Le Dragon bleu des mers mérite bien son nom ! Ce Gastéropode, une Limace des mers, fascine tant par sa silhouette hors du commun que par son mode de déplacement sur l’eau et son régime alimentaire. Celui-ci, composé de proies toxiques, lui permet de devenir à son tour venimeux et de se protéger de ses propres prédateurs. Pour les humains ou pour tout autre être vivant, qui s’y frotte, s’y pique !
Si vous êtes accro aux Pokémons, alors le Dragon bleu des mers pourrait devenir une de ces créatures fantastiques ! Avec des couleurs vives et marquées, d’un bleu argenté, le Glaucus atlanticus, appartient à la famille des Glaucidae de l’ordre des Nudibranches (les branchies sont nues, non protégées par une coquille ou un manteau). Cette “Hirondelle des mers” – autre appellation du Dragon bleu des mers, due à sa forme effilée – n’est pas benthique. En effet, Glaucus atlanticus préfère la surface et les organismes qui y vivent contrairement à un autre Nudibranche, Pteraeolidia semperi. Ce dernier est appelé aussi “dragon bleu” mais se déplace sur le fond marin.
Une silhouette fantastique proche d’un futur Pokémon
Vous avez dit “dragon” ? Un modèle réduit en réalité, puisqu’il mesure seulement entre 3 et 4 cm. La comparaison avec le géant des légendes tient à sa physionomie ! Dès 1805, le naturaliste Georges Cuvier ne tarissait pas d’éloges sur sa silhouette : “Le charmant animal qui forme le genre “Glaucus” a dû frapper tous les naturalistes navigateurs par la grâce de ses formes et par l’éclat et l’agréable assortiment de ses couleurs “. Qu’en est-il vraiment ?
Ce Gastéropode possède un corps allongé et aplati se terminant par une queue effilée. De part et d’autre de celui-ci, des appendices (jusqu’à 84 !) ressemblant à des doigts plats que l’on appelle cérates (ou cerata) sont rassemblés en paires. Ils sont implantés perpendiculairement au corps et disposés en éventail. Les deux premières paires de cérates sont portées par un pédoncule. La troisième n’en a pas mais peut être fusionnée avec une 4ème paire. Les cérates (de l’origine grecque [kerat] qui signifie “corne”) servent de ramifications digestives, mais aussi à l’oxygénation, à la reproduction et même à l’autodéfense.
S’il est attrapé ou menacé, Glaucus atlanticus, tel un lézard avec sa queue, peut se séparer d’un ou de plusieurs cérates à l’aide de muscles – les sphincters – situés à la base de ceux-ci. Il pratique ce qu’on appelle ‘l’autotomie’.
Pour terminer ce portrait digne de créatures fantastiques, le Dragon bleu des mers possède une petite tête peu distincte du reste du corps, terminée à l’avant par une bouche disposée sur sa face ventrale. Des tentacules oraux sont accrochés sur les côtés. Deux petites sortes d’antennes argentées et grises (rhinophores) complètent la tête sur la face dorsale. Elles sont utilisées pour analyser les flux et la composition chimique de l’eau. Ces organes fragiles, communs aux nudibranches, sont essentiels. Et ses yeux ? Ce sont deux organes minuscules, tels des petites cloques cutanées, mesurant à peine 15 µm de diamètre… un sens ici peu développé pour un dragon, qui lui sert tout juste à percevoir le clair de l’obscur.
Un dieu du camouflage… qui fait la planche
Animal pélagique, le Dragon bleu des mers ne règne pas dans les profondeurs abyssales comme les Pokémon Lugia ou Kyogre. Ce Mollusque ne vit pas sous l’eau, contrairement à ses congénères, mais flotte à la surface, le ventre à l’air, se mêlant au pleuston, l’ensemble des êtres vivant à la surface de l’eau.
