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Cette interview de Paul Watson, le mythique fondateur de Sea Shepherd a été réalisée en anglais pour le podcast Demain n’attend pas, et rediffusée dans Combats. Nous proposons ici la retranscription complète en français. Voici la 5e partie de l’entretien consacrée à la notion de désobéissance civile et de la compréhension des 3 lois de l’écologie.

Delphine Darmon : La plupart du temps, votre mission est de veiller à ce que les lois de protection de l’environnement et des animaux soient simplement respectées. Mais parfois, Paul, il arrive que vous preniez les devants, et vous pouvez aller jusqu’à encourager la désobéissance civile. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Quand pensez-vous qu’il est nécessaire de désobéir, et quelles sont les limites que vous ne franchissez jamais ?

crosse crane trident logo sea shepherd et photo et fondateur paul watson
La crosse et le trident, symbole du guide et du protecteur

Paul Watson : La désobéissance civile est souvent légitime, mais ce n’est pas ce que nous prônons. Nous ne faisons pas de désobéissance civile. Il y a une douzaine d’années, j’ai été invité à donner une conférence au FBI à Quantico, ils m’ont payé pour venir leur parler. L’un des agents du FBI m’a dit : “Entre Sea Shepherd et le respect de la loi, la ligne est souvent fine“. Je lui ai répondu que peu importe la finesse de la ligne, tant qu’ils ne la franchissent pas, nous ne la franchissons pas non plus. Nous opérons dans les limites de la loi, et chaque fois que nous entrons en conflit avec la loi, c’est parce que la loi a été corrompue. Au final, nous gagnons souvent devant les tribunaux! Et tant que les tribunaux justifient ce que nous faisons… nous continuons. La seule exception concerne le harcèlement que nous subissons de la part de Japonais, qui veulent leur revanche. Ils m’ont mis sur la liste des notices rouges d’Interpol, ce qui signifie qu’ils souhaitent que je sois extradé pour être détenu au Japon. La notice rouge d’Interpol concerne les tueurs en série, les gros trafiquants de drogue et les criminels de guerre. Je suis la seule personne dans l’histoire de cette liste à y être mise pour conspiration d’intrusion.

Or, je n’ai jamais blessé personne, je n’ai jamais rien volé, jamais rien endommagé. Mais non, ils m’accusent de conspiration d’intrusion. C’est une accusation bidon ! Si jamais je suis extradé vers le Japon, eh bien… ce sera très compliqué de sortir de là, parce qu’ils tiennent vraiment à leur revanche, et c’est un pays puissant. Je savais dès le début quelles étaient les conséquences possibles de notre intervention, mais il faut être prêt à prendre ces risques. 

couverture bd paul watson dessin tortue ocean paul watson plage
Paul en BD et aussi en film …

En 2011, nous sommes intervenus dans une opération de pêche au thon illégale au large de la Libye ; nous avons coupé les filets et libéré 800 thons capturés illégalement. Un an plus tard, mon navire a été arrêté en Écosse par les autorités britanniques, parce que cette entreprise avait porté plainte contre nous pour destruction de biens. Quand je leur ai expliqué que ces poissons avaient été capturés illégalement, le tribunal a répondu que cela n’avait pas d’importance, et que nous étions convoqués pour destruction du bien d’autrui. Nous sommes allés au tribunal, et nous avons gagné le procès. Mais cette entreprise était prête à dépenser beaucoup d’argent,  ils l’ont publiquement reconnu ! Ils étaient prêts à mettre la main au porte monnaie pour détruire  Sea Shepherd ! 

Nous sommes d’abord allés en cour d’appel, où ils ont gagné. Puis nous sommes allés jusqu’à la Cour suprême du Royaume-Uni, et là nous avons gagné. Ils ont dû nous payer un million et demi de dollars de dommages et intérêts!

“Mesdames et Messieurs les jurés, nous n’allons pas dire que nous n’avons pas fait ce dont nous sommes accusés. Nous allons dire que nous avons fait exactement ce dont nous sommes accusés. Nous sommes fiers de l’avoir fait, et nous continuerons de le faire !”

