Je suis invisible, pathogène, parasite, destructeur, ou alors je dégage une odeur nauséabonde, je suis laid, j’utilise ma ruse à des fins macabres, je fais des trous ou je ravage, je suis un démon et j’attire le mauvais sort, je suis inutile ou bien sanguinaire, mon nom est une insulte… Tant de mots pour le responsable de tous les maux sur terre. Qui suis-je ?
Je représente une seule classification à moi tout seul et pourtant je suis tant d’espèces à la fois, aussi bien végétales, qu’animales. Le plus souvent Arthropode, Champignon, Rongeur, je suis Mustélidé, Oiseau, Mammifère volant, Primate, Canidé, etc.
Je suis la biodiversité indésirable.
Pour insulter, se moquer, dénigrer son congénère, l’humain se sert de mon nom : Vermine. Cafard. Punaise. Blaireau. Sale Rat. Voleur comme une Pie. Moche comme un Pou. Curieux comme une Fouine !
Mal-aimé, indésirable, pire “nuisible”
Je fais partie des ravageurs, des nuisibles. Car malgré moi, j’ai voyagé avec l’Être humain d’un continent à l’autre, par bateau, avion, train ou jarre. Sans le savoir parfois ou pour des raisons commerciales, il a tout fait pour que je me développe. Par la monoculture d’abord, ou en m’adulant comme auxiliaire biologique pour anéantir un autre ravageur. Il a fait de moi, que je sois insecte, oiseau ou mammifère, à l’insu de mon plein gré, le nouveau parasite d’espèces locales.
Coccinelle asiatique (Harmonia axyridis), je suis une tueuse de pucerons et « j’accepte de bosser à peu près dans n’importe quel environnement, je suis résistante au froid et aux maladies » précise le magazine spécialisé “La Hulotte” qui m’a consacré deux numéros. Mon rendement est bien meilleur que ma congénère locale à 7 points (Coccinella septempunctata), qui elle-même, partie à la conquête de l’Ouest forcée en 1980, a décimé la Coccinelle à bandes transversales d’Amérique du Nord. Coccinelle salvatrice pour aider l’Europe à venir à bout des cochenilles, je suis devenue paria dès que, faute de nourriture, j’ai bouloté ma congénère indigène la Coccinelle à 2 points (Adalia bipunctata).
L’Être humain a démultiplié mon espace vital ou a anéanti mon garde-manger, supprimé mes propres prédateurs, ou bien alors mes propres proies ; et en me réduisant à me nourrir des siennes dans une compétition acharnée, je suis devenu son indésirable.
Qu’ai-je fait pour mériter cette classification suprême, valable dans la majorité des pays du globe, bien qu’en fonction de la culture spécifique du pays je sois parfois ravageur, parfois auxiliaire biologique ou agent militaire et policier ? Rat adulé en Inde, Rat démineur en Afrique, Rat des champs on me tolérait jadis, Rat des villes, je suis à “éRatdiquer” !
Sans être carnivore je suis un “déprédateur”, un bioagresseur, un agent phytopathogène, un mycoplasme, etc.
Après m’avoir transporté, exploité, démultiplié, il faut désormais m’éliminer, me mutiler, m’exterminer, me pulvériser, me traquer, m’anéantir. Et si je ne le nuis pas, gare à l’invisibilité ! Pour être étudié et protégé, je dois répondre aux canons de beauté ! Pourquoi ?
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Reprise par Chrystelle ROGER de son article paru initialement le 11 décembre 2019 dans le blog de Mines Paris-Tech-ISIGE (Institut Supérieur d’Ingénierie et de Gestion de l’Environnement).
L’ensemble des articles de la série “Désir d’indésirables, un plaidoyer pour la réhabilitation des nuisibles” :
- 1/4 : Moi, l’indésirable
- 2/4 : Wanted : Genèse et “profiling” des intouchables de la biodiversité
- 3/4 : Business des nuisibles, à qui profite le crime ?
- 4/4 : Au service de l’écosystème, un nuisible qui vous veut du bien
Références et articles :
- Perrine Dulac, Frédéric Signoret, Paysans de Nature, Réconcilier l’agriculture et la vie sauvage, Delachaux et Niestlé, sep. 2018, ISBN 978-2-603-02567-3, 190 p.
- Baptiste Morizot, Manière d’être vivant, collection Monde sauvages, Actes Sud, 2020, ISBN 978_2_330_12973-6, 324 p.
- Gilbert Cochet, Béatrice Kremer-Cochet, L’Europe réensauvagée. Vers un nouveau monde, collection Mondes Sauvages, Actes Sud 2020, ISBN 978-2-330_13262-0, 321 p.
- Laurent Tillon, Et si on écoutait la nature ? Payot 2018, 399 p.
- Janine M. Benyus, Quand la nature inspire les innovations durables, Rue de l’échiquier 2017, ISBN : 978-2-37425-068-7, 500 p
- Pierre Jouventin, Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble », 2021, Éditions HumenSciences-248 pages
- Myceco, Ceebios, Biomimétisme, quels leviers de développement et quelles perspectives pour la France ? restitution de la journée de travail France Stratégie, 2020, 74 p.
- Barroux (2017) Rats, punaises, moustiques, frelons… Le nombre de « nuisibles » explose en France, dans Le Monde 8 juin 2017
- Journal du Droit Administratif (JDA), Dir. Pech / Poirot-Mazères/ Touzeil-Divina & Amilhat ; L’animal & le droit administratif ; 2021 ; Art. 365.
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