Dangereuse pour lui cette position ? Pas le moins de monde car il obéit à la Loi de Thayer ou de coloration conforme. Cette loi observable chez de nombreuses espèces marines désigne un camouflage passif. La Sardine, comme le Grand requin blanc, possède un dos de couleur foncé alors que le ventre est clair. Du coup, un observateur situé au-dessus de l’animal ne le voit pas car il se confond avec la noirceur des abysses. A l’inverse, un observateur situé en dessous de l’animal ne pourra pas le repérer car le ventre clair se confond avec les reflets de la surface. Chez le Dragon bleu, c’est le contraire, le ventre est foncé, bleu comme la mer alors que son dos se pare d’un gris argenté très réfléchissant. La Limace des mers semble donc aller contre la loi de Thayer sauf qu’elle vit sur le dos, sa coloration est donc semblable aux autres créatures marines. Quel que soit le point de vue, elle est difficile à repérer.
Le Dragon bleu des mers mérite bien son nom latin Glaucus atlanticus : “glaucus” en latin, signifie ici, non pas triste ou glauque comme on pourrait le penser, mais “couleur de la mer”. Cette teinte oscille entre le gris et le bleu pâle. La version grecque “Glaukos” fait quant à elle référence à une divinité marine de la mythologie. La légende raconte que Glaucos, simple pêcheur, est devenu une divinité immortelle en mangeant une herbe magique sur l’Ile d’Aea. Prenant l’apparence humaine d’un vieillard barbu, il possède une longue chevelure et une queue de poisson de couleur… glauque. Mais il défie son père Poséidon, celui-ci le transforme alors complétement en poisson, pour s’appeler alors Glaucus.
Pour pouvoir flotter ainsi, le ventre tourné vers l’azur, se maintenir et se laisser dériver au gré des courants, le Dragon bleu des mers avale régulièrement une petite bulle d’air qu’il stocke dans son estomac. Cette flottaison face aux mouvements de l’eau est facilitée par la tension superficielle de l’eau.
Il se sert de ses longs cérates effilés comme le Gerris lacustre se sert de ses pattes, pour rester à la surface sans couler.
Limace de mer flottante qui dérive poussée par le courant ou capable de se déplacer par elle-même ? Les scientifiques et naturalistes la décrivent comme apathique, ne se mouvant que d’une dizaine de centimètres en 5 minutes. Lorsque notre gastéropode bleu rencontre un obstacle, il est capable de rentrer ses cérates pour se retourner et se déplacer.
Le Dragon bleu des mers, friand de nourriture venimeuse
Notre mini bouée flottante doit se nourrir. C’est là qu’entrent en jeu d’autres organismes pélagiques plus grands qu’elle comme les Hydrozoaires. Le Dragon bleu grignote des Siphonophores entiers ou seulement leurs tentacules. Il s’attaque en particulier à la “flottille bleue”, terminologie donnée par le biologiste marin Alister Hardy. Elle est composée de 3 types d’espèces urticantes : les Physalies ou Galères portugaises, les Vélelles et les Porpites. Elles terrorisent baigneurs et surfeurs à cause de leurs piqûres.
Le venin qu’elles contiennent va faire l’affaire de notre Glaucus atlanticus. Dans le jeu Pokémon, le Dragon bleu serait de type “Poison”. Il se fixe à ses proies à l’aide de sa mâchoire cornée chitineuse et très rigide (la chitine, composant des exosquelettes des Crustacés et des Insectes, possède un rôle protecteur). Une fois attaché à eux, impossible aux Siphonophores de piquer leur prédateur qui se couvre en plus d‘un épais mucus dur à transpercer. Le Dragon en profite pour récupérer chez ses proies les nématocystes, cellules urticantes, et les stocke au bout de ses cérates dans ses sacs spéciaux, les cnidosacs. Il se protège alors contre ses propres ennemis.
