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Je suis à l’origine d’anticoagulant ou d’aiguilles indolores. Je dépollue les systèmes aquatiques en participant au cycle de l’azote, en filtrant les eaux, j’évite ainsi l’eutrophisation des milieux, je suis un mini-pollinisateur car j’ai besoin de sucre pour voler ce qui m’amène à butiner de fleur en fleur. Je suis acteur à part entière de la biocénose !

Un moustique
Araignée sauteuse

Je suis un pollinisateur avant d’être un véhicule d’Ebola.

Chiroptère

Je régénère les sols.

Lombric

J’inspire toutes les industries, du militaire, au luxe en passant par le bâtiment.

Araignée

Naturellement présentes dans le milieu naturel, une espèce nuisible, avant de le devenir, rend service en participant à l’équilibre de l’écosystème. Elle est bénéfique aux activités humaines en prédatant d’autres espèces ou en disséminant des végétaux. Pour la plupart, ces espèces jouent un rôle de police sanitaire en débarrassant la nature de cadavres d’animaux, évitant ainsi la propagation de maladies.

Un “nuisible” au service de la propreté de l’écosystème urbain

Rat brun, un nuisible au service de l'écosystème parisien
Rat brun ou Surmulot (Rattus norvegicus)

Les Rats, dans les égouts, sont les éboueurs de Paris et décongestionnent de nombreux réseaux d’assainissement. Cependant avec l’augmentation des travaux dans la capitale, avec les inondations accélérées par la bétonisation limitant le ruissèlement modéré, avec la suppression des dents-creuses entre les bâtiments, les rats ont perdu leur logis. Délogés, sans domicile fixe, ils sont remontés, se sont déplacés et ont trouvé opportunément de la nourriture en dehors, l’incivilité humaine étant en augmentation. Quand les nuisibles deviennent visibles c’est pire, même si, contrairement aux idées reçues et véhiculées par les collectivités et les industriels de la dératisation, le nombre d’individus reste identique (études Mairies de Paris) : la nourriture en surface ne compenserait pas le dérangement en sous-sol qui limite de fait la reproduction. Le spécialiste des nuisibles urbains Pierre Falgayrac, sollicité par Le Figaro en 2018 déclare : “À l’année, chacun des 3,8 millions de rats parisiens consomme, 9 kg de déchets, soit entre 30 et 34 milliers de tonnes au total. Au-delà des chiffres, ces quadrupèdes peuvent être les alliés des services d’assainissement – à condition qu’il n’y en ait pas trop – ils évitent que certains égouts ne se bouchent et fonctionnent comme un indicateur de danger lorsqu’ils fuient une montée des eaux ou un dégagement de gaz.”

Dans plusieurs pays, les rongeurs vilipendés, en plus de réduire la quantité de nos déchets, sont utilisés pour détecter des maladies (comme la tuberculose), désamorcer des mines “anti-personnel” ou détecter des traces de drogues pour la police.

Des “nuisibles” au service de la recherche

Rat-taupe nu, un nuisible au service de la recherche
Rat-taupe nu (Heterochephalus glaber)

De nombreux rapports ont été rédigés sur les services écosystémiques rendus par le Vivant et leur mesure : ADEMEWWFFRB, etc.

Le Rat-taupe nu, espèce de rongeur originaire du Kenya, autrefois ignoré car “moche”, ou la plupart du temps confondu avec un animal malade ou juvénile, est menacé dans son habitat naturel car concurrent des cultivateurs. Il fait pourtant l’objet de multiples recherches récentes dans les pays occidentaux notamment pour guérir des pathologies liées à la vieillesse. Ils vivent en colonie de plusieurs individus fonctionnant comme un super organisme autour d’une seule “reine-mère reproductrice”. Le Rat-taupe peut vivre jusqu’à 35 ans dans des conditions très pauvres en oxygène.

Moustique tigre, un nuisible au service de l'écosystème
Moustique tigre (Aedes albopictus)

Bruce Harrisson, entomologiste au ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles en Caroline du Nord, estime que : Sans les moustiques le nombre d’oiseaux chuterait de plus de de 50 % !

Contrairement à ce que l’on croit le moustique ne se nourrit pas vraiment de sang. Sur les 3500 espèces répertoriées, seulement 6% piquent effectivement les Humains. Et dans ces 6%, seules les femelles ont un régime hématophage, piquant voracement à travers la peau pour sucer le sang de leur victime. Et elles ne le font pas pour se nourrir, mais pour apporter des protéines à leurs œufs pour qu’ils parviennent à maturation.

