Cette interview de Paul Watson, le mythique fondateur de Sea Shepherd a été réalisée en anglais pour le podcast Demain n’attend pas, et rediffusée dans Combats. Nous proposons ici la retranscription complète en français, agrémentée de précisions pour le public français. Voici la première partie de l’entretien dédiée à l’enfance de Paul, jusqu’aux premières campagnes.
Delphine Darmon : Salut Paul.
Paul Watson : Salut ! Comment ça va ?
Delphine Darmon : Paul, je suis très honorée de vous accueillir aujourd’hui dans le podcast Demain n’attend pas. Merci beaucoup d’avoir accepté cette interview. Paul, pour commencer, j’aimerais vous ramener à votre enfance et à votre vie de jeune homme de 20 ans. Pourriez-vous partager avec nous les souvenirs de vos premiers pas dans l’action, et nous dire ce qui vous a poussé à devenir un activiste et un marin?
Paul Watson : Tout a commencé quand j’avais dix ans. J’ai été élevé dans l’est du Canada, j’y avais passé un été à nager avec une famille de castors, j’avais passé des moments formidables. L’été suivant, quand j’y suis retourné, je n’ai jamais retrouvé les castors. Des trappeurs les avaient tous tués pendant l’hiver, et cela m’a mis très en colère. Alors cet hiver-là, j’ai commencé à parcourir les lignes et à libérer tous les animaux, puis à détruire les pièges. C’est ainsi que tout a commencé, et depuis je n’ai jamais fait autre chose. Je suis parti en mer quand j’avais 17 ans. J’ai travaillé dans la marine marchande norvégienne et suédoise, et j’ai ensuite travaillé comme garde-côte au Canada.
Puis, en 69, il y a eu une manifestation à la frontière maritime canado-américaine, au sujet des essais nucléaires sur l’île Amchitka, dans les Aléoutiennes de l’Alaska (où les États-Unis doivent déclencher une explosion nucléaire souterraine. L’essai nucléaire, qui aura lieu en octobre, sera 250 fois plus puissant que celui qui a rasé Hiroshima, NDLR). Tous les participants à cette manifestation se sont réunis pour voir ce qu’il était possible de faire concrètement. Nous savions que les Quakers avaient envoyé un navire vers l’atoll de Bikini en 1956, pour protester contre les essais nucléaires.
Alors nous avons décidé de prendre nous aussi un bateau. Deux groupes se sont réunis, le Sierra Club et les Quakers. Moi j’étais avec le Sierra Club à l’époque. C’était un mouvement pour la paix, contre la guerre, contre les armes nucléaires, mais moi j’ai souhaité m’impliquer pour une toute autre raison. Amchitka était une réserve naturelle, et en théorie, vous ne pouviez même pas débarquer sur l’île avec un fusil. Malgré ça, les militaires américains ont fait exploser une bombe de cinq mégatonnes sous l’île, ce qui a tué un certain nombre d’otaries et beaucoup d’autres animaux marins. Voilà pourquoi j’y suis allé.
Ensemble, nous avons créé ce groupe appelé le comité Don’t Make A Wave (“Ne faîtes pas de vague”), parce que le tremblement de terre et le tsunami de 64 étaient encore dans tous les esprits. Ce tsunami avait frappé l’île de Vancouver, puis Hawaï. Lors d’une des premières réunion de “Don’t make a Wave”, quelqu’un est sorti de la salle en faisant un signe de paix. Du coup, Bill Darnell a évoqué pour la première fois l’idée d’une “paix verte” (green peace). Et Bob Hunter a pensé que ça serait un super nom pour le bateau. Nous avons donc baptisé le bateau “Greenpeace”. C’était avant la fondation de Greenpeace, et on fait toute la campagne sur ce rafiot.
Le premier bateau qui est parti, sur lequel je n’étais pas, a réussi à retarder le test nucléaire. Tant que le bateau était sur place, le test ne pouvait pas avoir lieu. Mais quand le deuxième bateau, sur lequel j’étais, était en route vers le site, le test a été avancé de quelques jours. Nous étions seulement à quelques centaines de miles quand la bombe a explosé. Au début, nous pensions que toutes nos actions n’avaient servi à rien… Mais tout le raffut médiatique a permis, au final, de mettre fin aux essais nucléaires.
C’est suite à tout ceci que nous avons créé la Fondation Greenpeace en 1972, et j’y suis resté jusqu’en 77. J’étais le directeur, et premier officier lors des voyages. Mais en 77, j’ai décidé que je ne pouvais pas continuer, parce qu’en fait Greenpeace est une organisation de protestation. Et je n’aime pas simplement protester. Je voulais intervenir, pour avoir un impact concret, être efficace. J’ai donc créé la Sea Shepherd Conservation Society, pour intervenir avec une stratégie bien claire, que j’appelle “l’agressivité non-violente”. C’est être agressif, mais sans faire de mal à personne. Et de fait, 45 ans après, nous n’avons jamais blessé personne. Mais nous avons mis fin à des centaines d’opérations illégales qui exploitent tout, des poissons aux baleines en passant par le plancton.
