Avez-vous entendu parler de l’Anguille électrique ? Mieux vaut ne pas trop titiller cette grosse mémère patibulaire d’Amazonie. L’Anguille électrique (Electrophorus electricus) vit dans le bassin de l’Amazone. Elle détient le record mondial de puissance en matière de décharges électriques : 800 volts. Pour quels usages ?
On appelle ces poissons Anguilles électriques (genres Electrophorus et gymnotus), bien qu’ils ne soient pas apparentés aux anguilles des rivières européennes.
Commençons tranquillement par l’étymologie. Le nom du Gymnote nom vient du grec “dos nu”, car il ne possède pas de nageoire dorsale.
Pour nager, ce poisson n’utilise que l’ondulation de sa nageoire anale, située sur toute la longueur du ventre.
La géante de la famille (Electrophorus electricus) ressemble à une anguille obèse et géante de 2m. Cet animal peut produire des décharges électriques atteignant 800 volts, record mondial. Faut pas énerver Raoul…
Les organes électriques, toujours pairs, doivent être considérés comme des muscles profondément modifiés. Leur disposition est très variable, de même que l’origine des muscles dont ils proviennent. On dit que ces organes ne sont donc pas « homologues » dans les différents groupes de Poissons électriques : ils n’ont pas la même origine anatomique. L’évolution est arrivée à la même invention par différents chemins/bricolages.
Ces décharges peuvent tuer un homme, un cheval ou un alligator. Il faut lire à ce sujet les récits du célèbre explorateur allemand Alexander von Humboldt. Même morts, les locaux s’en méfient : ces teigneux électrocutent encore ! Dans Tintin et les Picaros, le capitaine Haddock est la victime d’un bébé Gymnote. Heureusement que ce n’était qu’un bébé…
Darwin a étudié ce phénomène. Il ne comprenait pas comment ils avaient été maintenus par la sélection naturelle avant d’avoir atteint une forte puissance. C’est que Darwin n’avait pas perçu, c’est que l’émission de décharges ne sert pas qu’à tuer, à immobiliser des proies ou à se défendre.
Anguille électrique : L’électricité, pas que pour tuer …
La majorité des espèces, à l’image des Mormyridés (Poissons-Éléphants) et des Gymnotidés, émettent des décharges électriques de manière continue pour appréhender leur environnement et communiquer. Le Gymnote vit dans des eaux troubles, chargées de feuilles et de racines. Leur champ électrique est comme un radar. On parle d’électrolocalisation.
Au total, on recense plus de 300 espèces de poissons dotés d’organes électriques, répartis dans des ordres et des milieux très divers. Il y a les Raies et les Torpilles, largement réparties dans les océans. Les Gymnotidés, comme le Gymnote, vivent en Amérique du Sud. Le Malaptérure est un Siluroïde africain, comme les Mormyridés (Poissons-éléphants).
Le voltage est très variable suivant les espèces : Electrophorus, 600 V; Malapterurus, 400 V; Torpedo, 40 V.
20 siècles pour comprendre l’électricité du Vivant …
Pendant des siècles, les hommes ont été incapables de comprendre ou d’expliquer le magnétisme et l’électricité, phénomène impalpable et difficile à étudier, et donc nimbé de légendes.
En Mésopotamie (3000 av. J.-C.), on avait remarqué que l’ambre jaune frottée attirait de petites pailles. Au 17e siècle, lorsque sont trouvées et étudiées d’autres substances se comportant comme l’ambre, cette propriété est baptisée « électricité » d’après le nom de l’ambre en grec : elektron.
D’autres manifestations de l’électricité, comme la foudre, furent étudiées par les hommes, sans que le lien soit établi avec l’ambre frottée.
Autre phénomène, très différent : les poissons électriques. La Torpille en Méditerranée, le Poisson-Chat électrique du Nil, les Anguilles électriques et les Gymnotes en Amérique du Sud, possèdent des organes électriques qui produisent, comme nous l’avons plus haut, des décharges allant jusqu’à plusieurs centaines de volts.
De l’Égypte aux Grecs, en passant par les Italiens
Un bas-relief du tombeau du noble Ti à Saqqarah de l’Ancienne Égypte, montre que les pêcheurs égyptiens connaissaient l’existence de poissons-chats électriques. Les pêcheurs constataient que lorsqu’un poisson-chat se trouvait dans leur filet, les autres poissons restaient engourdis.
Dans le monde grec, la torpille est étudiée par Hippocrate (460-377 av. JC, oui oui, celui du serment des médecins actuels !), classée dans la catégorie des narcotiques. Dans les Dialogues de Platon, un disciple de Socrate, Menon, compare la verve et la rhétorique géniale du maître à un de ces poissons électriques.
Le discours du surdoué Socrate frapperait son interlocuteur de torpeur… comme une Torpille ! Le mot français torpille (ou torpedo en latin) a de fait la même étymologie que « torpeur », ce que Pierre mentionne dans l’épisode.
Les Grecs et les Romains utilisèrent les commotions provoquées par les poissons électriques pour calmer la douleur et tenter de soigner certaines maladies des nerfs, ainsi que les paralysies. Dioscoride (40-90 av. J.-C.) prescrit des décharges de la torpille pour traiter les maux de tête ou l’arthrite. Le médecin officiel de l’Empereur Claude, Scribonius Largus, recommande les décharges de la torpille, notamment pour traiter la goutte.
