Nous ne vous apprenons rien, au début de l’histoire, parfois multicentenaire pour un Chêne, il y avait un gland. Une petite graine de la taille d’une bille capable d’engendrer un géant. Un corps sec apparemment inerte et dérisoire qui porte en lui la Vie. Un mystère grand comme celui de l’Univers reliant ciel et terre.
De tout temps, les glands ont nourri les Hommes et les animaux. Il peut même nourrir la réflexion philosophique selon qu’on le pense comme la cause du Chêne (la graine) ou sa conséquence (le fruit).
Peut-on philosopher sous un chêne en glandant ?
Avant le Chêne, il y a le gland. Et ce gland, d’où vient-il ? Réponse : d’un Chêne ! Mais alors, le premier Chêne, d’où sort-il ?
C’est le paradoxe de l’œuf et de la poule qui a occupé les penseurs depuis l’Antiquité et à propos duquel Diderot écrivit : “Si la question de la priorité de l’œuf sur la poule ou de la poule sur l’œuf vous embarrasse, c’est que vous supposez que les animaux ont été originairement ce qu’ils sont à présent. Quelle folie !”
Pour contourner le sujet, au moins sous l’angle biologique – ce paradoxe soulève bien d’autres questions vertigineuses, comme celle de l’origine du Monde (vous avez 4 heures !) – , il faut adopter une pensée évolutionniste et présenter le gland comme étant à la fois ce qui est produit par le Chêne et ce qui donne naissance au Chêne !
Bien, nous voilà un peu moins embourbés dans l’humus, nous n’avons pas glandé.
Voyage dans l’espace et dans le temps
Fixes ? Les plantes sont bien plus aventureuses qu’on ne le croie et déploient nombre de stratégies de dissémination pour éparpiller leurs graines. Pour ces voyages, elles peuvent utiliser le vent, l’eau, la gravité, les animaux et même leur propre force mécanique.
L’avenir d’un chêne dépend bien souvent des trous de mémoire d’un Geai ou d’un Mulot… Après une chute verticale de l’arbre (on parle alors de “barochorie”, du grec ancien baros “pesanteur” et khôrein “se mouvoir”), le gland va continuer son déplacement horizontal grâce à des animaux disperseurs. On parle d'”ornithochorie” dans le cas des oiseaux, de “mammiochorie” pour les mammifères, “anthropochorie” pour l’être humain.
Il n’existe aucune relation entre la taille d’une plante et celle de sa graine : de minuscules graines peuvent donner de grands arbres, et inversement. Les plus petites ont la taille d’un grain de poussière (Orchidées). Les plus grandes peuvent peser jusqu’à 6 kg, mesurer 50 cm de diamètre et mettre 6 ans à mûrir sur l’arbre (Cocotier des Seychelles).
Même grand écart du point de vue de leur longévité : de quelques jours (3 jours pour la graine du Cacaoyer) à plusieurs centaines d’années (150 ans pour celle de l’Albizia, 400 à 1000 ans pour le Lotus sacré).
Sur un plan botanique, le gland est le fruit du Chêne (pas sa graine)
Après la fleur il y a le fruit, dans le fruit il y a la graine.
Pour faire simple, le fruit est le résultat de la transformation de l’ovaire de la fleur après pollinisation. Il existe des fruits secs et des fruits charnus.
Si l’on se représente bien les fruits charnus, on bute parfois un peu plus sur les fruits secs. Certains s’ouvrent à maturité, d’autres non. Ce sont les akènes (du grec khainen “ouvrir” précédé du a privatif). Ce type de fruit contient le plus souvent une seule graine, d’où la confusion avec la graine elle-même. Lorsque l’on sème des céréales, ce sont en réalité des akènes auxquels on a affaire. Sur un plan botanique donc, le gland est un fruit de type akène.
La graine est la partie du fruit qui contient l’embryon. C’est un organe spécifique au monde végétal, même si des homologies existent avec l’utérus d’un mammifère. Elle est dotée de réserves suffisantes et entourée d’enveloppes protectrices qui la rendent capable de rester longtemps à l’état de vie ralentie, puis de germer quand les conditions favorables sont réalisées. Une graine respire au rythme de quelques molécules par jour.
Le petit organe en forme de bonnet qui couvre la tête du gland s’appelle la cupule (“petite coupe” en latin). On la retrouve également chez les faînes du Hêtre et les châtaignes. C’est une des caractéristiques de la famille des Fagacées, ce qui explique l’ancien nom donné à cette famille : les Cupulifères.
Chêne sessile et Chêne pédonculé doivent leur nom au mode d’insertion du gland sur les rameaux : directement attachés à même l’extrémité des rameaux pour le premier (“sessile” vient du verbe latin sedere “être assis”) et relié à la tige par un pédoncule pour le deuxième, que l’on appelle aussi Chêne à grappes.
Peut-on se nourrir avec des glands ?
Les humains ont su détourner les réserves des graines pour leur propre alimentation. Elles constituent l’essentiel des calories de nos assiettes. Pensez aux céréales (Blé, Maïs, Riz, …) et aux légumineuses (Haricot, Pois, Soja, Lentille, …). Les graines sont aussi nos huiles (Olivier, Tournesol, Palme, …), nos épices (Poivrier, Muscadier, Moutarde, …) et même nos boissons (Caféier, Cacaoyer).
