Arowana, un nom originaire de Guyane, porté par un poisson devenu une véritable divinité en Asie où il est surnommé “Poisson-Dragon”. Animal emblématique de Chine, l’Arowana est présent au sein de nombreux foyers puisqu’il fait partie des prescriptions du feng shui pour apporter bonheur et prospérité. Ce poisson d’eau douce peut arborer une robe rouge, rouge comme la liste des espèces menacées sur laquelle il est inscrit depuis 1975.
Avec ses 70 cm de long en moyenne, sa tête triangulaire et ses écailles en mosaïque, l’Arowana est un poisson qui ne passe pas inaperçu. Poisson osseux de la famille des Osteoglossidés, son nom d’origine amérindienne désigne entre autre l’Osteoglossum bicirrhosum (Arowana argenté) un poisson tropical vorace décrit pour la première fois en 1841 par Achille Valencienne (Un zoologiste élève de Cuvier) et prélevé dans un affluent de l’Amazone. Ce sont ses organes sensoriels, présents sur sa mâchoire inférieure qui lui valent le nom de bicirrhosum, ” deux barbillons ” en latin.
Des espèces voisines, comme le Scleropages formosus en Asie ou le Scleropages jardinii en Australie, portent le même nom vernaculaire. En Afrique de l’Est, ce nom est porté par l’Heterotis niloticus, l’Arowana du Nil, un poisson plus proche des Arapaïmas que des Arowanas d’Asie ou d’Amérique du Sud.
En Amérique du Sud, il évolue dans les eaux plutôt calmes des rivières et forêts inondées du Brésil, Colombie, Guyane, Guyane française, Surinam et Vénézuela. Du côté de l’Océanie, l’Arowana est majoritairement présent à l’ouest de la rivière Adelaide, dans tout le nord du Queensland et dans le centre-sud de la Nouvelle-Guinée. En Asie, l’Arowana vit dans les rivières à faible courant du Cambodge, de la Malaisie, de la Thaïlande, du Vietnam et de l’Indonésie.
Mais comment un poisson uniquement dulçaquicole a pu voir des espèces qui semblent aussi proches se développer aux 4 coins du monde? Et bien la réponse à cette énigme semble trouver sa source il y a 180 millions d’années, une époque ou le Gondwana commence tout juste à se fracturer. Dès lors l’Arowana asiatique aurait divergé de l’Arowana austral et aurait migré vers le sous continent Indien. Des études génétiques débutées dans les années 2000 continuent d’explorer le sujet car l’évolution des Arowanas est étroitement liée à l’histoire géologique des masses continentales. Les premières études montrent que ce poisson est loin d’avoir révélé tous ses secrets !
Sur le bout de la langue.
Qu’il soit d’Asie, d’Afrique, d’Australie ou d’Amérique du sud, une des particularités de l’Arowana est sa langue. En effet, tous appartiennent à l’ordre des Osteoglossiformes, « langues osseuses » en latin.
Cette langue osseuse munie de dents, et qui a parfois servi de râpe à certaines tribus amérindienne, (moins fréquemment que celles des Arapaïmas) , lui permet de mieux saisir ses proies et de les coller à son palais également pourvu de dents.
Si cet organe donne son nom à l’ordre auquel l’Arowana appartient, il lui donne aussi parfois directement son nom vernaculaire. Ainsi en Allemand, il se nomme Knochenzüngler de “Knochen” os et de “Zunge” langue, en anglais il s’appelle “bonytongue“, langue osseuse, et en espagnol “pez lengüihueso“, langue d’os. Surnommé “Poisson-Dragon” en Asie en raison de la taille de ses écailles, de sa couleur et de son mouvement lorsqu’il nage, l’Arowana d’Amérique du sud est quant à lui surnommée “Monkey fish“, le poisson singe. En effet, la technique de chasse de l’Arowana (d’Amérique du sud, d’Asie ou d’Océanie) est des plus athlétique!
Sa bouche orientée vers la surface et ses yeux placés haut sur son crâne en font un chasseur des plus agiles. Une fois un insecte repéré sur une branche au-dessus de la surface de l’eau, l’Arowana replie son corps en « S » et se détend brutalement pour se propulser hors de l’eau. Certains animaux atteignent plus d’1,50 mètre en saut en hauteur et, lors de “saut de fuites”, certains poissons arrivent à faire des bonds de 2 à 3 mètres de long !
Arowana : Signe extérieur de richesse.
Tout comme les Carpes Koi, l’Arowana est utilisé depuis des siècles en Asie pour maintenir les rizières saines. Les poissons servent à protéger les cultures des parasites, ils fournissent de l’engrais aux cultures et sont une ressource alimentaire pour l’hiver.
Aujourd’hui, ce qui fait la renommée de l’Arowana, ce n’est pas sa chair mais sa valeur sur la marché de l’aquariophilie.
Le feng shui, cet art millénaire originaire de Chine, préconise la présence de l’Arowana au sein du foyer afin d’apporter chance et prospérité. Cette symbolique attribuée au Poisson-Dragon a fait de lui une star des aquariums. Il est désormais symbole de luxe et compte parmi les poissons les plus chers du monde. Les spécimens “de base ” valent aux environs de 2.000€ mais certains, considérés comme rares, s’échangent, lors de bourses spécialisées, au prix de montres ou de voitures de luxe : ” Si à 50 ans t’as pas un Arowana… ”
Parmi les plus prisés, le “super red ” dont la côte de popularité ne cesse d’augmenter. La loi de l’offre et de la demande étant ce qu’elle est… des faussaires injectent une hormone dans les insectes consommés par les poissons afin d’accentuer leur couleur rouge !
