Derrière ce nom effrayant, Vampire des abysses, se cache en réalité un petit Céphalopode, un cousin des Poulpes qui mesure au maximum 30 centimètres. Bien que vivant dans les océans des zones tempérées et tropicales, il est peu connu, car il vit à des profondeurs de plus de 650 mètres. Cette zone où la lumière du soleil n’éclaire plus l’océan et où l’obscurité règne est appelée zone aphotique. Pourtant, là où on ne les attend pas, des lueurs luisent dans les abysses. De mystérieuses créatures, comme le Vampire des abysses, vivent dans ce monde si éloigné du nôtre mais auquel nous sommes pourtant étroitement liés.
Que cache le Vampire des abysses ?
Ce nom désigne une espèce de Céphalopode qui est l’unique représentante de l’ordre des Vampyromorphida, un ordre d’Octopodiformes (les Céphalopodes à 8 bras). Ce Céphalopode a des membranes qui relient ses 8 bras, mais aussi 2 nageoires sur la tête qui l’aident à se déplacer. Il possède également 2 longs filaments sensoriels, ce qui le différencie des Pieuvres et autres Octopodiformes. En raison de son nom scientifique, Vampyroteuthis infernalis semble effrayant. Cela est peut-être dû aux nombreuses épines dont ses bras sont dotés. Cependant, il se nourrit principalement de cadavres et de matière organique présente dans l’eau, ses épines ne sont pas synonymes de “prédateur agressif”. D’ailleurs, lorsqu’il se sent menacé, il adopte une position défensive appelée “posture de l’ananas”. Ses bras et la membrane qui les relie entourent sa tête et ses nageoires, révélant alors au grand jour ses fameuses épines. En parallèle, il peut utiliser la diversion comme moyen de défense, à l’instar des pieuvres lorsqu’elles rejettent de l’encre. En revanche, c’est un mucus lumineux, qu’il “crache” dans les abysses obscures, afin de détourner l’attention de ses prédateurs.
Le Vampire des abysses est une espèce panchronique, tout comme le Nautile, un Céphalopode portant une coquille. Cela signifie qu’il ressemble morphologiquement à d’autres espèces aujourd’hui éteintes et que l’on trouve uniquement fossilisées. L’une de ces espèces, Vampyronassa rhodanica, plus petite que notre Vampire des abysses, semblait chasser des proies vivantes en les attrapant avec de robustes ventouses.
De la lumière dans les abysses
Le Vampire des abysses a des yeux très développés, et voit malgré l’obscurité des couches d’eau qui l’entourent. Mais il n’est pas le seul à avoir une bonne vision et pour passer inaperçu, il a développé des astuces de camouflage hors du commun. Alors que la Seiche flamboyante ou d’autres Céphalopodes modifient la couleur de leur peau, le Vampire des abysses se dissimule par contre-illumination. Grâce à des cellules bioluminescentes présentes sur tout son corps il reproduit la couleur de l’eau autour de lui !
Un être vivant est bioluminescent si il émet de la lumière, créée par des réactions chimiques ayant lieu dans son corps. Ce sont des molécules appelées luciférines qui assurent ce mécanisme. Leur nom est dérivé de Lucifer, qui signifie “porter” (ferre) “la lumière” (lux) d’après l’étymologie latine. La plupart des organismes bioluminescents sont marins, et l’on retrouve cette faculté chez des poissons, mollusques, méduses, bactéries… Selon une étude de 2017, au moins 69% des organismes marins vivant dans la colonne d’eau* seraient bioluminescents. Une telle capacité peut répondre à divers besoins : communiquer entre individus, attirer des proies ou distraire un prédateur, comme ce serait le cas chez le Vampire des abysses. Parmi les organismes terrestres bioluminescents, il y a certains champignons et les fameuses lucioles.
À ne pas confondre : la fluorescence et la phosphorescence sont des phénomènes durant lesquels des particules émettent de la lumière pendant qu’elles sont “excitées” par de la lumière ou après l’avoir été (comme les étoiles au plafond d’une chambre).
Comment vivre lorsque l’oxygène se raréfie ?
Le Vampire des abysses vit dans des zones de minimum d’oxygène (OMZ de l’anglais oxygen minimum zone), où, comme leur nom l’indique, la teneur en oxygène dans l’eau est très basse. Il est adapté à cette contrainte de plusieurs manières. Premièrement son sang qui transporte très efficacement l’oxygène, bien mieux que celui d’autres Céphalopodes. Ensuite, il possède des branchies de grande taille qui extraient le peu d’oxygène présent dans l’eau. Enfin, sa musculature est peu développée. Il ne pourrait pas effectuer de migrations comparables à celles du Calmar volant mais il économise ainsi de l’énergie et de l’oxygène.
Les OMZ se forment dans des conditions particulières. Tout d’abord, les sources d’oxygène dans l’océan se trouvent en surface : soit il entre dans l’eau et se dissout depuis l’atmosphère soit il est le produit de la photosynthèse que des micro-algues effectuent. En profondeur, aucun de ces deux processus n’a lieu. Lorsqu’en surface de nombreux organismes se développent, ils constituent à leur mort ce que l’on appelle la neige marine. C’est la chute par gravité vers les profondeurs des corps de ces micro-organismes, du phytoplancton par exemple. Cette neige marine est une source de nourriture notamment pour les bactéries. Celles-ci n’ayant pas besoin de lumière, elles peuvent vivre aussi bien en surface qu’en profondeur. Elles consomment de l’oxygène en respirant, à l’instar des humains. Plus il y a de neige marine, plus les bactéries se développent et plus elles utilisent d’oxygène : une zone de minimum d’oxygène est formée. Le Vampire des abysses se nourrit lui-même de neige marine. Il attrape les petites particules et organismes morts à l’aide de ses deux longs filaments aux extrémités “collantes”.
Ce Céphalopode n’est pas le seul à cacher des secrets et adaptations étonnantes, ou même à vivre en profondeur. Les abysses ne manquent pas d’espèces curieuses et intéressantes, parfois effrayantes, comme les poissons lanternes, qui sont également bioluminescents. Mais aucun n’a un nom tout droit sorti de l’enfer comme Vampyroteuthis infernalis.
*Ce pourcentage ne comprend pas les espèces qui se déplacent et vivent sur le fond.
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Pour écouter les épisodes de Petit Poisson Deviendra Podcast sur les Céphalopodes :
- S02E38 : Y’a un os… ou pas ? L’album de famille
- S02E39 : Le Calmar… volant ! Si si ! ça existe !
- S02E40 : La Seiche flamboyante, le top modèle de la famille
- S02E41 : Le Vampire des abysses
Vous trouverez également ici 2 épisodes avec Marjorie Roscian, spécialiste des Céphalopodes :
Sources :
- Photos organismes bioluminescents (de gauche à droite, de haut en bas) : Siphonophores, ©Steve Haddock MBARI 2017 ; méduse du genre Aequorea, ©Kevin Raskoff MBARI 1999 ; Calmar luciole © Michael Ready ; Ver de feu des Bermudes ©Dimitri Deheyn, Scripps Institution of Oceanography, UC San Diego ; Cténophore ©Orin Zebest ; poisson de la famille des Sternoptychidae ©David Shale.
- https://www.mbari.org/animal/vampire-squid/
- Article scientifique sur la bioluminescence, S. Martini et S. Haddock, 2017
- Article scientifique sur les zones de minimum d’oxygène, A. Long et al, 2021
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