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L’éternel conflit qui oppose les pro-chasse aux défenseurs du Vivant ne se déroule pas que sur le terrain. Loin des sous-bois et des champs de maïs, c’est sur les réseaux sociaux et à grands coups de pétitions citoyennes que la bataille fait rage.

La chasse est un sujet clivant, “une querelle française” comme le titrait l’Obs en décembre 2021. Chaque nouvel accident souffle sur des braises qui semblent ne jamais s’éteindre. 

La Une de l’Obs de décembre 2021

D’un côté, il y a les chasseurs. Bien organisés, la plupart d’entre eux forment une grande armée de soldats préparés à défendre bec et ongles leur passion, leur loisir et leur mode de vie. C’est comme ça qu’ils ont toujours fait, et ils n’ont pas du tout envie de se réformer. 

Ils sont bien organisés, fédérés par communes, par départements, et la FNC (la toute puissante Fédération Nationale de Chasse dirigée par le célèbre et médiatique Willy Schraen) veille sur tout ce beau monde.

Toujours derrière lui, tapi dans l’ombre, il y a aussi l’indéboulonnable lobbyiste Thierry Coste qui tire les ficelles, et rattrape les boulettes de Willy. Leurs moyens financiers sont énormes, leur service communication ose tout, c’est un système bien rôdé. Il existe même une “Task Force Numérique”. Sur le site de la FNC, dans la rubrique “AGIR”, n’importe qui peut postuler pour faire partie de cette équipe de fous du clavier.

Armés de leurs comptes sur les réseaux sociaux, ils acceptent d’être “informés par sms lorsqu’une mobilisation des chasseurs est requise lors d’une consultation publique ou de fake news diffusées par une personnalité publique dans un média ou sur les réseaux sociaux”.

De l’autre côté, il y a les défenseurs du Vivant, une multitude d’associations de protection de la Nature et de collectifs de militants. Toutes apportent leur pierre à l’édifice, et se démènent pour faire avancer la cause.

Dénoncer, attaquer en justice, retarder, contrôler, faire réformer, tous les recours légaux sont bons pour mettre des bâtons dans les roues des 4X4 de la chasse loisir.

Certaines associations historiques ont pignon sur rue et existent depuis des années. Elles s’opposent régulièrement à la chasse et sont bien connues du grand public : Fondation Brigitte Bardot, ASPAS, LPO… Elles fonctionnent grâce aux dons de leurs adhérents, et à la motivation sans faille de leurs salariés et bénévoles. Elles aussi ont plusieurs cordes à leurs arcs : campagnes de pubs “choc”, soutiens de personnalités médiatiques, équipe de juristes ultra-compétents. 

Et puis il y a aussi toutes les autres petites associations, moins connues, avec moins de moyens, mais tenues par des personnes tout autant dévouées.

Ces nombreuses associations sont efficaces et représentent un maillage important, présent sur l’ensemble du territoire. Mais sont-elles suffisamment fédérées et organisées pour faire le poids et agir efficacement face à la géante Fédération Nationale de Chasse ?

C’est dans ce contexte, au milieu de cette grande bataille, qu’un petit collectif est arrivé et a commencé à faire parler de lui très fort et très rapidement. À l’origine de sa création, il n’y a rien de réjouissant, la mort d’un jeune homme. Le nom de ce collectif évoque presque une comptine de Chantal Goya : Un jour un chasseur.

L’offensive est lancée : Un jour un chasseur

Le 2 décembre 2020, Morgan Keane est dans son jardin, à Calvignac dans le Lot. En plein confinement, il coupe du bois à la tronçonneuse, casque orange fluo sur les oreilles. Une battue a lieu autour de sa maison. Un chasseur confond Morgan avec un sanglier. Il tire, et Morgan est tué sur le coup. 

“UJUC”, né en décembre 2020

Quelques amies de Morgan, indignées et révoltées, décident de passer à l’action et créent une boîte mail : unjourunchasseur@gmail.com, ainsi qu’un compte Instagram.  Tout en préservant l’anonymat des personnes, elles créent un espace de libération de la parole. Elles relaient simplement les témoignages des victimes d’incidents et d’accidents de chasse. Le succès est immédiat, dans la lignée de me too, personne n’avait encore eu l’idée de lancer ce dispositif à la fois simple, original et percutant.

