S’il est un poisson qui rivalise haut la main avec le Requin Blanc en terme de réputation sanglante, c’est bien le Piranha ! 1975: “Bruce”, le Grand Requin Blanc devient une star internationale. Se classant no 1 au box-office mondial, le film de Spielberg, “Les Dents de la mer”, inspiré du roman éponyme de Peter Benchley, épouvante des millions de spectateurs à travers le monde. Peu importent les réalités scientifiques et l’impact sur les espèces, on veut du divertissement, du sanglant qui rapporte… Espérant surfer sur cette manne financière, une franchise de 5 films parodiques voit le jour: Piranhas. Dès le 1er volet en 1978, la légende des poissons mangeurs d’hommes se construit.
Le nom Piranha désigne plusieurs espèces de poissons d’eau douce d’Amérique du Sud. Il vient du portugais, lui-même issu du tupi-guarani, formé sur pira “poisson” et ãnha “dent”. D’évidence, encore un nom d’espèce désigné par une métonymie : la partie pour le tout. L’animal est désigné par sa caractéristique la plus voyante.
En 1776, le naturaliste suédois Linné, trouve suffisamment de points communs entre le Piranha noir et le Saumon pour les classer ensemble, dans le genre Salmo. Plus tard, le zoologiste français Lacépède, retire le Piranha de cette famille, et crée un genre à part, mais dont le nom est encore lié au Saumon : Serrasalmus, c’est-à-dire « saumon à dents acérées ». Au sens large, on dénombre environ 80 espèces de Piranhas dont les 3⁄4 sont de paisibles herbivores. Ils font partie de la famille des Characidés, et de la sous famille des Serrasalmidés. Ceux qui ne sont pas phytophages mangent surtout des Crevettes et des petits poissons.
Leur réputation de voracité tient probablement au fait que, lors de la saison sèche, l’Amazone peut baisser de près de 10 mètres par endroits. Prisonniers de mares où oxygène et nourriture viennent rapidement à manquer, les poissons finissent par s’entre-dévorer. Ce comportement, au demeurant assez rare, a été très largement médiatisé au début du 20ème siècle.
Explorateurs, colons et aventuriers de tout poil se doivent de revenir d’expédition avec des histoires forgeant leur légende. En 1913, c’est l’ancien président des États-Unis Theodore Roosevelt qui se lance à l’assaut de l’Amazonie. En 1914, il décrit dans son ouvrage Through the Brazilian Wilderness une attaque de Piranhas. Pour l’occasion, les poissons ont été affamés par les locaux, afin que la rencontre soit marquante pour l’ex-président. Et ça marche ! Les poissons se jettent sur une vache qu’on leur donne, ce qui inspirera quelques lignes à Roosevelt.
“Ce sont les poissons les plus féroces du monde […] ils mutilent les nageurs […] ils déchireront et dévoreront vivant tout homme ou toute bête blessée ; car le sang dans l’eau les excite à la folie”
Theodore Roosevelt
L’image du banc de Piranhas attaquant de pauvres humains pour les dévorer était née. Pourtant chez les Piranhas le mode de prédation diffère fortement d’une espèce à l’autre mais aussi en fonction de l’âge de l’individu et de la saison. Ainsi le Piranha à ventre rouge est plutôt solitaire, il consomme environ 2,5 grammes de chair de poissons ou de mollusques par jour. En ce qui concerne les espèces carnivores, leur rôle écologique est important puisqu’elles nettoient les rivières des cadavres ou s’attaquent à des proies faibles et malades. Leur technique de nourrissage “à la chaîne” (chacun donnant un coup de dent puis reculant pour laisser la place à un congénère) leur permet de nettoyer une carcasse à une vitesse vertigineuse.
L’attaque des Piranhas volants
Quoi de mieux pour faire frissonner les cinéphiles qu’une créature dévoreuse de randonneurs … quitte à piétiner les réalités scientifiques. Après le premier opus de 1978, dans le deuxième, les Piranhas volent. Mais au delà de la blague, les Piranhas attaquent-ils vraiment dans la réalité ?
Parmi les espèces “chasseuses” emblématiques, nous pouvons citer le Piranha à ventre rouge, Pygocentrus nattereri. Avec ses dents pointues et sa mâchoire supérieure qui s’encastre parfaitement dans l’inférieure, il est capable de découper à peu près n’importe quoi et peut donc infliger de sévères blessures.
Le Piranha Noir, Serrasalmus rhombeus, fait partie des espèces que l’on préfèrera éviter lors de la baignade. Sa mâchoire est l’une des plus puissantes du règne animal comparée à sa taille. Sa morsure peut exercer une force équivalente à 30 fois son poids. Il s’agit aussi de la seule espèce solitaire pouvant être dangereuse.
Le Piranha aux oreilles noires, Pygocentrus cariba, possède quant à lui une réputation particulière puisque son surnom anglais est donkey castrator (“castrateur d’âne” en français)… Vous avez l’image ?
Enfin, le Piranha de San Francisco, Pygocentrus piraya, complète ce tableau. Il s’agit d’un des plus grands Piranhas : 50 cm. Son nom vernaculaire anglais est man-eating Piranha, le “Piranha mangeur d’homme”. Cependant, si un fait divers d’attaque de Piranhas a défrayé la presse en 2013 en Argentine au bord du fleuve Parana, aucune attaque mortelle n’a jamais été recensée depuis le XIXe siècle. Le seul cas mortel avéré date de 1870. Le Brésil et le Paraguay sont en guerre. Des soldats blessés tentent de traverser le Rio Paraguay et n’atteindront jamais l’autre rive.
