La Crépidule est un petit mollusque marin. Pas très sexy ? Peut-être que son nom latin saura piquer votre curiosité ou au moins vous faire esquisser un sourire : Crepidula fornicata. Ces Gastéropodes s’empilent les uns sur les autres, changeant de sexe en fonction de leur position… Et c’est à ce moment-là que les ennuis commencent…
Les Crépidules forment des colonnes de 2, 10, 15 (ou plus) coquilles empilées les unes sur les autres. D’ailleurs, ce nom provient du latin “crepido” qui désigne le soubassement d’une colonne. Il a donné ensuite “crepida”, une petite sandale. Ce qui permet de retomber sur nos pieds, puisque l’autre nom de ce coquillage est la Pantoufle de mer. De “sandale” à “scandale”, il n’y a qu’une lettre. Passons comme promis à la partie “fornicata”.
Au pied de la colonne se trouvent les plus vieux individus pouvant atteindre 10 ans, des femelles, de 5 cm de long. Ces Pantoufles de mer cherchent chaussure à leur pied en émettant des messages chimiques dans l’eau. Les larves et les jeunes mâles attirés par ces irrésistibles substances attractives viennent s’empiler les uns sur les autres. Au fur-et-à-mesure de ce recrutement, les individus les plus proches de la base effectuent une transition, ils deviennent femelles. On parle d’hermaphrodisme protandre, l’individu naît mâle et devient ensuite femelle au cours de sa vie.
Dans cette joyeuse colonie, les mâles du sommet étirent leur pénis vers les femelles de la base pour les féconder. Entre 5.000 et 10.000 œufs sont produits, jusqu’à 2 fois par an. Après l’éclosion, les nombreuses larves, de futurs jeunes mâles, flottent dans le plancton pendant 1 mois, au hasard des courants océaniques. Pour devenir une Crépidule adulte, la larve doit se fixer, avec son pied musculeux, sur un substrat dur, comme un rocher… ou sur le sommet d’une colonne déjà construite.
La Crépidule : un Escargot qui fait la Moule
La Crépidule appartient au groupe des Gastéropodes, comme les escargots et les limaces. Ce n’est ni un chasseur fulgurant comme le Cône géographe, ni un brouteur d’algues comme le Bigorneau. La Pantoufle de mer est un animal filtreur suspensivore, elle se nourrit de plancton en restant fixée à son support… comme une Moule à son rocher.
La Crépidule produit un courant d’eau vers l’intérieur de sa coquille à l’aide des battements de cils sur ses branchies. Cela lui permet à la fois de respirer et de piéger sa nourriture. Le courant n’est efficace que si le coquillage est sur un support solide. La Crépidule doit donc être fixée sur un rocher ou un coquillage y compris un de son espèce.
Il suffit d’un premier support au milieu d’une étendue de sable ou de vase pour que les Crépidules prospèrent dans le milieu. En augmentant les surfaces solides disponibles, ces coquillages favorisent l’installation de leur propre espèce. De plus, leurs déjections entraînent un envasement du milieu. Ces modifications font de la Crépidule une espèce ingénieure… pour le meilleur et surtout pour le pire.
Une invasion lors de la libération
La Crépidule est originaire du Nord-Est des États-Unis. Elle a traversé l’océan Atlantique, une première fois, à la fin du 19e siècle. Des huîtres de Virginie sont transplantées en Angleterre par des ostréiculteurs en étant porteuses de quelques Crépidules. Les mollusques clandestins s’installent alors sur les côtes, à moins de 20 mètres de profondeur, dans des zones de faible courant.
Elles sont ensuite apparues en France lors du débarquement des Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. Des larves ont été transportées dans les eaux de ballasts des Liberty Ships. D’autres vagues de colonisation involontaires ont suivi, à cause de l’implantation de nouvelles espèces d’huîtres. De là, la Crépidule a ensuite gagné toute la côte européenne, de la Suède jusqu’à l’Espagne et à la Méditerranée.
En Europe, c’est donc une espèce invasive. Elle n’a aucun prédateur, y compris dans son habitat d’origine. En revanche, elle entre en concurrence avec les coquillages filtreurs locaux, comme les Coquilles Saint-Jacques, en occupant l’espace et en ayant la même source de nourriture. Là où ces fornicateurs pullulent, les fonds marins s’envasent. Ces derniers tendent à s’homogénéiser, et la biodiversité diminue. Dans la rade de Brest, 70 espèces sont menacées par sa présence, comme le Pétoncle noir.
Dans le même temps, les études du CNRS montrent que la présence des Crépidules pourrait avoir un impact bénéfique sur la population de phytoplancton. En filtrant l’eau, elles limitent, localement, le développement des dinoflagellés toxiques, et favorisent les diatomées, ce qui contrebalance diverses pollutions humaines. Cela pose question quant aux actions à mener contre l’envahisseur.
Résister encore et toujours face à l’envahisseur
Aujourd’hui, plusieurs pistes sont envisagées pour lutter contre la Crépidule. Son seul prédateur potentiel est l’être humain. Elle aurait une valeur gustative certaine mais sa consommation n’est pas dans les mœurs. Elle serait aussi une source de protéines possible pour les élevages bovins et de volailles. Les coquilles pourraient, après broyage, devenir une source de calcaire pour les terres agricoles. Le ramassage, par dragage ou par aspiration des Crépidules, doit se faire sur plusieurs années pour être efficace.
À ce jour, la seule entreprise ayant tenté l’aventure n’a pas tenu le coup sur le plan économique. La séparation entre la chair et la coquille reste une opération difficile et peu rentable. Faute de réels débouchés, les Crépidules continuent de s’empiler sur nos côtes, mettant en danger les activités humaines et surtout des écosystèmes déjà fragilisés.
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Pour écouter le podcast sur la Crépidule :
- S02E33 : La Crépidule : un empilement de fornicateurs et d’ennuis
Pour écouter les épisodes sur le plancton avec Pierre Mollo :
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