Le 10 septembre 2021, elles lancent une pétition en ligne intitulée “Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça !” sur la plateforme du Sénat, un dispositif de participation citoyenne qui permet à n’importe quel français de déposer une pétition.

Si celle-ci atteint le seuil de 100.000 signatures en 6 mois, elle est transmise à la Conférence des Présidents, qui peut décider d’y donner suite. Ce dispositif, peu connu à l’époque, n’avait jusque-là fonctionné et atteint le seuil qu’une seule fois en un an d’existence, avec un texte proposant la modification du calcul de l’allocation adulte handicapé.

En deux mois à peine, l’initiative du collectif est relayée par un grand nombre de militants et d’associations de protection de la nature, et le nombre de soutiens décolle quand Hugo Clément prend position pour elles, en incitant son million d’abonnés sur Instagram à signer.

Devant la fulgurante progression des signatures, le 9 novembre 2021, sans attendre le franchissement du cap des 100.000, le Sénat annonce se saisir de la proposition, convaincu que le seuil sera atteint et même dépassé avant expiration du délai.

Deux semaines plus tard, la pétition est clôturée, et le compteur stoppé à 122.484 signatures. Les chasseurs, médusés, fulminent et se sentent attaqués. Ils découvrent les cinq propositions phares du collectif pour réformer la chasse et améliorer la sécurité :

  • Dimanche et mercredi sans chasse
  • Formation plus stricte et renforcement des règles de sécurité
  • Contrôle et suivi des armes de chasse et des comportements à risque
  • Des sanctions pénales à la hauteur des délits commis
  • Libération de la parole et reconnaissance des victimes de la chasse par l’État

Assos : 1 – Chasseurs : 0.

Contre-offensive de la FNC (Fédé de chasse)

Mila Sanchez, co-fondatrice du collectif « Un jour un chasseur » au Sénat le 7 décembre 2021 / Capture d’écran Public Sénat.

Une mission de contrôle sur la sécurisation de la chasse est mise en place, et les différentes parties prenantes sont auditionnées jusqu’en juin 2022 : le collectif, les assureurs, la gendarmerie, les fédérations de sports de nature, les créateurs d’applications de géolocalisation, Bérangère Abba, les représentants de la chasse d’autres pays Européens, la liste est encore longue.

Les associations de protection animale sont auditionnées toutes ensemble, et font bloc derrière les propositions d’Un jour un chasseur (UJUC pour les intimes).

En février, c’est au tour de Willy Schraen d’être entendu. De cette audition, on s’autorise à retenir quelques phrases cultes : “Une paire de ski peut être aussi une arme mortelle” (sûrement un émouvant hommage de la FNC à Gaspard Ulliel, décédé quelques jours auparavant).

Mr Schraen explique de quelle manière il a passé son permis de chasse à l’époque : “Je fais partie des gens qui ont coché des cases, sur 21 il fallait en avoir 16 pour avoir le permis”. Nous voilà rassurés sur ses compétences.

Willy Schraen se voile la face lors de son audition au Sénat le 2 février 2022.

Selon lui, les chasseurs sont très bien formés à la sécurité, et des moyens importants sont mis en place. Comme par exemple pour matérialiser l’angle de 30 degrés, dans lequel il ne faut pas tirer pour ne pas risquer de tuer un collègue : “On n’en a pas besoin, cinq pas avant, trois pas à droite et ceux qui voient pas, on met un bâton”. Viendrait-t ’il d’avouer que certains chasseurs ont des problèmes de vue ?

Ou encore : “Dans les villages, on peut aller ailleurs si on arrive sur une chasse, c’est pas grave, les arbres sont verts partout, y’a des oiseaux partout”. Quelques mois plus tard sur LCP, il réitère au sujet des gens qui se promènent dans la nature : “Ils n’ont qu’à le faire chez eux. Ils n’auront aucun problème”. Doit-on lui re-dire que Morgan Keane est décédé chez lui? Tout comme Thérèse Coudrais en 2017 ?