À Terre-Neuve, quand je me suis retrouvé sous le coup de trois chefs d’accusation et que j’ai été acquitté, le gouvernement a dépensé 3 millions de dollars pour essayer de me mettre en prison. Ils n’ont pas réussi, car j’ai axé ma défense sur la Charte mondiale de la Nature de l’ONU, qui permet aux ONG et aux particuliers de faire respecter le droit international de la conservation. 

Lorsque l’accusation a fait venir un professeur de droit de Toronto pour dire que la Charte mondiale de la nature des Nations Unies ne s’appliquait pas au droit canadien, le juge a demandé : “Le Canada a-t-il signé cette charte ? Elle a répondu : “Oui, mais le Canada signe beaucoup de choses”. 

Le juge a conseillé au jury de prendre la Charte en considération, étant donné que la pays l’avait signée. Et je dois dire que l’ouverture de ce procès a été l’une des plus drôles de ma vie. Mon avocat, qui est fantastique, s’est tenu devant le jury et a dit : “Mesdames et Messieurs les jurés, nous n’allons pas dire que nous n’avons pas fait ce dont nous sommes accusés. Nous allons dire que nous avons fait exactement ce dont nous sommes accusés. Nous sommes fiers de l’avoir fait, et nous continuerons de le faire !” Et nous avons gagné l’affaire ! 

Delphine Darmon : Merci, Paul! Vous nous emmenez vraiment dans les coulisses de vos combats en mer et sur le terrain. Mais, arrêtez-moi si je me trompe. Je crois savoir que vos combats ont largement évolué au fil du temps. Vous avez commencé par protéger les espèces en voie de disparition comme les baleines, les requins, les dauphins, et bien d’autres encore. Mais au cours de l’année dernière, vous avez plutôt mis en lumière le fait que l’océan soit nécessaire pour la survie de l’ensemble du Vivant, animaux et humains. Vous avez été l’une des rares voix à parler du lien entre la santé de l’océan et le réchauffement climatique. Pouvez-vous nous expliquer comment l’océan régule la vie sur Terre ?

Paul Watson : Oui, depuis 1950 les populations de phytoplancton ont diminué de 40 % dans la mer. Tout ceci est d’ailleurs très bien expliqué dans un article de Scientific America (en Anglais). Il traite de la diminution de 40 % du phytoplancton, un groupe d’espèces végétales et de plantes marines qui fournissent jusqu’à 70 % de l’oxygène de l’air que nous respirons, et qui séquestrent d’énormes quantités de CO2. Si le phytoplancton disparaît de la mer, nous ne survivrons pas. C’est aussi simple que cela. 

zooplancton krill atlantique dans l'eau
KRILL MEGANYCTIPHANES NORVEGICA, exemple par excellence du zooplancton, ce que notre autre invité Pierre Mollo qualifiait de pain de la mer…

Pourquoi le phytoplancton disparaît-il ? Ou pourquoi diminue-t-il ? Parce que le phytoplancton est une plante qui a besoin de nutriments, d’azote, de magnésium et de fer, qui se trouve dans les excréments des mammifères marins, des oiseaux de mer et des poissons. Donc quand vous diminuez ces espèces, vous diminuez l’approvisionnement en nutriments du phytoplancton. Les baleines sont littéralement les fermiers de l’océan, et nous les humains ne voyons pas tout cela, alors que ce lien est pourtant bien réel. Il y a tellement d’espèces clés sur cette planète, comme les abeilles, les vers, les arbres, les herbes, etc… Si elles disparaissent, les conséquences sont catastrophiques, car tous ces organismes sont interdépendants.

 Il y a trois lois de l’écologie : 

  • La première est la loi de la diversité. La force d’un écosystème dépend de la diversité en son sein.
  • La seconde est la loi de l’interdépendance : toutes les espèces sont interdépendantes les unes des autres. 
  • La dernière est la loi des ressources limitées, c’est la limite de la croissance, la limite de la capacité à s’auto-régénérer.

