Sacré chez les Amérindiens, le Pygargue à tête blanche, parfois chapardeur, devient le symbole des jeunes Etats-Unis en 1782 bien que l’un de ses “Pères fondateurs”, Benjamin Franklin aurait préféré le plus respectable Dindon. Parfois confondu avec l’Aigle royal, le “bald eagle” est présent sur les emblèmes de la CIA, de la NSA, (agences de sécurité états-uniennes) ou du Président. Sa célébrité “made in America” éclipse 9 autres espèces d’Aigles pêcheurs dont le géant Pygargue empereur, le bavard Pygargue vocifer la “voix de l’Afrique”, et en France le rarissime Pygargue à queue blanche. Portrait de ces rapaces “aux fesses blanches”, symbole de force et pourtant en déclin.
Un bec crochu jaune et des serres puissantes de la même teinte, une tête blanche et un corps brunâtre à brun clair, le Pyrargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus) est l’espèce la plus connue sur la dizaine de Pygargues que compte le genre Haliaeetus. Il appartient à la famille des Accipitridés dont font partie la majeure partie des Aigles et rapaces diurnes, mais attention le Pygargue n’est pas un Aigle !
Un drôle de nom lié à son postérieur
Le nom Pygargue vient du latin Pygargus lui-même issu du grec ancien Pugargos. Ce terme est formé de pugé qui signifie “fesse, croupion” et d’argos voulant dire “blanc”. Pygargus est déjà utilisé par Aristote et d’autres auteurs de l’Antiquité pour désigner un oiseau de proie mais dont l’identification reste obscure. Pygargue signifie alors littéralement “qui a les fesses blanches“. Au XVIe siècle, il est utilisé par les naturalistes comme traduction savante du latin et désigne alors tous les grands oiseaux de proie. On le voit apparaître dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en 1765 mais comme simple traduction du latin pygargus. C’est avec Buffon, dès 1770, que la dénomination spécifique de l’oiseau se précise. Il cherche ainsi à délimiter l’emploi du terme “Aigle“. […] Les trois autres espèces auxquelles les naturalistes ont donné le nom d’aigle sont l’aigle à queue blanche que j’appellerai pygargue, de son nom ancien pour le distinguer des aigles des trois premières espèces […] ; l’Aigle de mer que j’appellerai balbuzard, de son nom anglais, parce que ce n’est point un véritable aigle ; et enfin le Grand aigle de mer qui s’éloigne encore plus de l’espèce, et que par cette raison j’appellerai Orfraie, de son vieux nom françois. […]
De nos jours, le Pygargue est un nom générique associé au genre Haliaeetus et au genre Icthyophaga. Ces oiseaux sont avant tout pêcheurs. Les différentes traductions mettent d’ailleurs l’accent sur leurs lieux de vie privilégiés. En anglais, notre rapace se nomme fish eagle, ou sea eagle, aigle de mer. En allemand, ce sera die Seeadler (See pour la mer, Adler pour aigle), l’espagnol se rapproche du français avec pigargo, et l’italien parlera d’aquila di mare.
Un pêcheur sachant pêcher…
Les Pygargues se rencontrent près des côtes et falaises rocheuses maritimes, près des milieux aquatiques d’eau salée ou d’eau douce, tels les marais et les lagunes riches en proies. Ce sont des oiseaux sédentaires mais les espèces présentes dans le nord de l’Europe migrent plus au sud pendant la période d’hivernage. Leur envergure dépasse les 2 m allant jusqu’à 2,50 m pour un poids variant de 4 à 7 kg selon les espèces. Le mâle reste plus petit que la femelle.
