La résurrection du Loup sinistre : un Colossal coup de com’

La dés-extinction des loups-garous géants de Game of Thrones fait le buzz sur les réseaux sociaux. Le 8 avril 2025, l’entreprise de biotechnologie et de génie génétique Colossal Biosciences annonce fièrement la résurrection du Loup sinistre, une espèce disparue depuis 10000 ans, quelques semaines après avoir produit des souris mammouths. Sommes-nous à l’aube d’un Jurassic Park dans la vraie vie ?

Loup sinistre en français, Dire wolf en anglais, Canis dirus ou Aenocyon dirus selon les scientifiques et Loup géant ou Loup-garou dans “Le trône de fer” de George R.R. Martin, cette espèce a arpenté les prairies, les montagnes et les forêts des Amériques du Pléistocène avant de s’éteindre à la fin de celui-ci.

Qui était le Loup sinistre avant sa résurrection ? 

Un Loup gris, Canis lupus, mesure entre 105 et 160 cm de long et 66 à 85 cm de haut pour une masse comprise entre 20 et 70 kg. En moyenne, les mensurations du Loup sinistre sont comparables aux plus grands Loups gris actuels avec une longueur de 150 cm et une masse de 68 kg. Certains Loups géants sont donc plus petits que les plus grands Loups gris actuels, d’autres les dépassent allègrement. 

Canis dirus se distingue par un crâne plus grand et plus lourd et ses pattes plus courtes et robustes. Moins adapté à la course, il devait se nourrir d’animaux géants de la mégafaune du Pléistocène. Ses dents, aussi plus puissantes, lui permettaient de broyer les os. Son sort est scellé lors de la disparition de ses proies, il y a 10000 ans, lors de la fin de la dernière glaciation. 

Loups gris et sinistres, des cousins pas si proches

Les fossiles de Loups sinistres sont légions. Les puits de bitume de La Brea, au cœur de Los Angeles, ont livré plus de 3600 spécimens aux côtés de leurs voisins comme le Mammouth de Colombs, les paresseux géants, le Lion américain ou le Tigre à dents de sabre. Parmi l’ensemble des fossiles connus, certains ont livré de l’ADN, permettant de séquencer le génome de l’animal. 

Une étude publiée dans Nature en 2021 suggère que les Loups sinistres se sont séparés des autres Canidés il y a 5,7 millions d’années. Cela signifie qu’ils sont plus éloignés des Loups gris que les Dholes, les Lycaons ou les Chacals. Le Loup sinistre serait issu d’une évolution en Amérique du Nord alors que le Loup gris prendrait racine en Eurasie. Cette étude montre qu’il ne serait pas du groupe des Canis et elle pourrait amener les scientifiques à le reclasser dans son ancien genre Aenocyon. 

Le coup de génie… génétique

En comparant les génomes de nos deux loups, les scientifiques de Colossal ont identifié des séquences d’ADN, des gènes, responsables du codage de certains traits physiques particuliers du Loup sinistre. Ils ont ensuite introduit 20 modifications de la séquence d’ADN dans 14 des 19000 gènes d’un Loup gris. Ils ont créé 20 mutations afin que 14 gènes de Loup gris ressemblent un peu plus à des gènes de Loup sinistre. 

Ensuite, c’est du clonage comme on en fait depuis 1996 et la brebis Dolly. On place le nouveau noyau modifié dans un ovule, ici de chienne, enfin 45 ovules différents sont produits. On laisse l’embryon se développer un peu in vitro et on l’implante dans l’utérus d’une mère porteuse, deux chiennes dans notre cas. D’après Colossal, il n’y a pas eu de fausse couche ou de petits morts-nés.

Après 65 jours de gestation, le 1er octobre 2024, Romulus et Remus sont nés par césarienne (une vraie ode à la Rome antique). Le 30 janvier 2025, c’était au tour de Khaleesi (le titre de Daenerys dans Le trône de fer) de pointer le bout de son museau pour permettre à Colossal de proclamer la résurrection du Loup sinistre. 