Seringue nanopass 33 inspirée du moustique
Seringue nanopass 33 inspirée du moustique

Comme de nombreux modèles biologiques animaux ou végétaux, les moustiques servent de de sources d’inspiration pour concevoir des technologies innovantes. Sans le vivant, pas de bio-inspiration ou de biomimétisme nous permettant de répondre aux enjeux de soutenabilité écologiques.[i]

En rayant les moustiques de la surface de la Terre, ne risque-t-on pas, par un effet domino, de provoquer l’extinction d’autres espèces animales ? Et s’il s’avère que l’une de celles-ci mange à son tour des insectes ravageurs de récoltes, déclenchant de facto une famine qui ferait beaucoup plus de morts ?

Mais ne doit-on préserver que ceux qui rendent des services à l’Humain ? Ou parce qu’ils sont intelligents et lui ressemblent ?

Les nuisibles, parties prenantes de la biodiversité à préserver, une question éthique et de développement durable ?

Grand bombyle butinant un muscaris
Grand bombyle (Bombylius major), utile ou pas ? L’adulte pollinise alors que la larve s’attaque aux abeilles sauvagesGuillaume Lassalle

C’est un biais pernicieux et encore anthropocentré de vouloir préserver uniquement ceux qui nous rendent des services et de déclarer l’utilité d’une espèce à l’aune des services que celle-ci rend aux populations humaines. Il nous manque la vue écosystémique de l’interaction des espèces, animaux et végétaux compris, …, base même de la définition de biodiversité. Ne sommes-nous pas, là encore, victime d’un biais cognitif, y compris des écologistes, en voulant préserver la biodiversité tout en continuant de la classer selon son utilité ?

Homo sapiens a décidé de classer les animaux selon leur utilité et leur intelligence en se prenant pour référence, ce qui est naturel, mais sans vouloir admettre que d’autres formes d’intelligences sont possibles. Il faut alors revenir à la véritable définition de l’intelligence qui est la capacité d’un animal (humain et non humain) ou d’un organisme (de plus en plus accepté) à s’adapter à son environnement. Eric Baratay ou bien encore Emmanuelle Pouydebat, Directrice de recherche au CNRS sur le comportement animal, estiment qu’il existe plusieurs “intelligences animales” et non une seule.

Pourtant, classer les animaux selon leur utilité, n’est-elle pas à contre-courant d’une véritable démarche de Développement Durable ? Une démarche “éthique” à l’échelle des entreprises ou des États, n’est-elle pas la célébration du permis de vivre, de d’acceptation de l’altérité ? Après avoir classé depuis des millénaires sa propre espèce en “Hommes supérieurs” et en “esclaves”, l’Humain peut-il continuer à éradiquer des espèces entières, aussi meurtrières soient-elles ?

L’Homme n’est-il pas le seul véritable animal nuisible ?

Ne penses-tu pas pas, toi Homo sapiens, que le salut de la planète passe par la réhabilitation de l’Être humain en tant qu’animal ?

Portrait de Rachel Carson qui alerte sur l'impact des pesticides dès 1962 dans son livre "Printemps silencieux"
Rachel Carson alerte sur l’impact des pesticides dès 1962 dans son livre “Printemps silencieux”

Un million d’espèces sont menacées de disparition dans les prochaines années, d’après les experts internationaux de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), tandis que s’opère une brutale diminution des effectifs : 80 % des populations d’insectes ont disparu en trente ans et les effectifs d’oiseaux ont connu une chute de 30 % en quinze ans. Homo sapiens continue de mettre en danger la planète dans son ensemble et s’attaque désormais à l’espace.

Est-ce le propre d’Homo sapiens de se créer des ennemis, des races, des espèces à exploiter ou exterminer alors qu’il est directement la cause de l’effondrement écologique ? Tuer d’autres espèces en toute impunité est une façon de rejeter sa propre animalité. Classer, hiérarchiser, prioriser, c’est valider et légitimer sa propre violence. Le cartésianisme est une démarche paresseuse à laquelle l’Humain s’accroche depuis des siècles et qui sous-tend tout son modèle productiviste, pour enlever à l’Animal toute conscience, pour valider ses concepts et sa domination sur les autres espèces. Aussi changer les modèles de pensée, de production et de culture est une nécessité. Réhabiliter les nuisibles, c’est aussi sauver Homo Sapiens !

Un nouveau paradigme : “voir” le monde différemment

Dans un modèle économique, agricole, marchand repensé, qui fait du respect de la nature et des animaux dans leur ensemble un nouveau paradigme, le nuisible n’existe plus. Il faut sortir du sarcophage intellectuel qui limite le schéma de pensée et s’affranchir de la vision de l’Homme comme mesure-étalon de toutes les espèces.

