Le Loup d’Éthiopie, par ailleurs dénommé Loup d’Abyssinie en référence au nom historique de l’Empire désignant à l’origine ce pays, est une espèce en danger. Il est considéré comme le troisième canidé le plus rare au monde après le Renard de Darwin et le Loup rouge, soit dix fois plus rare que la fantomatique Panthère des neiges… S’il y en a donc bien un qui n’est pas aussi connu que le Loup blanc, c’est certainement le Loup d’Abyssinie !
C’est sur le toit de l’Afrique que s’est rendu le photographe animalier Adrien Lesaffre.
Il y a observé le Loup d’Éthiopie, aussi appelé Loup d’Abyssinie, ce loup « en habits de renard ».
Il s’agit d’un animal au comportement remarquable, vivant dans un environnement incroyablement beau et riche.
Toutefois, sous l’influence d’une activité agropastorale de subsistance qui s’étend, les territoires de cette espèce disparaissent comme peau de chagrin.
Les populations de loups sont d’ores et déjà reléguées à des altitudes comprises entre 3.000 et 4.500 mètres.
En effet, seuls 450 individus environ survivent aujourd’hui dans cette région montagneuse de la Corne de l’Afrique.
Cette espèce répertoriée comme « en danger » figure sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN.
Fraichement débarqué d’un nouveau séjour dans le sud-est de la Vallée du Rift, Adrien nous partage l’état actuel des populations de loups sauvages qui s’y trouvent.
Un loup parmi les loups ?
Le Loup d’Abyssinie (Canis simensis) vient compléter la liste des cinq espèces de loups qui existent dans le monde.
Parmi lesquelles figurent aussi le Loup gris (Canis lupus), le Loup de l’Est (Canis lycaon), le Loup africain (Canis anthus) et le Loup rouge (Canis rufus).
« Les récents progrès en analyses génétiques ont mis en lumière que le Loup d’Abyssinie est plus proche du Loup gris », nous confie Adrien.
« Il a évolué de son ancêtre, arrivé par le nord du continent africain depuis l’Eurasie voilà plus de 100.000 ans. Des fossiles de canidés datant de la fin du Pléistocène en attestent. En revanche, aucun fossile du genre simensis n’a pour l’heure été trouvé. »
Endémique et hors norme
Il existe en réalité deux sous-espèces du Loup d’Éthiopie :
- Canis simensis simensis, vivant sur les plateaux du nord-ouest du pays (région des monts Simien).
- et Canis simensis citernii qui réside au sud-est (région des monts Balé).
Autrement dit des individus qualifiés d’endémiques, qui ne vivent donc nulle part ailleurs.
Soulignons en premier lieu leur physique hors du commun : le côté chic du renard au pelage teinté de roux et de blanc, allié à de longues oreilles semblables à celles du fennec.
Ensuite, ils se distinguent des autres espèces de loups de par leurs comportements singuliers.
Un système social inhabituel qui combine l’éducation coopérative, la socialité intense et la recherche solitaire de nourriture.
Alors que les Loups gris chassent en équipe, les Loups d’Éthiopie eux, se nourrissent généralement seuls !
Ce comportement atypique s’explique par le fait qu’ils se soient spécialisés dans la chasse aux petits rongeurs.
En effet, ces derniers ne justifient pas le recours à des traques de groupes d’espèces-cibles qu’il serait nécessaire d’encercler.
Ce qui permet donc aux loups de chasser en solo.
Et c’est une véritable armée de rongeurs qui tapisse les galeries souterraines des landes afro-alpines du Parc National de Balé.
Là, le rat-taupe géant – leader sur le marché – fait office de mets de choix !
Notons que le Loup d’Abyssinie porte aussi l’intitulé de Chacal du Simien, en référence au Gélada, un primate qui fait fuir les rongeurs et autour duquel le loup rôde pacifiquement pour mieux chasser ses proies.
L’homme est un loup pour… le Loup d’Abyssinie !
Le déclin de Canis simensis est reconnu pour deux motifs principaux.