Galien et ses 4 humeurs, 4 éléments
Galien (130-200), le médecin le plus influent de l’Antiquité, explique les propriétés thérapeutiques de la torpille à partir de sa nature « froide », suivant sa théorie des quatre humeurs qui relie les sécrétions du corps aux quatre qualités chaud, froid, sec et humide. La torpille agirait comme le venin du serpent par son caractère « froid ».
Selon cette théorie, le corps est constitué des quatre éléments fondamentaux, air, feu, eau et terre. Ces 4 éléments sont pourvus de 4 qualités : chaud ou froid, sec ou humide.
Ces 4 éléments sont :
- le sang : produit par le foie et reçu par le cœur (caractère sanguin ou jovial, chaleureux)
- la pituite (phlegme ou lymphe) : rattachée au cerveau (caractère lymphatique)
- la bile jaune : venant également du foie (caractère bilieux, enclin à la violence, mais qui dégage une impression de force et de maîtrise de soi)
- l’atrabile ou bile noire : venant de la rate (caractère mélancolique/anxieux).
Ces humeurs correspondent aux quatre éléments, eux-mêmes, caractérisés par leurs propres qualités :
- le feu : chaud et sec
- l’air : chaud et humide
- la terre : froide et sèche
- l’eau : froide et humide.
Ces éléments sont mutuellement antagoniques (l’eau et la terre éteignent le feu, le feu fait évaporer l’eau). Pour qu’un être reste en bonne santé, ces éléments doivent coexister en équilibre. Tout déséquilibre léger entraîne des « sautes d’humeur », tout déséquilibre majeur menace la santé voire la vie.
Au XVIIe siècle, l’intérêt pour la Torpille renaît. En 1652, Montaigne reprend l’hypothèse de Galien sur le froid pour expliquer le comportement de la torpille : “on la voit se tapir sous le limon, afin que les autres poissons se coulant par-dessus, frappés et endormis de cette sienne froideur, tombent en sa puissance.”
Cette théorie, aujourd’hui discréditée, a conduit à des diagnostics et des traitements sans fondements scientifiques : la saignée est par exemple une conséquence directe de cette théorie, car son but est de “chasser” les humeurs. Dans les faits, ces saignées tuaient plus souvent qu’elles ne soignaient.
Redi, Lorenzini, Volta, Galvani, les percées italiennes
En 1671, le médecin italien Francesco Redi (1626-1697) localise, à l’intérieur de la Torpille, les organes responsables de ses décharges. Son disciple Stefano Lorenzini (oui oui, celui-là même qui identifiera les fameuses ampoules de Lorenzini des requins !) affirme que le poisson transmet des corpuscules qui excitent les nerfs.
Il faut attendre l’invention de la bouteille de Leyde en 1746, le premier condensateur de l’histoire, pour que lier l’électricité expérimentale et celle des décharges de la Torpille. L’invention de la pile par Volta fait encore progresser les connaissances sur l’électricité.
L’anguille de Guyane est examinée par plusieurs savants. Les démonstrations publiques de John Walsh sont magistrales. En 1772 à La Rochelle, il montre que les conducteurs de l’électricité transmettent la décharge du poisson et que les isolants comme le verre la suppriment. Il montre aussi que les deux extrémités de l’organe électrique de la torpille sont de natures électriques (pôles) opposées.
A la fin du 18e siècle, avec un autre Italien, Galvani, il est établi que « l’électricité animale » transmet l’influx nerveux. De nombreux savants, comme Joseph Priestley en Angleterre, proposent l’administration de décharges électriques pour traiter de nombreuses maladies, comme la paralysie, l’apoplexie, la surdité, la cécité, les douleurs musculaires et dentaires, les désordres menstruels et les maladies mentales. Une autre page noire de la médecine s’ouvre, où des patients sont affreusement torturés (cf. Vol au-dessus d’un nid de coucou avec Jack Nicholson).
L’électricité n’est plus seulement une propriété de la matière inerte. L’électricité du Vivant est enfin reliée à « l’électricité naturelle » de la foudre, et à « l’électricité artificielle » de machines. Les savants pressentent que cette électricité animale est liée à l’activité du cerveau, et qu’elle joue un rôle fondamental dans le fonctionnement des êtres vivants, et de leur système nerveux.
Aujourd’hui, l’électricité est omniprésente en médecine, le pacemaker en étant la manifestation la plus symbolique.
Last but not least, Gymnote est aussi le nom donné au premier sous-marin torpilleur à moteur électrique français, lancé en 1888. Propulsé par une hélice, il atteignait 8 nœuds en surface et 4 en plongée. Les engins actuels vont presque 10 fois plus vite.
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Le Gymnote est au programme du nouvel épisode de Nomen :
Deux épisodes de Petit Poisson deviendra Podcast (PPDP) sont dédiés aux poissons électriques :
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Baleine sous Gravillon
Combats
Petit Poisson deviendra Podcast
Nomen
France Culture | Mécaniques du Vivant
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