Le Pangasianodon, Panga pour les intimes, est devenu un incontournable de la grande distribution. Principal produit d’exportation du Vietnam, ce poisson traîne dans son sillage une réputation sulfureuse. Bon marché, ce poisson est consommé en masse en Europe. Entre hoax et guerres de producteurs aquacoles, quelles sont les réalités de l’élevage du Panga ?
Nous sommes au Vietnam, dans le delta du Mékong. D’une superficie de 40.000 km2, cette partie du pays est une zone de prédilection pour l’aquaculture. Habité depuis plus de 2.000 ans, le “delta des 9 dragons” a une tradition séculaire de pêche et de pisciculture. Aujourd’hui, cette pratique concerne 24 espèces de poissons qui sont élevées, selon les espèces, dans des rizières, des étangs ou en cages flottantes. La star incontestable de ces élevages en cage : le Panga. C’est le naturaliste écossais Francis Hamilton Buchanan qui, en 1822 s’inspire de l’hindi et du bengali pour baptiser un poisson pêché dans le Gange : Pangasius.
Aujourd’hui le nom Panga désigne près d’une trentaine d’espèces, dont Pangasius bocourti et Pangasianodon hypophthalmus qui sont celles que nous retrouvons sur les étals européens. Cette dernière a vu son nom scientifique évoluer. Ainsi il est passé de Pangasius hypophthalmus à Pangasianodon hypophthalmus, littéralement le “panga sans dents avec l’œil en dessous “, du grec an (sans), odon (dents), hypo (sous) et phtahlmus (de ophthalmós “oeil “). C’est comme le Port-Salut, c’est écrit dessus !
Tous sont des Poissons-chats et font partie de la famille des pangassidés. Un des plus gros poissons d’eau douce de la planète est un Panga, le poisson-chat géant du Mékong Pangasianodon gigas. Endémique du fleuve Mékong, il détenait jusqu’en 2022 le record d’Asie du Sud-Est du plus grand poisson jamais pêché en eau douce : 3m pour 293 kg. Il a été détrôné depuis par une Raie Boramy de 4m de long pêchée au Cambodge. Comme tous les Poissons-chats, le Panga n’a pas d’écailles et possède des barbillons rappelant les moustaches de nos amis félins ! Les Poissons-chats (y compris les Silures) représentent près du quart des poissons peuplant les eaux du globe terrestre. À eux seuls, ils représentent 5 % des vertébrés vivants sur la planète. En gros 1 vertébré sur 20 que vous croisez est un poisson-chat !
Poussée de croissance !
Depuis le début des années 1990, la production de Panga connaît une croissance fulgurante : la chair blanche de ce poisson, qui contient peu d’arêtes, est désormais une des plus consommées au monde. En France, plus de 1.200 tonnes sont consommées chaque année. Avec un prix aux alentours des 10€ le kilo, il est, avec la Perche du Nil, un des poissons les moins chers du marché. Chaque Français consomme en moyenne 24 kg de poisson par an. Cependant à peine 500 g, soit 1,73%, proviennent de la pisciculture française. Le reste est issu de la pêche, française et étrangère, et de la pisciculture internationale. L’Asie est le chef de file de ce marché avec près de 90 %, dont 65 % de poissons, de la production aquacole mondiale (hors algues) !
Le Vietnam exporte le Panga vers plus de 120 pays et a dépassé les 2 milliards de chiffre d’affaires en 2023. Pas vraiment de la roupie de sansonnet ! Certains ne s’y trompent pas, la société Vinh Hoan, numéro 1 de la pisciculture de Panga au Vietnam, compte parmi ses actionnaires le fonds d’investissement Red River Holding … une filiale d’Artémis, la holding contrôlée par le milliardaire français François Pinault. Désormais, on “produit ” du poisson, comme n’importe quelle autre marchandise et l’élevage intensif est la norme.
Petit Panga deviendra grand
Au Vietnam, jusqu’en 1995, l’approvisionnement des Pangasius bocourti et de Pangasius hypophthalmus, élevés en étangs et cages flottantes, était assuré par la capture de juvéniles sauvages. Les alevins étaient récupérés au Cambodge et en Thaïlande où les poissons migrent pour se reproduire. La pression sur les populations sauvages de poissons est telle qu’elle met alors en péril la survie de l’espèce.