Au même titre que des créatures fantastiques comme le Loup-Garou, le Piranha est, dans notre imaginaire collectif et la pop culture, un monstre assoiffé de sang. Il a d’ailleurs inspiré un personnage de comics en 1974 : “The Piranha”, super vilain de l’univers Marvel. Pourtant, les populations locales ne le craignent pas. La plupart des habitants, femmes et enfants compris, se baignent dans des eaux où il est présent. Le risque d’attaque sur un humain est infime. Dans ces mêmes fleuves, Gymnotes, Caïmans ou Anacondas sont beaucoup plus redoutés.
Les Piranhas aboient, la pirogue passe
Les Piranhas appartiennent au groupe des Characiformes, tiré du grec kharax. Ce nom désigne plusieurs poissons et dérive lui-même du verbe kharassein “aiguiser, entailler, inciser, déchirer”. Ils appartiennent à cet ordre car ce sont des Ostariophysaires, c’est-à-dire qu’ils sont caractérisés par la présence d’une chaîne de petits os (les osselets de Weber) qui relient le bord antérieur de leur vessie natatoire à l’oreille interne, améliorant ainsi leur capacité auditive (comme pour les Siluriformes).
Dotés d’une vue perçante et d’un bon odorat, les Piranhas ne sont pas seulement sensibles aux vibrations et aux sons dans l’eau. Ils en émettent aussi grâce à des muscles situés entre leurs trois premières côtes et leur vessie natatoire.
“On a longtemps cru que la vessie natatoire était l’organe clé de la production de sons chez les poissons“, explique Eric Parmentier, directeur du Laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive de l’université de Liège. “La vessie est entourée d’un muscle – le muscle sonique – qui possède une incroyable capacité de contraction : jusqu’à 150 fois par seconde ! En réalité, la vessie ne fait que répondre à la contraction musculaire.“
Les chercheurs ont identifié trois sons liés à l’agressivité du poisson. Le premier se nomme « frontal display ». Quand deux Piranhas se font face, ils émettent une sorte d’aboiement. Si cette intimidation n’est pas suffisante, le Piranha tourne autour de son adversaire et produit un bruit apparenté à un battement de tambour. Enfin, si la démonstration de force s’est avérée inefficace, il commence à claquer ses mâchoires dans le vide. Ce troisième son, contrairement aux deux premiers, est produit par la bouche de l’animal.
Les Piranhas préhistoriques
L’Amazonie est un territoire qui a de nombreux secrets à révéler et on y découvre régulièrement de nouvelles espèces animales. Parmi les centaines d’espèces remarquables découvertes: Tometes camunani, un Piranha “végétarien”, pouvant mesurer jusqu’à 50 cm et peser 4 kg. Mais la trouvaille qui mérite toute notre attention est celle d’un fossile de poisson, trouvé par des chercheurs (affiliés au Musée du Jura à Eichstätt) dans la carrière d’Ettling, au sud de l’Allemagne. Il aurait vécu il y a plus de 150 millions d’années ! Il s’agirait du premier poisson osseux à avoir mangé… d’autres poissons ! Ses dents rappellent étrangement celles du Piranha. Les poissons retrouvés à ses côtés semblent avoir perdu leurs nageoires à cause d’une morsure.
”Nourrissez-vous d’un poisson et il meurt; grignotez ses ailerons et vous avez de la nourriture pour l’avenir” .
David Bellwood de l’université James Cook (Australie)
Cependant, contrairement aux Piranhas modernes qui vivent tous en eau douce, Piranhamesodon pinnatomus évoluait dans une mer tropicale. Quant aux fossiles des ancêtres des Piranhas des rivières, ils datent de 25 millions d’années, mais le Piranha moderne semble être apparu il y a 1,8 millions d’années. Au sein des différentes espèces de Piranhas, on peut observer des différences anatomiques dentaires notables. Bien que les Serrasalminae présentent des dents bien plus acérées que les Myleinae, ils ont une origine carnivore commune. Les Piranhas semblent avoir subi une évolution accélérée lorsque l’océan Atlantique a submergé les basses terres. Isolées dans les cours supérieurs des rivières, les populations survivantes auraient suivi des directions évolutives différentes.
Le prédateur prédaté … par qui ?
Aujourd’hui le Piranha ne connaît que trois prédateurs : le Caïman, le Dauphin rose de l’Amazonie et … l’Homme. Une des menaces qui pèse sur lui, et sur les populations autochtones qui s’en nourrissent, est la pollution aux métaux lourds. L’orpaillage illégal en Amazonie est un véritable fléau car le mercure utilisé pour amalgamer l’or est un polluant neurotoxique qui se concentre le long des chaînes alimentaires et atteint des concentrations particulièrement élevées dans la chair des poissons carnivores.
Mais, n’oublions pas que les espèces de Piranha carnivores sont finalement une minorité.
Les Kumarus, qui nagent dans le haut Maroni, sont forts appréciés des indiens Wayanas. Ces poissons de la famille des Piranhas, possèdent des dents arrondies qui correspondent bien peu à l’image que l’on s’en fait mais qui sont bien adaptées à leur régime alimentaire “végétarien”. Avantage non négligeable puisque, contrairement à leurs cousins carnivores, ils n’accumulent pas de mercure.
Pour finir, n’oublions pas un autre prédateur, plus discret… Le célèbre Marsupilami ! Houba, houba ! Le Piranha fait partie des mets préférés de Marsupilamus franquini !
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Pour écouter l’épisode de Nomen sur le Piranha:
https://smartlink.ausha.co/nomen/s03e11-l-histoire-du-piranha-veggie
Pour aller plus loin:
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