On a retrouvé des glands chez nombre de sociétés préhistoriques, bien avant l’apparition des plantes cultivées (au Japon, en Californie). En Méditerranée, les glands furent dès l’Antiquité des aliments complémentaires aux céréales (fabrication de pain à partir de glands séchés, concassés et broyés).
De nos jours, en Andalousie et en Afrique du Nord, on cultive les Chênes verts à glands doux (avec peu de tanins) comme des arbres fruitiers. On mange leurs fruits crus ou grillés à la manière des châtaignes (les “bellût” du Chêne-liège, du grec balanos “gland”). En Algérie, la farine de glands doux torréfiés mêlée à la poudre de cacao donne le “racahout”.
Les Chênes-liège, tauzin, pubescent et kermès peuvent aussi donner des glands doux.
Le Chêne rouvre et le pédonculé ont des glands toujours plus ou moins âpres. De nos jours, seuls les Sangliers, les Geais, les Pigeons ramier sont aptes à s’en nourrir. On peut améliorer leur amertume en les faisant bouillir plusieurs fois, mais c’est un processus long.
En France, pendant les disettes, on mangea beaucoup de pain de gland d’un goût détestable qui causa souvent des intoxications. Pendant les deux dernières guerres, on fit également du café de glands.
Tout est bon dans le cochon… de gland
Les glands ont nourri les animaux d’élevage, en particulier les porcs que le porcher surveillait “en glandant” (récolter des glands était assimilé à ne rien faire). Le pâturage dans les chênaies était un épisode classique au Moyen-Âge : la “glandée”.
Compte tenu des risques pour la régénération naturelle des arbres, le droit de panage, c’est-à-dire le droit de faire pâturer les porcs, fût l’un des tout premiers usages réglementés de la forêt (XIIème siècle). Les redevances étaient payées d’après le poids gagné par les porcs en entrée et en sortie d’estivage. L’abondance ou la rareté des glands influait sur le prix du lard.
En Espagne, les porcs ibériques avec lesquels on produit le jamón ibérico de bellota se gavent de glands.
Olivier de Serres, père de l’agronomie française, assurait en 1600 que “la plus délicate viande de pourceaux est faite du gland”.
Dans les campagnes, les glands doux ou tanniques constituaient aussi un appoint important de la nourriture des cochons et des volailles (un animal qui se nourrit essentiellement de glands est appelé “balanophage”).
De nombreux dictons viennent illustrer ces pratiques agropastorales : “S’il pleut le jour de la Saint-Gengould [le 11 mai] les porcs auront de glands leur soûl”, “Année glanduleuse, année chanceuse”, …
Le gland dans les langues et la culture
Il est dit acorn en anglais, Eichel en allemand, ghianda en italien et bellota en espagnol.
Selon vous, qui tire son nom de l’autre : le gland du Chêne ou celui du pénis et du clitoris ? Eh bien c’est la graine (XIIème siècle), qui a donné son nom aux parties charnues et charnelles de l’anatomie de la verge (1538) par évidente analogie de forme.
Quant à l’injure “gland” pour une personne (1901), c’est un sens figuré qui a suivi la même évolution que le terme “couillon”.
“Gland” et “La Glandée” sont des noms de communes ou de rivières. La ville de Gland en Bourgogne-Franche-Comté a jugé bon de préciser le gentilé de ses habitants sous le panneau annonçant l’entrée dans la ville “Gland… et ses glandinois”. C’est dit !
Vous avez dit “noix” ? En latin, le plus prisé des fruits à coque issu du Noyer était nommé nux juglans qui dérive de Jovis glans, c’est-à-dire « gland de Jupiter ».
Comme toutes les graines, les glands ont également servi à la confection de bijoux.
Comment ne pas conclure avec un extrait de la nouvelle “L’Homme qui plantait des arbres” de Jean Giono ? Hommage à Elzéard Bouffier, personnage qui fit revivre sa région toute entière en plantant des glands…
“Le berger qui ne fumait pas alla chercher un petit sac et déversa sur la table un tas de glands. Il se mit à les examiner l’un après l’autre avec beaucoup d’attention, séparant les bons des mauvais […] Quand il eut du côté des bons un tas de glands assez gros, il les compta par paquets de dix. Ce faisant, il éliminait encore les petits fruits ou ceux qui étaient légèrement fendillés, car il les examinait de fort près. Quand il eut ainsi devant lui cent glands parfaits, il s’arrêta et nous allâmes nous coucher”.
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Pour retrouver les 4 épisodes dédiés au Chêne dans Nomen :
- https://bit.ly/chene1sur4_NMN
- https://bit.ly/chene2_NMN
- https://bit.ly/chenesessile_NMN
- https://bit.ly/chene4_NMN
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Sources :
- La Majestueuse histoire du nom des arbres, Henriette WALTER et Pierre AVENAS, Robert Laffont
- Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, Pierre LIEUTAGHI, Actes Sud
- Histoires de Graines, Atelier EXB Muséum national d’histoire naturelle
- Les Chemins de la philosophie – Le paradoxe de l’oeuf et de la poule, Adèle VAN REETH, Etienne KLEIN, France culture
- Les histoires (géniales) de la botanique par Francis HALLÉ, Muséo (Youtube)
- Vocabulaire illustré, Eléments de botanique descriptive des végétaux vasculaires, Maurice REILLE (https://www.arbres-lozere.fr/)
- Dictionnaire historique de la langue française, Alain REY, Le Robert
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