue course-poursuite de l’histoire maritime d’un braconnier : 110 jours de poursuite depuis l’Antarctique jusqu’à l’Afrique occidentale équatoriale. Le Sam Simon était à 1000 milles de là lorsque le Thunder a été découvert, mais nous lui avons demandé de se rendre à l’endroit précis où nous avions localisé le navire afin de remonter le filet que le Thunder avait abandonné. Il a fallu 110 heures pour sortir ce filet de l’eau. Il était à 3 km de profondeur, mesurait 72 km de long et pesait 70 tonnes!
Il s’agissait d’un seul filet, provenant d’un seul bateau, à la recherche d’un poisson en voie de disparition. La Légine australe est d’ailleurs vendue dans les restaurants sous le nom de bar chilien. Quoi qu’il en soit, après cette poursuite au large de Santome, le capitaine du Thunder n’avait nulle part où aller. Nous avions prévenu Interpol, avec qui nous collaborions. Partout où le bateau se serait présenté, il aurait été arrêté.
Alors ce que le capitaine a fait, c’est qu’il a coulé son propre bateau juste devant nous pour détruire les preuves, mais nous avons tout filmé! Nous sommes montés à bord de ce navire qui était en train de couler, et nous avons pu obtenir toutes les preuves nécessaires.
Le capitaine a été condamné à 3 ans de prison, et la compagnie l’ayant affrété a dû payer 17 millions d’euros. En réalité, elle ne les a jamais payés car les tribunaux espagnols ont rejeté l’affaire, disant qu’ils n’étaient pas compétents. Mais ils ont au moins perdu le navire.
Je n’en ai pas la preuve formelle, mais c’est probablement grâce à toute cette histoire que par la suite nous avons été contactés par de nombreux gouvernements, notamment en Afrique où nous avons mis en place plusieurs partenariats de coopération. Nous fournissons l’équipage, les navires, les ressources, et eux mobilisent les représentants des autorités compétentes.
(à suivre)
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L’intégrale de l’interview de Paul Watson en 7 épisodes :
- Paul Watson, l’interview (1/7) : De l’enfance aux premières campagnes
- Paul Watson, l’interview (2/7) : Stratégie, sabordages et … Brigitte Bardot
- Paul Watson, l’interview (3/7) : Médias et États
- Paul Watson, l’interview (4/7) : Bateaux et bénévoles
- Paul Watson, l’interview (5/7) : La désobéissance civile jusqu’où ?
- Paul Watson, l’interview (6/7) : La (sur)pêche
- Paul Watson, l’interview (7/7) : De l’enfance aux premières campagnes
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Pour écouter les épisodes de l’interview de Paul Watson, en anglais :
- https://bit.ly/PW1_prologue_CBT
- https://bit.ly/PW2_naissances_CBT
- https://bit.ly/PW3_campgs_proces_CBT
- https://bit.ly/PW4_heritage_CBT
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Pour écouter les épisodes de BSG avec Lamya Essemlali :
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Pour en savoir plus sur la démission/éviction de Paul Watson de Sea Shepherd États-Unis, voici la lettre qu’il a publiée sur le site de Sea Shepherd France.
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Pour écouter ou voir la dédicace que Paul Watson a fait à Baleine sous Gravillon :
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Pour découvrir “Demain n’attend pas”, de l’amie Delphine Darmon :
Un mardi sur deux, DEMAIN N’ATTEND PAS vous propose de découvrir des hommes et des femmes qui se donnent pour mission de changer le monde, comme Combats, c’est bien normal qu’on soit copains avec Delphine Darmon, l’hôte de DNP.
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