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Imaginez un monde sans mammifères. Impossible ? Et pourtant, pendant des millions d’années, les îles de Nouvelle-Zélande n’en ont abrité aucun. Ce sont les oiseaux qui se sont emparés des différentes niches écologiques. L’évolution a donné naissance à d’immenses végétariens et de redoutables prédateurs, comme le Moa géant et l’Aigle de Haast.

Sir Richard Owen et fossile de moa géant, Dinornis novaezealandiae
Sir Richard Owen tenant le premier fossile de Moa étudié et posant près d’un squelette complet

À l’arrivée des Maoris, il y a moins de 800 ans, les différentes espèces de Moa et l’Aigle de Haast peuplaient encore les décors de la “Terre du Milieu”. Mais en 1769, lors du débarquement des Européens, ils avaient tous disparu depuis plusieurs générations.

Avant l’arrivée des Maoris, au 13e siècle, il existait plusieurs espèces de Moas à travers les îles de Nouvelle-Zélande. Anomalopteryx didiformis avait les dimensions d’une oie. Le Moa géant de l’île du Sud (Dinornis robustus) était l’un des plus grands. Selon les premières reconstitutions, il pouvait dépasser les 3 mètres de haut, pour une masse estimée à plus de 150 kg, ce qui en fait le plus grand oiseau connu à ce jour. 

Le nom Dinornis est attribué à cette espèce par le paléontologue Sir Richard Owen en 1842, à partir du grec ancien “ornis” signifiant “oiseau” et de “deinós” pour “terrible, formidable”. Mot qu’il utilisa aussi pour nommer les Dinosaures !

Les restes de Moas, œufs ou squelettes, sont en bon état et permettent de décrire une dizaine d’espèces. Ce nombre est variable en fonction des auteurs et de l’avancement des recherches. La qualité des ossements est telle qu’elle permet de récupérer de l’ADN et d’identifier un important dimorphisme sexuel, des différences en fonction du sexe de l’individu. En effet, les spécimens de l’espèce Moa géant étaient tous des femelles. Pour trouver des mâles avec un ADN identique (à un chromosome sexuel près), il faut piocher dans une autre espèce 2 fois plus petite. Comme chez les rapaces actuels, madame Moa est plus grande et plus lourde que monsieur. 

Illustration d'un moa géant, Dinornis robustus, une proie de l'aigle de Haast
Illustration d’Alice Flore Béteille, membre de la rédaction de Baleine sous Gravillon

Les reconstitutions des Moas évoluent aussi au fil des découvertes. D’abord représentés avec une posture verticale, il est admis aujourd’hui qu’ils portaient leur tête à hauteur du bassin. Elle était petite et placée au bout d’un interminable cou. Ce dernier étant aussi long que leurs pattes, les Moas pouvaient se nourrir au sol ou en hauteur dans les arbres. Le bec était court et aplati, avec une légère courbure vers le bas. Les contenus stomacaux découverts montrent qu’ils étaient végétariens. Ils se nourrissaient de baies et de feuilles dans les zones de forêts et de bosquets. Les Moas avalaient aussi des cailloux, des gastrolithes, afin de broyer les aliments dans leur estomac. 

Le corps était couvert d’un plumage brun rouge, semblable à de la fourrure. Ce type de plume s’observe chez les oiseaux actuels incapables de voler, comme l’émeu ou le kiwi. D’ailleurs, l’ensemble des Moas étaient aptères, c’est-à-dire dépourvus d’ailes. 

L’origine des Moas : l’histoire d’un atterrissage… définitif

Cousin des moas géants, le Tinamou noctivague (Crypturellus noctivagus), 30 cm de long.
Tinamou noctivague (Crypturellus noctivagus), 30 cm de haut. Par Hector Bottai – CC BY-SA 4.0

Comment des oiseaux sans ailes ont-ils pu conquérir des îles ? C’est encore l’ADN qui apporte la solution. Les études montrent que les Moas sont de proches cousins des tinamous sud-américains capables de voler. Le plus vieux fossile de Moas est âgé de 18 millions d’années. L’ancêtre commun de tous les Moas serait donc arrivé au Miocène. Profitant de l’absence des mammifères comme concurrents ou prédateurs, les premiers animaux auraient exploité les nombreux habitats des îles. Ils se seraient ensuite diversifiés et spécialisés au fil des générations pour donner des espèces adaptées à l’altitude, aux forêts ou aux plaines, caractérisées par des pattes plus ou moins longues ou robustes.  

Dans un écosystème équilibré, la présence d’herbivores implique la présence de prédateurs. Nos chevreuils et nos sangliers ont le loup ou le lynx. Quel pouvait être l’animal capable de se nourrir du plus grand oiseau terrestre ?

L’Aigle géant de Haast : un prédateur de taille

Si dans l’univers du Seigneur des anneaux, les aigles géants sont de puissants alliés du bien, ceux de Nouvelle-Zélande devaient faire planer une ombre sinistre sur l’univers des Moas. L’Aigle géant de Haast (Hieraaetus moorei) mesurait entre 2,6 et 3 mètres d’envergure pour une masse estimée entre 9 et 15 kg. En comparaison, les plus grands aigles royaux ne dépassent pas les 2,3 mètres d’envergure pour moins de 7 kg. 

