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Saviez-vous que les vertébrés peuvent avoir des petits sans passer par le schéma classique mâle + femelle ? Qu’est-ce que la parthénogenèse ? Une femelle Requin-zèbre a pondu quatre années consécutives plus de 120 œufs qui ont donné des petits viables… toute seule ! Mais alors, quel avantage de se reproduire à deux si on peut le faire seule ? 

Cette histoire insolite a fait autant de bruit dans les médias que dans la sphère scientifique. En 2001, une petite femelle Requin-zèbre (Stegostoma fasciatum) arrive à l’aquarium Burj Al Arab à Dubai, elle fait alors 1.2 mètre. Selon les biologistes, elle est immature, puisqu’un adulte sexuellement mature de 6-8 ans mesure plutôt entre 1.6 et 1.8 mètre. Elle est placée dans un enclos en compagnie d’un mâle d’une autre espèce, un Requin à pointe noire (Carcharhinus melanopterus). Jusque là, rien d’anormal… Six années s’écoulent, et au grand étonnement de l’équipe, la femelle baptisée Zebedee pond ses premiers œufs sans avoir rencontré aucun mâle de son espèce.

Le Requin-zèbre est ovipare, une des 3 méthodes “classiques” de reproduction des requins. Dans la nature, les femelles pondent‭ jusqu’à 4 œufs dans une eau à 26°C, alors qu’en captivité une ponte de 40 oeufs a déjà été observée.‭ La capsule foncée et fibreuse des œufs a une forme de madeleine caractéristique, pour une taille de 17‭ ‬cm de long. Les coins de cette capsule s’allongent en de longs filaments crochetés et poilus, permettant de s’accrocher solidement autour d’un substrat comme de la végétation. Environ trois mois après la ponte, les jeunes requins sortent, ils font alors 20 à 30 cm. 

Revenons aux œufs de Zebedee. Pondus en 2007, plusieurs capsulent éclosent, mais les jeunes meurent rapidement sans savoir pourquoi. L’année suivante, Zebedee pond de nouveau, et trois petits survivent! Les années s’enchaînent, et la femelle continue de donner naissance à des juvéniles bien formés, même si peu d’entre eux survivent. En tout, quatre de ses petites Requines zébrées sont toujours en vie aujourd’hui! On ne sait pas encore si elles peuvent se reproduire, mais ce sont toutes des femelles. 

Ce phénomène inattendu attire l’attention, et les spécialistes émettent deux hypothèses : soit Zebedee s’est reproduit avec le mâle captif vivant dans le même enclos, soit elle s’est accouplée avant sa mise en captivité et a réussi à stocker la semence. Les deux suggestions seraient des découvertes étonnantes, car il n’y a aucune hybridation connue entre ces deux espèces de requins éloignées génétiquement. Ensuite, un stockage de plus de six ans est très peu probable pour une femelle. Le record est de 45 mois (environ 4 ans) chez le Requin-chabot bambou (Chiloscyllium punctatum). Comment vérifier ces deux hypothèses et tenter de prouver qu’il s’agit bien d’une reproduction sans papa ? 

La parthéno quoi ?

Les biologistes devaient trouver une réponse. Pour cela, ils ont analysé la génétique des œufs de Zebedee pour en comprendre l’origine, et savoir s’il y avait un papa… ou pas. Suite à l’étude ADN, les résultats indiquent qu’il n’y a pas pu avoir d’hybridation avec le mâle à pointe noire. La parthénogenèse serait alors l’explication numéro 1 de la reproduction du Requin-zèbre Zebedee. Ce jargon scientifique, du grec Parthenos = vierge, décrit une reproduction asexuée, un phénomène rare chez les vertébrés. On estime que seul 0.1% d’entre eux pratiquent cette reproduction, soit 70 espèces environ, dont le Python réticulé, le Dragon du Komodo ou le Crotale des bois. Les invertébrés, eux, ont la parthénogenèse facile: les abeilles, les pucerons ou les fourmis alternent entre reproduction asexuée et sexuée.

L’histoire de Zebedee racontée ici est loin d’être anecdotique chez les requins. La reproduction monoparentale a été observée chez le Requin-marteau tiburo, le Requin bordé, le Requin-chabot à taches blanches ou encore le Requin marteau. En 2016, une autre femelle Requin-zèbre, nommée Leonie, est devenue la première à passer d’une reproduction sexuée à asexuée en captivité.

Requin-zèbre adulte, zoom sur sa tête
Requin-zèbre avec sa robe adulte tâchetée. Ralf Schmidt © Wiki-commons

Comment est-ce possible de se reproduire seule, sans fécondation ? La mère va simplement pouvoir copier son génome (l’ensemble de son patrimoine génétique : ses chromosomes). Ce n’est pas exactement un clonage, car les chromosomes sont tout de même brassés durant le processus. Les embryons de Zebedee ne viennent pas d’une fécondation. En effet, et c’est là que le vivant est inventif, à l’inverse des œufs de poule qui ne se développent pas sans l’intervention du coq, des embryons se développent lors de la parthénogenèse !