Cette capacité d’utilisation d’éléments issus d’une proie par un carnivore à des fins défensives est appelée “oplophagia”, du grec ancien “hoplon” signifiant “arme” et “phágos” signifiant “mangeur”. Il existe chez les Dendrobates cette même propriété étonnante : en effet, les grenouilles arboricoles d’Amazonie récupèrent le poison de leurs proies telles que les fourmis et autres myriapodes.
Redoutablement efficace, le Dragon bleu des mers peut ainsi infliger aux Humains les mêmes douloureuses piqûres que les Galères portugaises lorsqu’il s’échoue sur les plages, les jours de grand vent.
Ébats en “missionnaire” et largage d’œufs
Hermaphrodite, comme toute limace qui se respecte, le Dragon bleu des mers possède à la fois des organes mâles et femelles, mais il ne peut pas s’auto-féconder. Au lieu de s’accoupler tête bêche comme la plupart des nudibranches, les Glaucus atlanticus se reproduisent face à face “en missionnaire”, bouche contre bouche et en accolant leur face ventrale. Les deux partenaires enlacent ensemble leur crochet pénien aussi long que leur corps, échangent leur sperme qu’ils ramènent ensuite chacun dans leur cavité génitale. Ces ébats durent environ 1 heure, une prouesse face au courant ! Les cérates les aident à se maintenir. Après l’accouplement, les partenaires pondent chacun des chapelets d’œufs entourés de mucus. Chaque chapelet en contient 10 à 36 qui se diviseront quelques heures après la fécondation si la température de l’eau atteint les 19 degrés. Les chapelets sont largués à la dérive ou déposés sur les carcasses des Siphonophores. Les larves d’abord de forme ovoïde s’enroulent ensuite sur elles-mêmes 11 jours après éclosion des œufs. Elles vivent alors leur vie de larve hors du chapelet pour devenir des nouveaux dragons.
Une observation fascinante pour tous les naturalistes
Découvert lors du deuxième voyage du capitaine Cook sur le HMS Resolution, le Glaucus atlanticus a été prélevé dans l’Atlantique par l’explorateur Reinhold Forster et son fils Johann Georg Forster. Ils en publient une description dès 1777. A bord de ce même navire, l’Ecossais naturaliste et illustrateur, Sydney Parkinson, a pu ainsi dessiner l’animal. Notre Dragon bleur des mers va continuer à être l’objet de fascination et d’étude. Le zoologiste et chirurgien de marine Louis François Auguste Souleyet en fait même la dissection lors de ses voyages sur la corvette “La Bonite” et la reproduit dans son Atlas zoologique.
Parallèlement, un autre échantillon est prélevé lors d’une expédition mais cette fois dans le Pacifique et dénommé par l’explorateur Rudolph Bergh Glaucus longicirrus. Dès 1868, ce naturaliste décrira l’étonnant accouplement. Comparé à un petit lézard ou à une grenouille pour la texture de sa peau, Glaucus atlanticus a un petit frère jumeau, le Glaucus marginatus. Ce dernier est reconnaissable à sa bande dorsale noire unique mais il est deux fois plus petit que son grand frère.
Très cosmopolites, les Dragons bleus vivent dans les eaux tempérées et tropicales, comme le long des côtes est de l’Australie, de l’Afrique du sud, dans le Golfe du Mexique ou de la mer des Caraïbes (voire même en Méditerranée). Ils ne se déplacent pas en groupe, mais peuvent s’échouer sur les plages en cas de tempête. Leur couleur éclatante contraste avec le sable et attire l’œil. Mais attention ! Les prendre directement, c’est risquer des piqûres dangereuses, voire mortelles, telles les flammes du dragon !
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Pour écouter les épisodes sur le Dragon bleu des mers et sur la Flottille bleue :
- PPDP S02E42 : Le Dragon bleu 1/2 : Le golgoth des océans
- PPDP S02E43 : Le Dragon bleu 2/2 : L’étonnant prédateur de la “flottille bleue” !
Pour en savoir plus sur les Nudibranches : 10 infos étonnantes sur les Nudibranches
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