Photo: Alexander Perov
Le Renard polaire, arctique, bleu, ou Isatis, est le seul canidé du monde à changer spectaculairement de pelage entre l’hiver et l’été. Il se fond ainsi dans le décor (toundra en été et neige en hiver). Ce Goupil des glaces est une espèce ingénieure voire “jardinière”: la pousse des plantes est favorisée autour de son terrier.
Très poétiquement, le nom “isatis” vient d’une plante qui produit une couleur bleue, qui servait d’ailleurs autrefois de teinture indigo.
Ayant un des pelages les plus isolants de tous les mammifères, le Renard polaire, Vulpes lagopus (et anciennement Alopex lagopus) est donc parfaitement équipé pour supporter les températures polaires. Cette fourrure aussi chaude que sublime a fait et continue de faire son malheur. Il fait partie des espèces élevées – souvent dans des conditions aussi précaires que cruelles – pour sa fourrure, surtout en Scandinavie.
Ceux dont le pelage tire sur le bleu sont les préférés des “professionnels”. En 2017, un scandale a cependant mis en lumière la crasse maltraitance de certains de ces élevages finlandais où les animaux sont gavés pour être 6 fois plus gros et obtenir plus de fourrure.
Le Renard polaire est un bon nageur et un infatigable vagabond. Il vadrouille dans la toundra arctique et alpine au Nord du cercle polaire. Lors de la dernière glaciation, son aire de répartition s’étendait même jusqu’en Eurasie centrale, dont un certain territoire hexagonal qui ne s’appelait pas encore la France.
Il est le seul mammifère terrestre natif d’Islande. Il s’y est installé en traversant la mer gelée. Dans certaines régions, la chasse est la principale cause de mortalité.
Dans certaines îles d’Alaska, il a été introduit pour l’élevage de fourrure. Des spécimens échappés ont causé des dégâts énormes sur l’avifaune locale.
Ailleurs, dans son habitat naturel, comme toujours dans le monde vivant, il est essentiel.
Une espèce ingénieure
Dans certaines régions du monde, comme dans le Manitoba au Canada, on peut voir des patches verts de végétation autour des terriers de Renards polaires. Selon une étude, en août, quand les 6 à 12 petits sont dans le terrier, il y a presque 3 fois plus de biomasse végétale sur ces spots !
Cela s’explique par plusieurs raisons. La première est que les petits rongeurs herbivores tels que des Lemmings et des Campagnols, qui sont des proies de l’Isatis, ne s’approchent pas de ces terriers, et donc ne boulottent pas les plantes.
L’autre explication est que, notamment en période de reproduction, l’accumulation d’urine, de fèces et de restes de proies pourvoit le sol en nutriments. Ainsi, la végétation prospère, ce qui profite à toute la biodiversité environnante.
Le Renard polaire est donc une espèce ingénieure, au même titre que le Castor, l’Éléphant et le Blaireau par exemple, car il “façonne” son environnement. On observe une persistance de ces effets, jusqu’à un an après la disparition/déménagement des Renards.
Le dérèglement climatique restreint l’aire de répartition du Renard arctique au profit du Renard roux (Vulpes vulpes). Ce dernier est plus gros que son petit cousin du Nord, et a une fâcheuse tendance à lui faire la peau ou à lui piquer son territoire en cas de rencontre … Là où le rouquin passe, l’Isatis trépasse ou fait sa valise.
Le Renard polaire change de pelage en fonction des saisons
Génétiquement proche du Renard nain (Vulpes macrotis) et du Renard véloce (Vulpes velox), le Renard arctique comprend 4 sous-espèces, légèrement différentes physiquement. La plus commune d’entre elles, Vulpes lagopus lagopus présente deux “écotypes”, c’est-à-dire deux formes ayant une écologie différente.
L’écotype “Renard à Lemmings” est plutôt continental. Il arbore majoritairement le morphe (apparence, couleur) “blanc”. Il se nourrit, comme son nom l’indique, de Lemmings et d’autres rongeurs. Les populations de Renards polaires sont intimement liées à celles de leurs proies favorites et suivent les mêmes variations que celles des Lemmings.
L’autre écotype, “Renard côtier”, a plus souvent le morphe “bleu”, et se nourrit alors d’oiseaux migrateurs, d’œufs, de poissons, de carcasses de phoques et d’invertébrés marins. Ils suivent parfois les Ours blancs pour se repaître de leurs restes.
Un petit corps trapu adapté au grand froid
Il n’y a pas que sa fourrure isolante qui permet à l’Isatis de vivre au-delà du cercle polaire, à des températures allant jusqu’à -45°C. Ce petit animal a un métabolisme ralenti et une température basse en hiver, afin d’économiser de l’énergie.
Il augmente sa masse graisseuse en automne, jusqu’à 50% en plus, pour stocker de l’énergie, même s’il n’hiberne pas.
Son museau court et ses petites oreilles, à l’exact opposé de ses cousins l’Otocyon (Otocyon megalotis) et le Fennec (Vulpes zerda), permettent de limiter la perte de chaleur (idem pour la Panthère des neiges). Les toutes petites zoreilles limitent la surface d’échange entre le sang chaud et l’air froid, et donc la dissipation de chaleur.
Cette petite merveille d’adaptation pratique aussi la thermorégulation par… les pattes ! Tout comme le Loup gris (Canis lupus), la température de ses coussinets est maintenue juste au-dessus du point de congélation des tissus, à -1°C. Cette faculté vient des poils qui entourent les coussinets. Et aussi d’un réseau vasculaire adapté, où le sang artériel réchauffe le sang veineux (un peu comme le rete mirabile des cétacés).
Le Goupil arctique a pour habitude de dormir en boule (comme les Loups ou les Huskies). Sa queue touffue recouvre ses pattes et son visage.
Tous les Renards polaires muent complètement au printemps et à l’automne. La fourrure très fournie et hyper isolante de l’hiver laisse place à un pelage beaucoup plus fin en été. Le blanc de la collection automne hiver est alors remplacé par le marron de la collection printemps été. Plutôt pratique pour se fondre dans le décor, suivant qu’il s’agit de neige ou de toundra.
Mais c’est dans la neige que notre Isatis marque le plus les esprits. Une croyance populaire finlandaise raconte qu’un Renard polaire fait tourbillonner la neige avec sa queue. Alors, il envoie des étincelles dans le ciel. Ce conte explique ainsi l’origine… des aurores boréales. Cette légende est si populaire que le mot finnois désignant l’aurore boréale revontulet, signifie littéralement “le feu du Renard”.
Pour en savoir plus:
• Le livre “Canidés du monde” , de José R. Castello, éditions Delachaux Niestlé, 2020
• Cet article de Gharajehdaghipour et al., 2016, sur le Renard polaire comme espèce ingénieure (en anglais)
• Le livre “Biology and Conservation of Wild Canids“, par MacDonald et Sillero-Zubiri, 2004 (en anglais)
• Ces articles (1,2,3) sur les adaptations du Renard polaire au froid (en anglais)
• Ces sites (1,2) sur la fourrure de Renard polaire
• Ce site sur les légendes au sujet des aurores boréales
• Ces articles (1,2) sur l’évolution du Renard polaire (en anglais)
• L’article de Angerbjörn, 2000, sur l’alimentation du Renard polaire (pdf en anglais)
• Cet article de Hersteinsson, 2001 sur la chasse au Renard polaire en Islande (en anglais)
• Ce site sur la plante Isatis
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