Alexander Von Humboldt et Aimé Bonpland font la traversée pour le nouveau monde en 6 semaines et atteignent Cumaña, au Vénézuela le 16 juillet 1799. Tout juste arrivés, les deux explorateurs perçoivent pour la première fois les tremblements de terre. Bonpland, prudent, se met à l’abri tandis que l’intrépide Von Humboldt se jette sur ses instruments pour observer, mesurer et ne rien rater de ce phénomène extraordinaire. Peu étonnant quand on sait l’intérêt qu’il porte durant sa carrière à la compréhension du vivant, aux phénomènes géologiques, climatiques et énergétiques.
Véritable encyclopédie à lui tout seul, les recherches et découvertes de cet érudit dans les sciences modernes sont tellement nombreuses qu’il faut choisir les thématiques à aborder. Son voyage en Amérique méridionale lui permet d’étudier les grandes formations géologiques, le fonctionnement des hydrosystèmes, les peuples et leurs coutumes, la faune, la flore et même la phosphorescence de la mer ! Toutefois, la première mission que s’est donné Alexander Von Humboldt est de trouver l’élément clef qui relie les fleuves de l’Orénoque et de l’Amazone.
Alexander Von Humboldt et la traversée des Llanos
Toujours accompagné de son fidèle ami et de guides locaux, Alexander part en direction des forêts de l’Orénoque, dans l’intérieur des terres, le 7 février 1800. Ils entreprennent la traversée des Llanos, vastes étendues de terre d’une superficie de 375.787 km². Cette savane tropicale en partie recouverte d’eau se transforme parfois en désert où les températures avoisinent alors les 50°C. C’est le moyen le plus rapide d’arriver à l’Orénoque. Cet immense fleuve long de 2740 km est, selon les rumeurs de l’époque, relié à l’Amazone par un canal naturel.
À cette époque, la communauté scientifique, et surtout le géographe Philippe Buache, explique qu’une communication entre l’Orénoque et l’Amazone est, je cite : “une monstruosité en géographie”. Selon lui, deux fleuves de cette dimension doivent être séparés par une grande chaîne de montagne occasionnant une ligne de partage des eaux. C’est sans compter sur la détermination d’Alexander Von Humboldt pour apporter des preuves tangibles visant à affirmer ou réfuter cette hypothèse.
Les conditions ne sont pas idéales : moustiques, maladies, prédateurs et climat changeant accompagnent leur voyage. Malgré tout, cette traversée des llanos va permettre aux deux hommes d’inventorier et consigner tout ce qui est à la portée de leurs yeux et de leurs mains. Ce travail servira des années plus tard, lorsque Von Humboldt va comparer des écosystèmes analogues sur des continents éloignés. On peut retrouver ses écrits dans Tableaux de la nature : Livre I entre steppes et déserts.
Début de l’éthnologie
Cette expédition les amène à faire la rencontre des peuples du “Nouveau monde”, peu connus jusqu’alors, tels que les Kalinagos, les Atures et les Chaimas. Avec humilité et respect, Von Humboldt échange avec eux pour mieux cerner leurs us et coutumes. Par cette approche, singulière pour l’époque, il participe à la création de l’ethnologie. Une science qui étudie le comportement, les origines et l’histoire des peuples. Le savant dénonce une domination exercée par les occidentaux sur ces ethnies, établie sur la haine et la violence. Il affirme son opinion anticoloniale dans ses lettres en critiquant la politique extérieure de la couronne d’Espagne. Une prise de position quelque peu audacieuse !
De l’Orénoque à l’Amazone… Le Casiquiare !
L’équipe scientifique vogue sur le Rio Apure pendant plusieurs semaines, jusqu’à l’Orénoque, le second fleuve d’Amérique du Sud. Humboldt atteint là son premier objectif. L’Orénoque se divise en deux : sa branche nord continue sa course vers les côtes du Vénézuela au Nord-Est, tandis que sa branche sud, aussi appelée Canal de Casiquiare, rejoint l’Amazone via le Rio Negro. Ce canal est une formation naturelle exceptionnelle définie comme un défluent de l’Orénoque. Ce cours d’eau de 326 kilomètres, rejoint par le Rio Negro à San Carlos de Rio Negro, se jette dans l’Amazone au niveau de Manaus. Alexander Von Humboldt ne se contente pas de prouver l’existence du Casiquiare : il va placer le cours d’eau sur une carte et le caractériser (superficie, température, turbidité, etc.).
Pendant la Seconde Guerre mondiale , les Américains soupçonnent les nazis de cacher des sous-marins dans ce cours d’eau peu connu sans pour autant pouvoir l’affirmer.
Anguille sous roche, mais peu importe !
Lors de son expédition, Alexander s’intéresse de près à une espèce d’anguille bien singulière qui lui permet de mettre en pratique ses études sur le galvanisme (Alexander Von Humboldt 1/3 : entre Charles Darwin et Mike Horn (baleinesousgravillon.com). Il s’agit d’Electrophorus electricus, une anguille électrique unique en son genre capable d’envoyer des décharges de 800 volts (quatre fois le voltage d’une prise de courant). Ces anguilles peuvent mesurer jusqu’à 2,50 mètres et peser une vingtaine de kilos. Pour l’étudier, Von Humboldt doit l’attraper et ce n’est pas une mince affaire… La crainte d’une décharge dissuade l’équipe de tout prélèvement.
L’un des guides a alors une idée totalement saugrenue : lâcher dans la rivière chevaux et mulets pour étourdir les anguilles. Les équidés sont submergés par les décharges électriques à répétition entraînant leur noyade. Les anguilles épuisées se laissent facilement attraper et Von Humboldt s’empresse de décrire l’espèce et d’en mesurer l’électricité émise. Un travail “express” de quatre heures qui le rend malade toute une nuit à force de recevoir les dernières décharges.
Un rêve devenu réalité
Alexander Von Humboldt est exactement là où il a toujours rêvé d’être, loin de la Prusse et de l’aristocratie. Ce voyage est une délivrance dont il profite pleinement pour apporter des nouvelles connaissances dans tous les domaines scientifiques possibles et imaginables. Nous ne sommes qu’au début de son long voyage au travers de l’Amérique méridionale, mais on peut déjà apprécier son esprit scientifique unique doublé d’une témérité qui le mèneront sur d’improbables chemins.
Alexander Von Humboldt se projette à présent au sommet de la cordillère des Andes sur le Chimborazo, le plus haut sommet connu à cette époque !
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Retrouvez d’autres articles et œuvres sur Alexander von Humboldt :
Alexander Von Humboldt 1/3 : entre Charles Darwin et Mike Horn (baleinesousgravillon.com)
L’invention de la nature – Andrea Wulf
Encyclopaedia Universalis – Alexander Von Humboldt – de Charles MINGUET
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