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Je suis un champignon, mon petit nom mignon rime avec amour en latin, “Phytophthora ramorum“, je suis classé parasite mortel par le Ministère de l’Agriculture. A cause de moi, quelques 50 hectares d’arbres ont dû être abattus. Ver Nématode, j’enrichis les multinationales. Les entreprises agro-pétrochimiques et les semenciers ont favorisé notre démultiplication. Nous sommes leurs “Frankenstein” ravageurs.

Ceux qui me mettent en “boites, m’épinglent ou me clouent au pilori” sont pourtant les principaux acteurs de l’effondrement écologique et de la Biodiversité.

Les plus grands “dealers planétaires” ou le péché d’Hybris

Dans la nature et l’agriculture raisonnée (permaculture, agroforesterie), il n’existe pas de véritables ravageurs. Les ravageurs des uns sont les défenseurs des autres. Un équilibre s’opère limitant la prolifération et à la surreprésentation d’une espèce.

Traitement chimique d'une monoculture pour lutter contre un nuisible, un véritable business
Traitement phytosanitaire en Eure-et-Loir – Jean Weber – CC BY 2.0

Les produits chimiques ont été utilisés comme traitement prophylactique contre les ravageurs, dont la multiplication était favorisée par la reproduction, sur des centaines d’hectares, de cultures identiques, aux faiblesses identiques. Ils sont devenus plus résistants chaque année nécessitant des doses encore plus importantes de biocides. Et plus on traite, plus on alimente le monstre : entre 1945 et 1997, selon Janine Benyus (2011) dans son ouvrage “Biomimicry – Quand la nature inspire des innovations durables“, le recours aux pesticides a augmenté de plus de 3300 %, mais les pertes totales dues aux ravageurs n’ont pas diminué. Aux États-Unis, elles ont augmenté de 20% malgré le bombardement de pesticides. Les sols sont de moins en moins productifs malgré des semences prétraitées. Janine Benyus pointe du doigt l’impasse de l’agriculture industrielle qui a fait demander de plus en plus à la terre : “même si nous avons amélioré notre sort grâce au garde-manger…, nous avions involontairement mis le doigt dans ce que le phytogénéticien américain Wes Jackson, directeur du Land Institute appelle “l’engrenage de la vigilance”: plus nous soumettions et protégions nos cultures, plus elles dépendaient de nous pour leur survie”.

Les paysans devenus agriculteurs se sont ainsi fait mettre la corde au cou. Ils sont “accro” aux produits phytosanitaires, au travers de leurs terres, comme des véritables “cocaïnomanes”. En passant de la polyculture des plantes pérennes à la monoculture des annuelles et en mettant les paysans sous dépendance des transfusions pétrochimiques, d’engrais, des pesticides et des semences hybrides (qui ne transmettent pas leur caractère génétique d’une plante à l’autre), l’Être humain a ôté à la terre ses défense naturelles.

Une monoculture de pins maritimes, développement d'un business pour lutter contre un éventuel nuisible ravageur
Une monoculture de Pin maritime (Pinus pinaster) dans la forêt des Landes – Larrousiney – CC BY-SA 3.0

Les causes des proliférations des nuisibles sont variées et différentes selon les espèces. Mais Le Monde en 2017 (Barroux, 2017) précise que les professionnels soulignent également le rôle du réchauffement climatique qui limite les périodes de moindre activité, avec une augmentation des températures hivernales, et accroît considérablement les zones d’action vers le nord notamment des moustiques, des frelons et des chenilles processionnaires. Autre cause : les coupes à blanc des forêts originelles pour favoriser la monoculture d’une espèce, la multiplication des voyages et les efforts insuffisants de la part des pouvoirs publics pour informer les particuliers dans leurs comportements.

L’intrusion de l’Homme au cœur d’un système naturel, porte un nom : l’hybris. C’est la démesure de la façon de vivre de l’Humain qui appelle un changement de paradigme, ainsi qu’à la tempérance et la modération.

Un business juteux autour des nuisibles : dératisation, désinfection…

Dans son article, Le Monde dévoile que selon les chiffres communiqués par les professionnels de la chambre syndicale de désinfection, désinsectisation et dératisation, appelée “CS3D”, les 2,7 millions d’interventions contre les nuisibles de 2013 sont passées à 4,2 millions en 2015 sur le territoire national, dont une augmentation de 41 % pour la dératisation et de 75 % pour la désinsectisation. À présent, on compte 5500 employés exerçant dans 1200 entreprises qui font un chiffre d’affaires total de plus de 650 millions d’euros. En 2018, La Tribune souligne la croissance exponentielle du secteur de la dératisation : “Entreprises et spécialistes de la dératisation ont su profiter du secteur. Au sein des demandeurs de service, les agriculteurs sont en position de tête avec un quart des appels et les particuliers 18 %.” Par ailleurs, des consultants experts en hygiène et sécurité se sont démultipliés et publient des manuels de “lutte raisonnée contre les nuisibles” (dans l’hôtellerie et la restauration, l’industrie, etc.). Une norme AFNOR existe pour encadrer la profession : AFNOR NF EN 16636 “Services de gestion des nuisibles – Exigences et compétences”.

