Qu’il soit de dos, de profil ou de face, l’Oryctérope (Orycteropus afer) ne peut laisser indifférent si on a la chance de l’apercevoir. Comme au temps des chimères du Moyen Âge, on croirait cet animal sorti d’un film fantastique. Lapin ? Cochon ? Kangourou ? Il est un peu de tout cela… Loin d’être un playboy, il joue pourtant un rôle important pour l’équilibre des écosystèmes, par son comportement et son régime alimentaire composé de termites et de fourmis. Rencontre avec ce mammifère timide et méconnu…

Sous nos contrées, ces insectes dont il raffole, détruisent et s’attaquent aux charpentes en bois sans faire face à des prédateurs naturels. A l’inverse, dans les savanes de toute la moitié sud de l’Afrique, elles ont l’Oryctérope du Cap en face d’elles et de leur termitière. Myrmécophage, se régalant de fourmis et de termites, cet animal n’est ni un Fourmilier ni un Pangolin, malgré une certaine ressemblance et des menus communs ! On parle alors plutôt de convergence évolutive. Elle est ici dictée par ce régime alimentaire spécifique. Des griffes puissantes pour éventrer la terre, un museau et une langue allongés pour déloger les termites et les fourmis. Il existe 3 sous-espèces d’Oryctéropes en fonction de leur lieu géographique : l’Oryctorepus afer senegalensis situé en Sénégambie, l’Oryctorepus afer capensis, le plus anciennement connu, présent de l’Afrique orientale et australe jusqu’à l’Angola, et l’Oryctorepus afer aethiopicus habitant la région du Nil blanc et l’Abyssinie. Notre animal à l’apparence fantastique fut décrit pour la première fois en 1766 par le zoologiste allemand Peter Simon Pallas puis par Georges Cuvier en 1798. Son nom vient du grec “oruktêr” “qui creuse”, et “ôps” “apparence”.
L’Oryctérope, un fin limier

Grâce à son long museau flexible, l’Oryctérope qui pèse entre 60 et 80 kg, peut se nourrir jusqu’à 50 000 termites par jour, ou plutôt par nuit car c’est un animal nocturne. Il fouille et repère les termitières grâce à son nez qui contient énormément de récepteurs olfactifs. plus de bulbes olfactifs Le cerveau de l’Oryctérope possède un lobe olfactif également très développé lui permettant d’analyser finement toutes les informations recueillies par les récepteurs. Ce sens particulièrement utile vient compenser sa mauvaise vue. Ses yeux sont néanmoins bordés de poils sensoriels, les fibrilles, qui l’aident à se repérer. Lorsqu’il plonge son museau dans la termitière et retire sa langue collante de 30 cm pleine d’insectes, il est capable de fermer ses narines pour éviter d’être envahi par la poussière ou d’être piqué. Sa peau épaisse est peu poilue.


Insectivore par excellence, il se régale tout en s’hydratant grâce à sa haute teneur en eau d’une variété de concombres sauvages qui pousse sur le sol puis sous terre : c’est le Cucumis humifructus, de la famille des Cucurbitacés. Cette plante est tellement associée à l’Oryctérope qu’en Afrique du Sud, elle porte le nom de “Aardvark cucumber“. L’Oryctérope participe à la dispersion de ses graines si bien que la présence de la plante trahit celle du mammifère.
Toute ressemblance avec un animal existant ou ayant existé…
La silhouette de l’Oryctérope peut surprendre car, comme une chimère, il semble composé de plusieurs animaux. Appelé aussi “Cochon de terre”, traduction de Erdvark ou Aardvark en langue afrikaaner, dû à son museau en forme de groin allongé et à son corps ramassé, il a pourtant un tiers de Lapin à cause de ses longues oreilles et un tiers de Kangourou pour sa longue queue et ses pattes postérieures plus longues que les antérieures. A l’origine, des traces de ses ancêtres ont été découvertes sur le pourtour méditerranéen notamment en Irak, datant de l’Oligocène supérieur. Au nord de Khartoum, des fossiles datés entre 5500 et 4200 avant notre ère ont été retrouvés ainsi qu’au centre du Mali et en lisière sud du Sahara. D’ailleurs il est présent dans l’art rupestre saharien.