Mais en somme, en visionnant cet entretien, Willy n’a pas l’air ravi et il semble presque vouloir se venger. A la fin de son audition, il indique aux sénateurs qu’il mettra en ligne trois pétitions, sans en indiquer le contenu exact.

A-t-il d’ailleurs bien lu le règlement de la plateforme, qui précise que sont interdites les pétitions redondantes d’un même auteur, et que sont irrecevables les pétitions qui au moment de leur dépôt portent sur le sujet d’un texte ou d’un débat (…) qui fait déjà l’objet d’une mission d’information ?

Deux semaines plus tard, il lance donc une seule pétition sur le site du Sénat, intitulée “Pour la fin de la réduction fiscale pour les dons aux associations qui utilisent des moyens illégaux contre des activités légales”. Vous êtes autorisés à relire deux fois.

Le recueil des signatures est laborieux. Les chasseurs ne maîtrisent pas bien l’outil informatique, moyenne d’âge oblige (plus de la moitié des chasseurs ont plus de 55 ans, selon une étude du BIPE pour la FNC en 2016) . Qu’à cela ne tienne, la FNC fait installer un stand “pétition” au Game Fair (un salon de la chasse) en juin 2022 pour aider ceux qui rencontrent des difficultés à signer. Un tuto vidéo est même mis en ligne pour expliquer le fonctionnement de France Connect, ce dispositif qui permet de vérifier et valider les signatures.

Au bout de quatre mois et demi (soit deux fois plus de temps que pour la pétition d’UJUC), le seuil des 100.000 est péniblement atteint. Ils se vantaient d’être 5 millions et la récolte des voix ne devait être qu’une “formalité”, mais il n’a finalement pas été si facile de mobiliser les troupes. Il faut dire aussi que le titre était compliqué à comprendre, et le texte un peu long à lire. Mais avec 101.288 signatures, l’objectif est atteint.

Le 14 septembre 2022, le Sénat publie son rapport sur la mission. Ce rapport plutôt pro-chasse est résumé ici. La France entière découvre avec stupeur qu’il était jusqu’alors légal de chasser bourré, et que le permis de chasse ne contient aucune formation au tir et au maniement des armes.

Assos : 1 – Chasseurs : 1.

Les deux camps à armes égales

Voilà donc deux camps opposés qui s’affrontent avec succès via un même outil de participation citoyenne. Match nul.

Illustration : Dessin Filou 

La Conférence des Présidents se saisit de la pétition de Willy Schraen et annonce la mise en place d’une mission flash. Elle rappelle au passage à M. Schraen dans un communiqué de presse que “ce sujet mérite une attention particulière dans l’intérêt même des associations qui, dans leur immense majorité, conduisent des actions conformes à la loi et aux objectifs poursuivis par leur appel à la générosité publique”, et ajoute que “des dispositions légales existent d’ores et déjà”. 

Pour simplifier, la mission flash va vérifier que le dispositif en place est fonctionnel et appliqué si nécessaire. Autrement dit, la pétition de M. Schraen réclame la mise en place de quelque chose qui existe déjà, et demande au Sénat de contrôler des associations qui ne posent aucun problème à personne, mais qui irritent les chasseurs aux entournures …

Le plus drôle dans cette histoire, c’est qu’avec cette pétition lancée comme une vengeance, la FNC croyait atteindre UJUC. Cependant, le collectif n’étant pas une association, il ne récolte aucun don, ni publics ni privés, et n’est donc absolument pas concerné. Pas besoin d’un budget faramineux pour faire tourner une boîte mail et un compte Instagram. En fait, c’est un peu comme si la FNC avait… mal visé.

Deuxième round : UJUC frappe au porte-monnaie

En mars 2022, la Cour des comptes met elle aussi en place un tout nouveau dispositif de participation citoyenne pour enrichir son programme de travail, dans la lignée de la plateforme e-pétitions du Sénat. Les citoyens ont l’opportunité de déposer des demandes de contrôles, qui peuvent être soutenues et commentées. UJUC saute sur l’occasion et dépose une demande intitulée “L’argent public destiné aux fédérations de chasseurs et son usage” . 

A l’issue de la période de consultation, la Cour des comptes choisit de retenir six propositions parmi les plus soutenues mais aussi parmi les plus pertinentes. En juillet 2022, celle d’Un jour un chasseur est retenue, et c’est une nouvelle victoire pour le collectif.