Campagnol des champs un nuisible 
autour duquel se développe un business
Campagnol des champs (Microtus arvalis) – Dieter TD – CC BY-SA 3.0

Selon l’ASPAS, des luttes naturelles existent pourtant. Les Campagnols qui sont tués au moyen de luttes chimiques pourraient être mangés par les Renards et Mustélidés. Cependant, la lutte chimique est toujours de rigueur selon l’association, ce qui présente le problème de l’utilisation de substances nocives en pleine nature et favorise l’ingestion de poisons par les prédateurs de Campagnols et plus globalement par les sols et les Humains. En outre, conserver les Renards permet aux agriculteurs d’économiser le coût du raticide. Par ailleurs, les Tiques qui se propagent grâce aux rongeurs dépourvus de leur prédateur naturel, comme le Renard, véhiculent des maladies (maladie de Lyme ou l’Ehrlichiose) qui provoquent de graves désagréments aux Humains et autres animaux.

Des chercheurs français ont par ailleurs récemment montré que les pesticides SDHI, comme précisé dans un article paru dans Le Monde, pourraient être parfois plus toxiques pour des organismes non ciblés que pour les moisissures contre lesquelles ils sont censés agir.

La lutte biologique est une alternative soutenable d’un point de vue écologique, limitant l’utilisation des pesticides. Elle demande néanmoins un contrôle et une approche écosystémique et transdisciplinaire, pour ne pas transformer un auxiliaire en futur ravageur. Tel a été le cas dans les années 90 quand les micro-guêpes importées d’Asie ont permis à l’Afrique de sortir de la famine causée par les ravages de la Cochenille sur le Manioc mais ont détruit d’autres insectes (Manioc qui de surcroit n’était pas endémique du continent et avait été importé d’Amérique du Sud).

Le lobby chasse et agricole, “permis de tuer en toute impunité”

Belette
Belette d’Europe (Mustela nivalis)

Les chasseurs qui se proclament les nouveaux biologistes, viennent renforcer bien volontiers les sociétés commerciales, car les animaux sont des concurrents sur le gibier.

L’ASPAS déplore que le permis de chasser ne soit pas nécessaire pour l’emploi de certains moyens de destruction tel que le piégeage ou le déterrage : “L’acte de mise à mort d’un animal nuisible piégé avec emploi d’une arme à feu n’est pas considéré comme un acte de chasse. Il ne nécessite donc pas non plus de permis de chasser”. L’association dénonce des modes de destruction barbares, non sélectifs, aux conséquences non contrôlées. Les prédateurs naturels peuvent être tués pour protéger le gibier des chasseurs. Un arrêté prévoit en effet que Renard, Pie bavarde, Belette et autres Mustélidés peuvent être tués à proximité des enclos destinés aux lâchers de gibier (pourvues en nourriture abondante) et dans les territoires où les chasseurs mènent des actions pour favoriser leur gibier. Le nuisible est le souffre-douleur du chasseur, car c’est son permis de tuer en toute impunité, de faire souffrir sans risque d’être poursuivi.

Corneille noire
Corneille noire (Corvus corone)

Qui voudrait sauvegarder Corvus, quand les Corbeaux sont accusés de faire disparaître les Moineaux ? Mais ne sommes-nous pas à l’origine première de la disparation des oiseaux qui souffrent de l’anéantissement des insectes causé par notre système agro-chimique. Le Corbeau par son intelligence proche de celle de l’Humain (il sait fabriquer des outils) réussit simplement mieux à s’en sortir dans un monde dominé par l’Humain. L’intelligence du Corvidé est notamment mise en lumière par Emmanuelle Pouydebat (Atlas de zoologie poétique), directrice de recherche sur le comportement animal au MNHN (Muséum National d’Histoire Naturelle).

Comment déclarer vouloir protéger la biodiversité quand le nouvel opérateur d’État, l’Agence Française pour la biodiversité est le fruit de la fusion avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ? N’est-ce pas une dérive pernicieuse pour donner à un lobby, un permis de tuer des espèces protégées (les nuisibles le sont en fonction des départements comme le ragondin) avec le passe-droit de l’État ?

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Reprise par Chrystelle ROGER de son article paru initialement le 11 décembre 2019 dans le blog de Mines Paris-Tech-ISIGE (Institut Supérieur d’Ingénierie et de Gestion de l’Environnement).

L’ensemble des articles de la série Désir d’indésirables, un plaidoyer pour la réhabilitation des nuisibles” :

Références et articles :

  • Perrine Dulac, Frédéric Signoret, Paysans de Nature, Réconcilier l’agriculture et la vie sauvage, Delachaux et Niestlé, sep. 2018, ISBN 978-2-603-02567-3, 190 p.
  • Baptiste Morizot, Manière d’être vivant, collection Monde sauvages, Actes Sud, 2020, ISBN 978_2_330_12973-6, 324 p.
  • Gilbert Cochet, Béatrice Kremer-Cochet, L’Europe réensauvagée. Vers un nouveau monde, collection Mondes Sauvages, Actes Sud 2020, ISBN 978-2-330_13262-0, 321 p.
  • Laurent Tillon, Et si on écoutait la nature ? Payot 2018, 399 p.
  • Janine M. Benyus, Quand la nature inspire les innovations durables, Rue de l’échiquier 2017, ISBN : 978-2-37425-068-7, 500 p
  • Pierre Jouventin, Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble », 2021, Éditions HumenSciences-248 pages
  • Myceco, Ceebios, Biomimétisme, quels leviers de développement et quelles perspectives pour la France ? restitution de la journée de travail France Stratégie, 2020, 74 p.
  • Barroux (2017) Rats, punaises, moustiques, frelons… Le nombre de « nuisibles » explose en France, dans Le Monde 8 juin 2017
  • Journal du Droit Administratif (JDA), Dir. Pech / Poirot-Mazères/ Touzeil-Divina & Amilhat ; L’animal & le droit administratif ; 2021 ; Art. 365.

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Bannière baleine sous gravillon

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