Quand une espèce empêche la croissance d’autres espèces, cela entraîne une diminution de la diversité et de l’interdépendance. 

Nous sommes actuellement au milieu de la sixième grande extinction de masse sur la planète, au cours de cet aire appelée l’anthropocène. Nous perdrons plus d’espèces végétales et animales entre 2000 et 2065 que nous n’en avons perdu au cours des 65 millions d’années écoulées depuis la dernière grande extinction. 

homme avec canne a peche eau et poisson qui saute
Pêche sportive à Tahiti

Ce que nous faisons dans l’océan consiste à littéralement extraire la vie de la mer, en retirant les poissons de l’océan à une vitesse incroyable. Et à mesure que le nombre de poissons diminue, le gouvernement subventionne l’industrie de la pêche pour lui donner de meilleurs équipements, de meilleures technologies pour extraire finalement de moins en moins de poissons. Alors même si nous avons l’impression qu’il y a toujours suffisamment de poissons, cela a un coût énorme! C’est quelque chose comme 76 milliards de dollars par an en subventions pour maintenir ces navires en activité. Ce n’est plus le petit pêcheur du coin qui sort pour attraper juste un ou deux poissons. Ils ont besoin d’un super chalutier de 100 millions de dollars, de lignes de 160 km de long, de filets dérivants de 160 km de long, et de toutes ces technologies s’ils veulent attraper quelque chose. Ils ont même des radars détecteurs de poissons! 

“Fish can run but they can’t hide” : Le poisson peut s’échapper, mais il ne peut pas se cacher.

image de radar marin
Fish can run but they can’t hide… les poisson peuvent s’enfuir mais pas se cacher …

D’ailleurs, le slogan sur les radars Raytheon est très parlant : “Fish can run but they can’t hide” ( Le poisson peut s’échapper, mais il ne peut pas se cacher). Et c’est là tout le problème. Ils ne peuvent vraiment plus se cacher, avec tout ce matériel ! 

Pendant des centaines d’années, il existait dans le Pacifique Sud ce que les chamans des cultures polynésiennes appelaient le “kapu”. Il s’agissait d’un ensemble de lois protégeant l’environnement. Une baie pouvait être déclarée “kapu”, ou une zone côtière par exemple, et la pêche y était totalement interdite pendant 20 ans. Si quelqu’un était pris à pêcher dans cette baie, c’était la peine de mort. De notre point de vue, c’est un peu extrême, mais pas du leur. Ils savent parfaitement que le poisson constitue leur seule ressource alimentaire, et que sans poissons ils peuvent mourir de faim.

Aujourd’hui, il n’y a plus de zones kapu. Il y a des sanctuaires marins, mais c’est là que vont les braconniers, justement parce qu’il n’y a personne là-bas pour faire appliquer la loi. Ce qu’il faut vraiment faire, c’est mettre les marines du monde entier au service de la protection des océans, au lieu de les laisser continuer leurs petites guerres en permanence.

(à suivre…)

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L’intégrale de l’interview de Paul Watson en 7 épisodes  :

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Pour écouter les épisodes de l’interview de Paul Watson, en anglais :

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Pour écouter les épisodes de BSG avec Lamya Essemlali :

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Pour en savoir plus sur la démission/éviction de Paul Watson de Sea Shepherd États-Unis, voici la lettre qu’il a publiée sur le site de Sea Shepherd France.

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Pour écouter ou voir la dédicace que Paul Watson a fait à Baleine sous Gravillon : 

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Pour découvrir “Demain n’attend pas”, de l’amie Delphine Darmon :

Un mardi sur deux, DEMAIN N’ATTEND PAS vous propose de découvrir des hommes et des femmes qui se donnent pour mission de changer le monde, comme Combats, c’est bien normal qu’on soit copains avec Delphine Darmon, l’hôte de DNP.

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banniere baleine sous gravillon