Quelques heures après l’annonce de la Cour des comptes, les médias en ligne spécialisés “chasse” s’indignent ! L’un d’eux s’étrangle “Nous venons d’apprendre que le collectif Un jour un chasseur, déjà très défavorablement connu de nos milieux (…) vient de se lancer dans une nouvelle opération anti-chasse qui vise à frapper le monde cynégétique au portefeuille. (…) L’attaque est fourbe”. 

Assos : 2 – Chasseurs : 1.

Les blaireaux creusent l’écart

Ce combat à coup de participations citoyennes peut-il continuer longtemps ainsi ? Il faut croire que oui. Les outils fonctionnent, pourquoi s’en priver ? C’est ce que s’est sûrement dit l’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) en mars 2022.

Marc Giraud (Porte-parole de l’ASPAS) lors de la Journée Mondiale des blaireaux le 15 mai 2022 à Paris, pour le lancement officiel de la pétition pour l’interdiction du déterrage. Photo Audrey Tindilière

Suite au succès d’UJUC, l’association qui lutte depuis plus de 30 ans contre la chasse et pour la protection des animaux sauvages a lancé sa propre pétition au Sénat pour tenter de faire interdire le déterrage des blaireaux, une pratique de chasse spécialement cruelle pour ces animaux.

À ce jour, l’association a récolté plus de 104.000 signatures au 18 septembre 2022. le seuil des 100.000 étant atteint, la Conférence des Présidents devrait s’en saisir. Hugo Clément a relayé. Les associations et les militants aussi. Tout ce petit monde se fédère, et la réussite d’UJUC est érigée en exemple. Si elles ont réussi, les autres peuvent y arriver aussi. 

Assos : 3 – Chasseurs : 1. Mais la partie n’est pas finie …

Un combat sans fin …

N’oublions pas que la FNC aurait d’autres projets de pétitions en réserve, si l’on en croit les déclarations de son Président. Le 1er juillet, sur l’Instagram de la FNC, dans un discours dont le lyrisme n’a rien à envier à celui d’Aragorn devant la porte noire du Mordor, Willy Schraen déclare :

Oh, ça a pas été facile tous les jours, on a douté, on s’est battus, je vous ai relancé des dizaines, des centaines de fois, y’a plein de structures qui nous ont aidées, (…) je sais que nous n’avions pas l’habitude de faire ce genre de choses, mais vous avez prouvé que nous étions capables de le faire. La balle est dans le camp du Sénat maintenant. D’autres pétitions viendront, on va vous laisser souffler un peu, je comprends, l’effort à été intense. La prochaine fois, on fera ça en deux mois, et à la cinquième on fera ça en 8 jours je l’espère”. 

Si nous avons bien suivi, ce ne sont donc plus deux, mais quatre autres pétitions que la FNC prévoit de dégainer ? Affaire à suivre. 

L’avantage dans cette bataille infernale à coups de clics sur internet ne doit pas nous échapper. Pendant que les chasseurs cherchent leurs codes France Connect tout en regardant le tuto vidéo pour comprendre comment signer… ils ne chassent pas, offrant un petit répit au Vivant et aux promeneurs !

Pour écouter les épisodes de Combats avec Pierre Rigaux :

https://bit.ly/pierre_rigaux1_CBT

https://bit.ly/pierre_rigaux2_CBT

https://bit.ly/pierre_rigaux3_CBT

https://bit.ly/pierre_rigaux4_CBT

Pour écouter les épisodes de Combats avec le collectif Un jour un chasseur :

https://bit.ly/UJUC1_CBT

https://bit.ly/UJUC2_CBT

https://bit.ly/UJUC3_CBT

https://bit.ly/UJUC4_CBT

Convivence en forêt : Table ronde avec des représentants d’UJUC, de l’ASPAS, et de Ruraux pas chasseurs, une discussion animée par Marc Mortelmans de Baleine sous gravillon :

https://bit.ly/convivence_fontainebleau_CBT

Toutes les infos basiques sur la chasse en France :

https://bit.ly/prologueUJUC_chasse_BSG