Illustration d'un Aigle de Haast chassant le moa géant en Nouvelle-Zélande
Aigle géant de Haast chassant des Moas – Par John Megahan — CC BY 2.5

La structure du crâne de l’Aigle géant est proche de celle du Condor des Andes. Cela montre qu’il pouvait ouvrir les carcasses des plus imposants Moas. Il avait donc tendance à manger comme un vautour, en déchirant les chairs. Ses puissantes serres de 9 cm de long et son bec crochu étaient ceux d’un chasseur actif, capable de tuer lui-même ses proies en leur tombant dessus. Il chassait donc comme un aigle actuel. Sans trop de surprise, dans la mégafaune néo-zélandaise, seuls les Moas étaient des proies adaptées à la démesure de l’Aigle géant de Haast.

En revanche, l’origine de ce prédateur est plus surprenante. L’analyse ADN de ses restes montre que son plus proche parent vivant est l’Aigle nain (Hieraaetus morphnoides) d’Australie, 10 fois plus léger. 

Ainsi, l’Aigle géant de Haast, comme ses proies, serait le résultat d’un phénomène de gigantisme insulaire. En l’absence de prédateur ou de concurrence sur une île, les petites espèces tendent à grossir. Dans ce cas, la divergence entre l’Aigle nain et l’Aigle géant de Haast se serait produite il y a moins de 2 millions d’années montrant une évolution rapide.  

Extinction : le débarquement des mammifères

Répartition géographique des fossiles de Moas et d’Aigle géant de Haast

Le glas de la mégafaune néo-zélandaise sonna lors de l’arrivée des Maoris sur les rivages du “pays au long nuage blanc”. Les Maoris débarquèrent aux alentours de 1250, alors que Louis IX régnait sur le royaume de France. Ils se retrouvèrent face à des oiseaux géants qu’ils nommèrent “Moa”. Dans leur langue, cela désignait un “poulet”, comme celui transporté par les Polynésiens lors de leur arrivée. Comme ce mot le laisse entrevoir, les Maoris chassèrent ses grands oiseaux et consommèrent leurs œufs. Le camp de Waitaki, sur l’île du Sud, aurait servi à l’abattage puis à la préparation de 100.000 Moas. La viande était découpée et cuite sur place, dans des fours, afin de la conserver.

Les Moas avaient un taux de reproduction faible, avec 1 ou 2 œufs par ponte. Toutefois les petits avaient un taux de survie suffisant pour assurer le maintien de l’espèce. On parle de stratèges de type K

La chasse et la collecte des œufs par les humains brisèrent l’équilibre, entraînant l’effondrement rapide des populations de Moas. Les Aigles de Haast disparurent au même moment que leurs proies.

En plus des humains, l’écosystème néo-zélandais subit l’arrivée d’espèces invasives de mammifères, transportées par les marins : chiens, rongeurs, mustélidés puis chats avec les Européens. Encore aujourd’hui, de nombreuses espèces d’oiseaux néo-zélandais, comme le Kakapo, ou le Nestor kéa, sont au bord de l’extinction à cause de ces espèces invasives.

Reconstitution d'une chasse au moa géant en 1906 par Auguste Hamilton
Reconstitution d’une chasse au moa en 1906 par Auguste Hamilton

Les traces les plus récentes de Moas, près d’habitations, datent du 15ème siècle, soit environ 200 ans après l’arrivée des premiers humains. 200 ans, c’est le temps qu’il a fallu pour mener les Moas à l’extinction. Lorsque les Européens mettent pied à terre, en 1769, ils ne voient aucun oiseau géant. Le missionnaire James Watkins écrit dans son journal,  le 27 septembre 1841 : « Les Néo-Zélandais ont de nombreuses légendes… évoquant d’immenses oiseaux qu’ils tiennent comme existant réellement et dont les os se retrouvent fréquemment, mais même les hommes les plus vieux n’en ont jamais vu, non plus que leurs pères et grands-pères. ». 

Une série de témoignages fait état d’observations de Moas au cours du 19ème siècle, dans des zones reculées et peu explorées de l’île du Sud. Une photographie très floue de 1993 montrerait un Moa ayant survécu jusqu’à notre époque, un nouveau Nessie de l’autre bout du monde. Cela reste du domaine de la cryptozoologie, tant qu’aucune preuve fiable ne montre la survie de ces géants. 

Chasse intensive, introduction d’espèces invasives, l’être humain est, sans aucun doute possible, à l’origine de l’extinction des Moas et des Aigles géants de Haast en Nouvelle-Zélande. Au cours des dernières centaines d’années, le même scénario s’est joué pour la faune des îles à travers le monde : oiseau-éléphant de Madagascar, dronte (ou dodo) de Maurice, …, comme autant de préquelles à la 6ème extinction de masse.


Pour écouter les épisodes sur la gigafaune du passé avec Pierre-Olivier Antoine :

Pour aller plus loin : 


Bannière baleine sous gravillon