Taupe d'Europe
Taupe d’Europe (Talpa europaea), quelle perception du monde pour cette espèce ? – Luc hoogenstein – CC BY-SA 4.0

En associant à la fois les sciences humaines et la science de la nature, on peut changer notre façon de penser. Comme Eric Baratay, le souligne dans son étude sur l’Histoire des relations Humains/Animaux, ne faut-il pas “désanthropiser” les concepts, penser autrement le monde animal ? L’Homme juge, en utilisant le levier qui est le plus développé dans ses sens, la vue (qui permet d’accéder à la connaissance dans les livres). Alors que la majorité des espèces ont développé tous les autres sens, en particulier l’odorat qui s’ajoute à la vue. Il faudrait un miroir olfactif et sonore à l’Humain pour appréhender les autres espèces. Et peut-être est-ce l’animal dans l’Homme qui portera le sursaut salvateur à la Terre tourmentée par le changement climatique et l’érosion de la biodiversité ?

Dans une tribune au “Monde du 25 juin 2019″, un collectif de juristes, dont Corinne Lepage, dresse un bilan des atteintes à la démocratie environnementale et dénonce une communication “perverse ” des autorités françaises. Corinne Lepage déclare ainsi : “Il faut développer une démocratie environnementale qui intègre tout le vivant. C’est-à-dire l’information à la participation et à la prise de décision en matière environnementale et l’accès au juge. Il s’agit d’obligations à la fois communautaires et internationales (convention d’Aarhus, 1998)”. Par ailleurs, il serait opportun de pouvoir renforcer les initiatives permettant d’attribuer une personnalité juridique aux animaux et la reconnaissance de la multitude des intelligences animales (“Les animaux doivent-ils avoir de nouveaux droits” par Fabien Trècourt et Laure Cailloce dans CNRS, le journal 23/08/2023 ).

Ne faut-il alors pas alors me réhabiliter, moi Nuisible pour ce que je suis : le Vivant, et m’intégrer également à ce projet de démocratie environnementale ? Moi l’Indésirable, je conseille à l’Homme de s’inspirer de son illustre congénère anthropologue, Claude Levi-Strauss, qui déclarait dans l’émission Radioscopie le 15/04/1981 : “Les droits de l’espèce humaine s’arrêtent devant les droits d’autres espèces. Qu’est-ce que c’est une espèce vivante ? C’est une synthèse incroyablement complexe, qui a mis des millions d’années à se constituer d’un certain nombre de propriétés du monde naturel, qui sous cette forme sont totalement irremplaçables. Irremplaçables dans la chaîne des êtres vivants où chacun remplit sa fonction, et irremplaçables aussi d’un point de vue esthétique car chacun constitue une sorte de chef-d’œuvre, a une beauté particulière. L’existence d’une espèce est aussi importante que l’œuvre d’un grand peintre, que pourtant nous employons tous nos efforts à protéger dans des musées, alors que quand il s’agit d’une espèce vivante nous la traitons avec une désinvolture et un mépris incroyables”.

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Reprise par Chrystelle ROGER de son article paru initialement le 11 décembre 2019 dans le blog de Mines Paris-Tech-ISIGE (Institut Supérieur d’Ingénierie et de Gestion de l’Environnement).

L’ensemble des articles de la série Désir d’indésirables, un plaidoyer pour la réhabilitation des nuisibles” :

Références et articles :

  • Perrine Dulac, Frédéric Signoret, Paysans de Nature, Réconcilier l’agriculture et la vie sauvage, Delachaux et Niestlé, sep. 2018, ISBN 978-2-603-02567-3, 190 p.
  • Baptiste Morizot, Manière d’être vivant, collection Monde sauvages, Actes Sud, 2020, ISBN 978_2_330_12973-6, 324 p.
  • Gilbert Cochet, Béatrice Kremer-Cochet, L’Europe réensauvagée. Vers un nouveau monde, collection Mondes Sauvages, Actes Sud 2020, ISBN 978-2-330_13262-0, 321 p.
  • Laurent Tillon, Et si on écoutait la nature ? Payot 2018, 399 p.
  • Janine M. Benyus, Quand la nature inspire les innovations durables, Rue de l’échiquier 2017, ISBN : 978-2-37425-068-7, 500 p
  • Pierre Jouventin, “Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble”, 2021, Éditions HumenSciences-248 pages
  • Myceco, Ceebios, Biomimétisme, quels leviers de développement et quelles perspectives pour la France ? restitution de la journée de travail France Stratégie, 2020, 74 p.
  • Barroux (2017) Rats, punaises, moustiques, frelons… Le nombre de « nuisibles » explose en France, dans Le Monde 8 juin 2017
  • Journal du Droit Administratif (JDA), Dir. Pech / Poirot-Mazères/ Touzeil-Divina & Amilhat ; L’animal & le droit administratif ; 2021 ; Art. 365.

[i] Étude sur les externalités positives du biomimétisme, soutenue par l’Ademe, réalisée par Myceco et Vertigo Lab sous la coordination du Ceebios. Synthèse Myceco Parties Prenantes 10/2021 : le point de vue des parties prenantes sur le cadre sémantique nécessaire et sur un socle d’actions pour encadrer un biomimétisme à effets vertueux d’un point de vue Développement Durable.

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