Delphine Darmon : Paul, l’une des premières batailles de Sea Shepherd a été de s’opposer à la chasse à la baleine. Pouvez-vous nous en dire plus sur la réglementation de cette activité, comment elle a évolué au fil du temps et quelle est la situation aujourd’hui ?
Paul Watson : Au milieu du 20e siècle, les baleines avaient presque disparu. C’est à ce moment-là que la Commission baleinière internationale a été créée pour réglementer l’industrie, car sans elle, la baleine bleue se serait éteinte. Le mouvement pour sauver les baleines a connu un succès planétaire. A l’époque, en 1974, lorsque j’ai commencé à m’opposer à la chasse à la baleine, le nombre de pays qui pratiquaient cette chasse était vraiment important. Il y avait l’Espagne, L’Afrique du Sud, Le Chili, Le Pérou, L’Australie, La Corée du Sud, L’Islande, La Norvège, Le Danemark. Mais, au cours de ces deux dernières années, nous avons mis fin à quasi 95 % des opérations de chasse à la baleine dans le monde. L’Australie avait déjà arrêté en 1977, et ce pays est ensuite devenu un grand défenseur des baleines. Depuis deux ans maintenant, toutes les opérations de chasse à la baleine ont été abolies dans les eaux internationales. La chasse à la baleine se poursuit uniquement dans les eaux de la Norvège, de l’Islande, du Danemark et du Japon. Mais c’est une industrie mourante, et elle mourra, c’est certain.
Après avoir coulé la moitié de la flotte baleinière islandaise en 86, j’ai adressé une requête à l’Islande, pour savoir s’il y avait des charges retenues contre nous. Et je n’ai pas eu de réponse, alors en janvier 88, j’ai pris l’avion pour l’Islande et j’ai demandé à être arrêté. J’ai été accueilli à l’aéroport par le chef de l’immigration et un certain nombre d’officiers de police. Le chef de l’immigration m’a demandé combien de temps je comptais rester en Islande. J’ai répondu : “Je ne sais pas. Cinq minutes, cinq jours, cinq ans ? À vous de me le dire”. Ils ont voulu m’interroger, j’ai dit “ok, ça a l’air amusant. Allons à l’interrogatoire”. Ils m’ont demandé : “Admettez-vous avoir coulé ces navires ?“. J’ai répondu que oui nous avions coulé ces navires, et que nous allions couler les deux autres à la première occasion. J’ai été mis en prison pour la nuit, et le lendemain, deux officiers de police sont venus, m’ont escortés à l’aéroport, m’ont mis dans un avion, m’ont renvoyé à New York. Au Parlement, le ministre de la justice s’est indigné : “Mais pour qui se prend-il?”
Delphine Darmon : Il peut décider lui-même d’aller en prison ?!
Paul Watson : C’est ça! “Il vient dans notre pays et demande à être arrêté! Faites-les sortir d’ici!” (rires)
En réalité, ils savaient pertinemment que me faire un procès reviendrait à faire un procès à l’Islande pour ses activités illégales.
Au Japon, lorsque nous nous sommes opposés à la flotte baleinière, cela nous a valu dix ans de confrontations dans l’océan Austral. Finalement, en 2014, la Cour internationale de justice a jugé que ce que faisait le Japon était illégal. Ils ont arrêté pendant un an, puis ont recommencé, donc nous y sommes retournés. Ils ont mis fin à leurs opérations de chasse à la baleine dans l’océan Austral en 2017, et le sanctuaire baleinier est maintenant devenu un vrai sanctuaire, plus aucune baleine n’y est tuée.
(à suivre ….)
_______
L’intégrale de l’interview de Paul Watson en 7 épisodes :
- Paul Watson, l’interview (1/7) : De l’enfance aux premières campagnes
- Paul Watson, l’interview (2/7) : Stratégie, sabordages et … Brigitte Bardot
- Paul Watson, l’interview (3/7) : Médias et États
- Paul Watson, l’interview (4/7) : Bateaux et bénévoles
- Paul Watson, l’interview (5/7) : La désobéissance civile jusqu’où ?
- Paul Watson, l’interview (6/7) : La (sur)pêche
- Paul Watson, l’interview (7/7) : De l’enfance aux premières campagnes
_______
Pour écouter les épisodes de l’interview de Paul Watson, en anglais :
- https://bit.ly/PW1_prologue_CBT
- https://bit.ly/PW2_naissances_CBT
- https://bit.ly/PW3_campgs_proces_CBT
- https://bit.ly/PW4_heritage_CBT
_______
Pour écouter les épisodes de BSG avec Lamya Essemlali :
_______
Pour en savoir plus sur la démission/éviction de Paul Watson de Sea Shepherd États-Unis, voici la lettre qu’il a publiée sur le site de Sea Shepherd France.
_______
Pour écouter ou voir la dédicace que Paul Watson a fait à Baleine sous Gravillon :
_______
Pour découvrir “Demain n’attend pas”, de l’amie Delphine Darmon :
Un mardi sur deux, DEMAIN N’ATTEND PAS vous propose de découvrir des hommes et des femmes qui se donnent pour mission de changer le monde, comme Combats, c’est bien normal qu’on soit copains avec Delphine Darmon, l’hôte de DNP.
_______
6 Comments