Malheureusement la spéculation faisant peu de cas de la préservation des espèces, en Asie le Poisson-Dragon est quasiment éteint à l’état sauvage.
Qu’à cela ne tienne! La mondialisation apportera une réponse. Et oui, comme l’Arowana d’Asie se fait rare, pourquoi ne pas se lancer dans la contrefaçon de Dragons?
Direction la Colombie, les Osteoglossum ressemblent finalement beaucoup aux scléropages. Qui fera la différence ? Ce sont donc des millions d’Arowana argentés qui quittent l’Amérique du sud chaque année pour Francfort, puis Hong-kong et Tokyo. C’est un business florissant et comme pour le marché du “faux”, cela permet de toucher une autre cible, moins fortunée certes, mais qui aime elle aussi, le “bling-bling “.
Tout ceci n’est déjà pas très reluisant mais attendez, on ne touche pas encore le fond!
Qu’on lui coupe la tête !
Chez l’Arowana, la fécondation est externe, ce qui peut attiser notre curiosité car chez cette espèce, c’est le mâle qui récupère les œufs fertilisés et les garde dans sa bouche jusqu’à leur éclosion. Ensuite, les jeunes y restent encore quelque temps pour se protéger des prédateurs. Cette particularité entraîne un dimorphisme sexuel marqué, les mâles ayant une mâchoire inférieure plus allongée que les femelles.
Le commerce de ce poisson d’ornement ayant désormais un vrai poids économique pour la population rurale de l’Amazonie, les techniques de pêche sont pour le moins…radicales.
« Nous pêchons de nuit. Et là, dans la bouche du mâle, ça brille comme des centaines d’étoiles, nous savons que c’est le bon moment pour capturer les bébés poissons » raconte Lucila Dos Santos, une pêcheuse colombienne. Pour récupérer les juvéniles, tel Hercule tranchant la tête de l’hydre, le pécheur décapite le mâle. Mais contrairement à la créature mythologique, le Dragon sud-américain ne voit pas sa tête repousser. Aujourd’hui la pression sur la population des Arowanas est telle que : “Dans le rio Ucayali, un affluent de l’Amazone, la proportion est actuellement de un mâle pour quatre femelles » explique Fernando Alcantara Bocanegra, biologiste à l’Institut de recherche de l’Amazonie péruvienne.
Concernant l’espèce océanienne Scleropages jardinii, celle-ci pratique elle aussi une incubation buccale, mais les observation ont montré que chez L’Arowana australien, c’est la femelle qui se charge de la couvaison et de la protection des juvéniles.
Des efforts de conservation de l’espèce ont été entrepris dans de nombreux pays. Aujourd’hui, l’importation de spécimens asiatiques vers les États-Unis est par exemple interdite.
Pour faire face au commerce illégal de souches sauvages, l’Indonésie, Singapour et la Malaisie développent des élevages. La faible fécondité et les habitudes de couvaison orales de ce poisson rendent l’entreprise délicate. La nature prédatrice de l’Arowana, nécessite de lui donner des aliments vivants tels que des insectes, petits poissons, crevettes… Ce qui entraîne des coûts et un besoin de main d’œuvre considérables puisqu’un élevage de proies vivantes doit être maintenu en parallèle de l’élevage de poissons.
Alors, à la maison ou au bureau, si vous souhaitez attirer chance et richesse, rabattez vous sur une statue d’un des symboles feng shui les plus précieux, c’est permis ! Et si les préoccupations feng shui sont loin de votre univers, peut-être croiserez vous l’Arowana dans les terres d’Hyrule ? Et oui, il n’aura pas échappé aux amateurs de jeux vidéo que dans “Zelda Tears of the Kingdom” c’est bien un Arowana qui permet à Link de réparer son armure ! Quant aux geek qui préfèrent les jeux de gestion, l’Arowana est présent depuis plus de 20 ans dans tous les opus du jeu “Animal crossing” pour la somme dérisoire de 10.000 clochettes. Et oui même en virtuel, l’Arowana coûte cher !
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Pour écouter les épisodes de Petit Poisson deviendra Podcast sur les Géants d’Eau Douce :
- PPDP S02E02 : Esturgeon béluga et blanc, Raie et Poisson-chat géants du Mékong
- PPDP S02E03 : Arapaïma d’Amazonie, Perche du Nil et Carpe géante du Siam
- PPDP S02E04 : Silure, Saumon Taimen et Chinook et… Requin Bouledogue
Pour aller plus loin/Sources:
- Potential threat of the international aquarium fish trade to silver arawana Osteoglossum bicirrhosum in the Peruvian Amazon, Oryx Vol 40 No 2 April 2006.
- Molecular Phylogeny of Osteoglossoids: A New Model for Gondwanian Origin and Plate Tectonic Transportation of the Asian Arowana Mol. Biol. Evol. 17(12):1869–1878. 2000.
- Characterization of digestive enzymes in a carnivorous ornamental fish, the Asian bony tongue Scleropages formosus (Osteoglossidae). Yetty Natalia,Roshada Hashim,Ahyaudin Ali,Alexander Chong.
- Genetic variability and estimation of effective population sizes of the natural populations of green arowana, Scleropages formosus in Peninsular Malaysia. Shafiqur Rahman, Mohd Zakaria-Ismail, Pek Yee Tang, Mohd Rizman-Idid and Sekeran Muniandy.
Photographie de couverture: (CC) Jeffry Surianto
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