Tout d’abord, les activités humaines toujours plus prégnantes favorisent le reflux des territoires du loup vers de plus hautes altitudes.
Avec en tête de liste un agropastoralisme en essor entraînant son lot de désagréments, comme l’explique Adrien :
« L’agriculture de subsistance s’étend. Palliant entre autres à la sécheresse, l’homme ira plus haut pour atteindre les prairies verdoyantes nécessaires à ses troupeaux. »
Un surpâturage lourd de conséquences : tassement des sols, pollution des eaux, moins d’herbes pour les rongeurs, donc moins de proies, mais surtout plus de chiens.
Le chien de berger, voilà justement une autre source de danger encouru par les loups : on n’a pas laissé le loup entrer dans la bergerie, c’est plutôt le chien qui s’invite de la partie chez le loup !
Foyers d’épizooties chroniques, les chiens domestiqués véhiculent non seulement rage et maladie de Carré.
Ils représentent aussi de sérieux prétendants à l’hybridation, car perçus comme des dominants par les chefs de meutes.
Dès les années 1990, les travaux du biologiste Claudio Sillero-Zubiri et de la zoologiste Dada Gottelli ont démontré qu’une partie des loups observés disposaient déjà de signes notoires de dégénérescence.
Sauver le Loup d’Abyssinie
Heureusement, des solutions alternatives au pastoralisme sont à l’œuvre.
«Le pays se bat avec le concours d’associations locales et d’organisations comme l’Ethiopian Wolf Conservation Programme (EWCP) qui œuvrent à développer des activités traditionnelles en adéquation avec l’environnement et sa préservation» détaille Adrien.
Un bon exemple est la gestion durable des fétuques (plantes de la famille des graminées) par les communautés autochtones au sein de « territoires de vie », ce qui a notamment permis le retour des rongeurs, proies favorites du loup.
L’apiculture s’avère être aussi une aide précieuse dans la préservation du loup : « Au cœur même de l’habitat du loup et du Nyala des montagnes, de nombreuses personnes issues de différentes communautés bénéficient d’une formation et de matériel pour produire un miel de qualité. Cette action positive de l’implantation de nouveaux apiculteurs dirige vers un projet de conservation viable et durable », s’enjoue le photographe animalier.
Le combat fait rage
Pour pallier les épisodes rabiques récurrents qui ont régulièrement décimé de nombreux individus de loups, de vastes programmes de vaccinations orales non invasives ont été mis en place.
Selon Adrien, cette nouvelle technique est moins stressante pour les animaux alors capturés pour une injection, et semble être une méthode d’avenir pour la préservation de l’espèce.
Enfin, pour faire face aux menaces de croisements naturels entre espèces différentes qui planent sur le Loup d’Abyssinie, les individus résultants d’un « mariage contraint » entre une louve et un chien de berger sont définis et retirés de la vie sauvage.
Capturer un petit contingent de loups génétiquement non « pollués » fait aussi partie des solutions avancées, dans le but de constituer un noyau d’élevage pouvant servir de réservoir sain à l’espèce.
Suite à son dernier voyage le mois dernier, Adrien témoigne : « Les loups sont un peu moins bien en termes de nombre, mais cela n’est pas catastrophique pour le moment avec 450 adultes et subadultes pour cette année 2022. »
On l’aura compris, la bataille pour la préservation du Loup d’Abyssinie sur les hautes contrées éthiopiennes n’est pas encore gagnée.
______________
Adrien Lesaffre est Photographe Animalier & Spécialiste du Loup d’Abyssinie 🦊
Nous le remercions pour les propos rapportés ainsi que ses magnifiques photos (Droits Réservés).
Vous pouvez contacter Adrien via son compte LinkedIn et son site web.
______________
Retrouvez tout l’univers Terra Nostra au travers de l’ensemble des publications disponibles sur notre page LinkedIn.
Pour écouter les épisodes dédiés au loup :
Baleine sous Gravillon
Combats
Petit Poisson deviendra Podcast
Nomen
France Culture | Mécaniques du Vivant