En résumé, ces 3 animaux possèdent 19000 gènes de Loup gris et 0 gène de Loup sinistre, ils portent 20 mutations provoqués par l’être humain pour ressembler au Loup sinistre, ils ont grandi dans l’utérus d’une chienne domestique (Canis lupus, du coup) et ont été allaités par une chienne. Question : Les 3 louveteaux sont-ils vraiment des Loups sinistres ? Vous avez 2 heures… 

Une espèce d’apparence

“L’espèce” est un concept inventé par l’Être humain pour parler du vivant et il existe plusieurs définitions. Celle qui est le plus souvent citée, c’est une définition biologique : une espèce est un groupe d’êtres vivants qui sont capables de se reproduire entre eux et dont la descendance est, elle aussi, fertile. 

Une autre définition s’appuie sur la morphologie, l’apparence du corps. C’est d’autant plus le cas en paléontologie et pour les espèces disparues puisque… elles ne peuvent plus se reproduire. Cependant les apparences sont parfois trompeuses. Deux animaux peuvent se ressembler et être d’espèces très différentes. L’inverse est aussi possible ; ainsi les scientifiques ont, dans un premier temps, placé les Requins-zèbres juvéniles et adultes dans deux espèces distinctes. Il en va de même en cas de fortes différences entre le mâle et la femelle, on parle alors de dimorphisme sexuel. 

Une apparence identique à travers le temps ne signifie pas que l’espèce est restée la même. Ainsi le Cœlacanthe africain, découvert dans les profondeurs de l’océan Indien en 1938, ressemble de manière troublante à des fossiles vieux de plus de 300 millions d’années. Pour autant, certains de ces animaux semblables vivaient dans des rivières ou des lacs. Cela peut paraître anodin, mais la vie en eau salée ou en eau douce, en profondeur ou près de la surface implique une batterie d’adaptations, un fonctionnement différent des organes… sans impact sur la morphologie dans le cas de nos Cœlacanthes. Une espèce occupe une niche écologique, elle est en interaction avec de nombreuses autres.

Conclusion : Une nouvelle race de chien

Après la domestication du Loup gris, l’Être humain a sélectionné certains critères physiques ou de caractères donnant, au bout de milliers d’années, toutes les races de chiens actuelles. Oui, le chihuahua est un Loup gris mutant ! Dans le cas de nos 3 louveteaux, les mutations ont été décidées en laboratoire afin d’obtenir le résultat voulu plus rapidement. 

L’idée de résurrection d’une espèce disparue comme le Loup sinistre est porteuse, vendeuse, elle ravive l’idée d’un Jurassic Park, sous couvert de protection des espèces actuelles et de restauration des écosystèmes.

Et le RRRrrrr…etour du Mammouth ? 

Au mois de mars, la même entreprise annonçait un pas de géant vers la résurrection du Mammouth avec la création d’une… sourismouth. Avant toute chose, non elle n’a pas de défenses… Elle n’a pas un seul brin d’ADN de Mammouth non plus. Dans ce cas là aussi, les scientifiques de Colossal ont modifié les gènes d’une Souris domestique bien actuelle. Une mutation pour avoir le poil long, une autre pour avoir le poil roux, encore une pour avoir les moustaches bouclées et un manteau de fourrure ondulé, une dernière pour produire plus de graisse et mieux résister au froid. 

Colossal projette de reproduire l’expérience sur des Éléphants d’Asie d’ici la fin 2026 pour une naissance d’un éléphanteau mutant en 2028 après 22 mois de grossesse. Cela soulève de nouvelles questions d’éthique puisque cette espèce est une espèce menacée. Les femelles occupées à faire naître des petits élémouths ne donnent pas naissance à la génération suivante d’Éléphants d’Asie.

L’avenir des 3 jeunes Loups sera limité à un vaste enclos d’un refuge pour animaux sauvages aux États-Unis. Mais la question se pose quant à un éventuel retour dans des écosystèmes actuels alors que les exemples d’espèces exotiques introduites par l’Être humain sont nombreux, avec des conséquences dramatiques…

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Sources : 

• Article du Time
• Article de Nature
• Preprint sur biorxiv.org : Multiplex-edited mice recapitulate woolly mammoth hair phenotypes
• Article dans “Science” Mars 2025
• Paléo-news #56 sur la chaîne Entracte Science

Pour en savoir plus sur la gigafaune du Pléistocène :

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