Les représentations qui s’en rappochent le plus viennent d’Egypte. Ainsi des vases égyptiens datant de 3000 et 3300 avant notre ère représentent notre mammifère. Des chercheurs s’accordent à penser qu’il pouvait aussi servir de modèle pour le dieu Seth. Il apparaît sur la massue du Roi Scorpion II qui aurait régné au IVe millénaire avant notre ère et sur le tombeau du roi Séthi Ier. Il disparaît d’Égypte à cause des changements climatiques, la savane laissant place au désert du Sahara.
Aujourd’hui, il est très présent en Afrique subsaharienne et en Afrique du Sud, d’où son nom d’Oryctérope du Cap. Dans l’Afrique actuelle, l’Oryctérope est paré de symboles cultuels. Selon les peuples, il est l’animal intermédiaire entre le monde souterrain des morts et le monde visible des humains. Animal fouisseur qui gratte la terre, il est associé aux agriculteurs qui binent la terre ou aux tradipraticiens qui recherchent des plantes médicinales. Chez les Bambaras, les jeunes doivent séjourner dans les terriers de l’Oryctérope lors de leur initiation, pour acquérir endurance et persévérance.

Sur le plan phylogénétique, il est plus proche de la Musaraigne éléphantesque, des Hyracoïdes et des Éléphants que du Pangolin avec lequel on pourrait lui trouver une certaine ressemblance. L’Oryctérope est l’unique membre et survivant de l’ordre des Tubulidentés, littéralement des” dents en forme de tube” ! En effet, l’appartenance à cet ordre est liée à la forme et à la constitution originale de ses dents. Celles-ci contiennent de 1000 à 1500 petits tubes en ivoire, disposés en colonnes parallèles. Cette dentition est dépourvue d’émail et de racine mais composée de vasodentine en forme de prismes hexagonaux. Chaque dent en son centre contient un canal pulpal. Les dents sont en renouvellement continu, ce qui permet de lutter contre l’abrasion par la terre ingérée lors de ses repas de termites. Les jeunes disposent d’incisives et de canines qui disparaissent à l’âge adulte. L’Oryctérope ne mastique pas, mais la majeure partie des aliments sont broyés dans la région pylorique de son estomac.
L’Oryctérope bulldozer

Les prédateurs de l’Oryctérope sont essentiellement le Lion, le Léopard et la Hyène. Pour se protéger, il peut faire usage de ses doigts, quatre sur ses pattes avant et cinq à l’arrière, disposant de longues griffes un peu aplaties en forme de pelle. Ces griffes vont être déterminantes pour se creuser rapidement un terrier en quelques minutes à peine. Il y dort la journée. La nuit, il en sort et peut parcourir plusieurs kilomètres pour chercher sa nourriture. Au bout de quelques jours, il creuse un nouveau terrier pouvant aller jusqu’à 3 m de long. Ces tunnels forment parfois un véritable réseau qui sert alors de lieu pour se reproduire, une véritable architecture souterraine avec plusieurs chambres allant jusqu’à 10 m de long et 3 m de profondeur. Il peut également se servir de trous laissés par des colonies de termites. Lorsqu’il déménage, ses terriers servent alors d’abris à d’autres, tels que les Chacals, les Porcs-épics ou les Phacochères. Pas de crise du logement dans la savane !
Un agent régulateur menacé



Notre mammifère, en plus de laisser ses terriers libres, sert d’agent naturel pour lutter contre la prolifération des fourmis et termites. Cependant, il est une victime collatérale lorsqu’il circule à proximité des lieux habités où l’usage des pesticides réduit à néant sa nourriture. Discret, il est néanmoins chassé pour sa chair, ses griffes et sa peau, en médecine traditionnelle africaine. Alors qu’il est largement représenté sur des timbres-poste comme au Malawi, en Ouganda, en Tanzanie, au Ghana, en Zambie, il subit la fragmentation de son habitat par l’activité humaine et l’assèchement de son territoire, conséquence du réchauffement climatique. Il est également victime de trafic illégal d’espèces sauvages. Souhaitons que cet animal solitaire, dont l’espérance de vie est de 23 ans en moyenne, ne finisse pas uniquement dans les zoos ou collé sur des cartes postales.
Photo d’ouverture : Sortie inhabituelle de l’Oryctérope . Auteur : ©Nick Helm – CC BYE-SA 4.0
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Pour écouter le podcast NOMEN sur l’Oryctérope :
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Sources :
- Bulletin de l’institut français d’archéologie orientale
- Gallica
- EarthTouchNewsNetwork : Aardvark that washed up on Cape Town beach was likely victim of illegal trade
- EarthTouchNewsNetwork : Daytime sightings of elusive aardvarks hint at troubled times in the Kalahari
- Animal Diversity Web
- Mammifèresafricains.org
- IUCNredlist : Aardvark
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