Vous comprenez pourquoi Zebedee n’a donné naissance qu’à des femelles désormais ? La maman n’a pu leur transmettre que ses chromosomes maternels qui sont XX. Seulement, est-ce que Zebedee est spéciale, ou est-ce que toutes les femelles de son espèce en sont capables ? Qu’en est-il des autres requins ? À ce jour, la parthénogenèse dite “optionnelle” a seulement été observée en captivité pour les requins. Eh oui, difficile de tomber sur des traces de parthénogenèse dans le grand bleu. Ces preuves biologiques nécessitent des analyses ADN fastidieuses et coûteuses.

Les biologistes s’accordent à dire que ce type de reproduction serait généré par un manque ou une absence de mâle, ce qui pousserait les femelles à se reproduire en autonomie. Ceci se comprend bien après plusieurs années passées en aquarium, mais serait-ce le cas en liberté, quand les mâles se font rares ? Peut-être que la part de parthénogenèse dans les populations naturelles a été sous-estimée par les chercheurs jusqu’à maintenant. 

Pourquoi être deux pour se reproduire ?

Seules les femelles peuvent être monoparentales. L’avantage pour elles est de fournir moins d’effort pour trouver un partenaire, et en prime d’éviter les morsures des mâles lors de l’accouplement. En revanche, la reproduction asexuée semble être appropriée dans un environnement stable, auquel les individus sont déjà adaptés. Pour les femelles Requin-zèbre, la reproduction seule leur permet de transmettre leur matériel génétique dans le temps. Pas de mâle, pas de problèmes : je fais une “copie” de moi plus jeune, qui aura peut-être la chance de croiser un mâle. Pourtant, la reproduction sexuée est la plus populaire chez les requins.

En étant deux, c’est comme si on associait deux couleurs pour en créer une nouvelle, qui est singulière grâce aux teintes des deux parents. Un seul couple donne des petits tous uniques génétiquement. C’est un atout pour l’espèce, qui aura plus de chance de survivre dans un milieu en changement : certains spécimens seront plus adaptés que d’autres. L’instinct de reproduction à deux est fort chez les vertébrés. Lors de l’accouplement, les mâles S. fasciatum se servent de leurs ptérygopodes pour assurer la fécondation interne. Ce mot vient du grec Ptérygo = aile ou nageoire et Pode = pied, ce qui image bien cet organe externe, ressemblant à de petites ailes proches du cloaque des mâles. Ce beau Requin-zèbre à robe léopard n’aura pas besoin de retourner sa femelle pour la mettre en léthargie comme d’autres requins, puisque les Requins-zèbres peuvent respirer en restant sur place.

Les Requins-zèbres juvéniles et adultes sont des proies pour d’autres espèces de requins. Ils sont craintifs envers les plongeurs et ont un instinct de prédation moins fort que d’autres requins plus imposants. Les juvéniles grandissent près des côtes, dans les vasières, les herbiers et les mangroves, des habitats menacés par les activités humaines, puis s’éloignent au fur et à mesure de leur croissance.

La reproduction du Requin-zèbre sous les tropiques


Giacomo Palavicini
© FishBase users

Ce joli requin à la nage anguilliforme est réparti sur toutes les côtes de l’océan Indien, au nord de l’Australie et une partie de la Polynésie. Il affectionne les eaux intertropicales et côtières peu profondes autour des récifs coralliens avec un fond sableux. Il semble faire des migrations saisonnières avec des concentrations élevées d’individus autour de certains récifs en Australie (sud du Queensland) et en Thaïlande.

Leurs habitats, les récifs coralliens, sont victimes de blanchiment causé par le réchauffement des eaux. Cette espèce, jusqu’à alors peu étudiée à l’état naturel, commence à être connue grâce à Zebedee et à d’autres études réalisées sur des animaux captifs

Finalement, la parthénogenèse pourrait être une des raisons qui explique pourquoi les requins, apparus il y a 400 millions d’années, ont réussi à traverser le temps et les extinctions de masse, quand tant d’autres espèces ont disparu. Ce phénomène extraordinaire semble cependant être trop rare pour permettre de sauver les espèces de requins aujourd’hui. 

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Pour continuer, la série Requins, avec Steven Surina, au grand complet en podcast :

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Article scientifique sur le Requin-zèbre et la parthénogenèse : Robinson et al. 2011 et Dudgeon et al. 2016.

banniere baleine sous gravillon

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