Dès la fin des années 1950, des reproductions en captivité sont testées pour le Panga, sans qu’elles ne soient applicables à grande échelle. Il faut attendre le milieu des années 90 et la collaboration du CIRAD et de plusieurs organismes français et vietnamiens pour que la technique de reproduction du Panga en captivité soit enfin maîtrisée. Une des clés de cette réussite est l’utilisation d’une hormone, l’hCG, afin d’induire l’ovulation et la spermiation des poissons. Les résultats sont positifs puisque la production d’alevins passe de 50.000 tonnes en 1996 à 200.000 tonnes en 2003. En plus de son taux de fécondité élevé, le Panga possède un autre avantage. En effet, à l’état sauvage il peut survivre dans des milieux où l’oxygène se fait rare car il est capable de profiter de l’oxygène atmosphérique en complément de celui dissous dans l’eau.
Cet atout est aussi ce qui a intéressé les producteurs et investisseurs : il est possible d’obtenir des rendements élevés, jusqu’à 1.000 tonnes par an et par hectare. Leur “densité record” est difficilement comparable à celle d’autres poissons. En effet, la densité de peuplement de Pangas est rapportée non pas en kg de poissons par mètre cube comme c’est le cas en général dans les élevages occidentaux, mais en nombre de poissons par mètre carré ou en tonnes à l’hectare. Un changement d’échelle de grandeur important ! Les étangs, filets et cages où ils sont élevés sont profonds de 3 à 6 m. Avec une telle variabilité, l’espace réel disponible pour le Panga est inconnu. Mais il est souvent plus facile de voir la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans le sien et les reproches faits à ce poisson sont ceux que l’on peut faire à l’ensemble de la filière. Les Panga n’ont sûrement rien à envier aux conditions de vie des Saumons qui finiront sur les tables de fin d’année.
Un poisson bien élevé ?
Depuis 15 ans, le succès économique de la filière Panga fait face à de nombreuses critiques. Qu’un filet de poisson congelé et traité aux polyphosphates pour “être plus blanc que blanc” parcoure plus de 9.000km… cela pose question. Mais les messages d’alertes et les articles concernant le Panga sont tous plus effrayants les uns que les autres. “Panga : Danger”, “Faut-il avoir peur du Panga?”. Les mots clés de recherche sur le web sont tout aussi rassurants : “Panga poubelle “, “Panga urine“. Une des premières critiques qui est faite concernant le Panga est la méthode d’élevage intensif.
Si la critique est justifiée, le choix des mots est important et le mythe du “Panga élevé dans les égouts” semble trouver un public sur le web. Une grande majorité des articles dédiés au Panga font dans le sensationnel et dénoncent l’utilisation “d’urine de femme enceinte déshydratée”. Ce dont ils parlent réellement est l’hCG, une hormone utilisée en Europe et en France dans les élevages, équins notamment, sans que cela ne semble vraiment scandaleux. De plus, parmi les campagnes de dénigrement du Panga, il est intéressant de voir d’où parlent les lanceurs d’alerte. En 2013, un message intitulé “Ne jamais acheter cette saleté !” a été relayé plus de 50.000 fois sur Facebook. Contre-vérités scientifiques et relents de racisme anti-asiatiques se mélangent dans ce hoax, debunké depuis à de nombreuses reprises.
Derrière certains messages, on retrouve la puissante filière du Poisson-chat états-unien. Grâce à des spots publicitaires qui dénoncent le Made in China (pour l’U.S. Farm-Raised Catfish, Vietnam et Chine c’est du pareil au même !), les producteurs états-uniens tentent de faire peur aux consommateurs afin de protéger leurs propres intérêts. Parmi les arguments choc : la dénonciation d’utilisation de farines de poissons dans les élevages vietnamiens… qu’ils utilisent eux aussi, tout comme les producteurs européens !
L’aquaculture est la production animale qui connaît le développement le plus rapide au niveau mondial. Ce marché, très concurrentiel attire toutes les convoitises. La guerre économique qui se joue peut avoir un atout : celui de mettre en lumière la filière aquacole. Il est nécessaire de questionner les quotas de pêches, les conditions d’élevages, l’utilisation de farines animales, l’impact écologique de nos consommations… Le Panga sera-t-il le poisson qui fera prendre conscience au consommateur qu’un des meilleurs moyens d’action qu’il possède est son portefeuille ?
“Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas !”
Coluche
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Pour écouter l’épisode de Nomen : S03E15 : Le Panga : tout un sketch… sur l’aquaculture
Retrouvez les épisodes de Petit Poisson Deviendra Podcast sur les plus gros poissons d’eau douce :
- S02E02 : Esturgeon béluga et blanc, Raie et Poisson-chat géants du Mékong
- S02E03 : Arapaïma d’Amazonie, Perche du Nil et Carpe géante du Siam
- S02E04 : Silure, Saumon taimen et chinook et… Requin-bouledogue (en eau douce oui !)
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