Sa nourriture privilégiée est composée de poissons. Opportuniste, il se nourrit d’espèces disponibles selon les saisons et les ressources locales. Il n’hésite pas à subtiliser les captures d’autres rapaces tels que le Balbuzard ou d’autres oiseaux pécheurs comme le Cormoran ou le Goéland, mais aussi celles de mammifères (Loutre…). Poisson mort, ou vivant, Canard, Grèbe, Foulque, jeunes Hérons cendrés, Mouette, petits mammifères, rien n’échappe au regard du Pygargue qui chasse à l’affût ou en vol à basse altitude, décrivant des cercles une fois la proie repérée. Celle-ci sera saisie en vol rasant sur l’eau par les serres puissantes du rapace, projetées en avant. Il recherche aussi sa nourriture en pataugeant dans des eaux à faible profondeur. La capture, plus laborieuse, d’un oiseau aquatique se fera par épuisement de celui-ci.
Les Pygargues peuvent chasser en groupe. Ils ont besoin de 500 à 600 g de nourriture par jour surtout pendant la période de reproduction alors que la quantité nécessaire pour les jeunes monte jusqu’à 900 g. En hiver, ils suivent les Grands corbeaux et les Corneilles qui se rassemblent près des charognes. C’est une espèce dite philopatrique, c’est-à-dire retournant vivre près de son lieu de naissance.
Tête et/ou queue, le blanc sied au Pygargue
Les principales espèces sont présentes au Canada et en Europe. Sur la dizaine d’espèces de Pygargues, les 4 les plus connues possèdent un plumage brunâtre, des pattes et un bec jaunes ; on peut citer :
- le Pygargue empereur ou Pygargue de Steller (Haliaeetus pelagicus), présent dans la zone maritime du Japon et de la Corée mais en très fort déclin,
- le Pygargue de Pallas (Haliaeetus leucoryphus), grand rapace brun présent en Asie centrale, qui vit jusqu’à 5000 m d’altitude, mais en voie d’extinction,
- le Pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla) présent principalement en Europe du Nord et en Russie. Cette espèce est classée en préoccupation mineure par l’UICN. On estime à 600 couples, le nombre de Pygargues à queue blanche en Europe pour une population mondiale de 10 000 à 20 000 individus. Il bénéficie de programmes de réintroduction dans les îles britanniques ainsi que dans l’est de la France, notamment en Haute-Savoie. Cet oiseau est malheureusement encore tué par empoisonnement comme ce fut le cas début octobre 2024.
- La 4ème espèce est le Pygargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus) qui a failli disparaître des Etats-Unis à cause de l’exposition des oiseaux au DDT. Ce pesticide a provoqué l’amincissement des coquilles d’œufs, les rendant trop fragiles pendant l’incubation. En 1972, le DDT est interdit aux Etats-Unis favorisant une lente remontée des populations. On compte plus de 100 000 individus sur le continent nord-américain. Mais il a moins de 50% de chance d’atteindre l’âge adulte.
Le Pygargue à tête blanche, entre guerre et paix
“Guerre et paix”, le titre de l’oeuvre du célèbre auteur russe, Léon Tolstoï, pourrait aussi bien désigner l’Amérique au travers du Pygargue à tête blanche. À l’origine, il était sacré dans les cultures amérindiennes, incarnant un rôle de messager entre les esprits et les êtres humains. Certaines tribus utilisaient ses serres comme marque de prestige ainsi que les plumes sur les costumes d’apparat et sur les coiffes, lors de cérémonies rituelles. Elles étaient aussi offertes en cas d’exploit ou aujourd’hui lors de remises de diplômes. De nos jours, la loi précise que seules les tribus reconnues par le Gouvernement fédéral peuvent détenir des plumes de Pygargues à tête blanche pour des usages cultuels.
Force, exploit… Le Pygargue a été choisi comme symbole national américain le 20 juin 1782 par le Congrès de l’époque. Confondu souvent à tort avec l’Aigle royal, il est représenté sur la plupart des sceaux officiels. En 1784, le philosophe et savant Benjamin Franklin, un des Pères fondateurs des Etats-Unis, critiquait ce choix en raison du caractère opportuniste voire “voleur” de proies, et préférait le Dindon sauvage, moins imposant mais plus respectable et plus courageux. Sur les sceaux officiels, le Pygargue est représenté ailes déployées tenant dans ses serres d’un côté 13 rameaux d’olivier portant 13 feuilles, 13 olives et 13 flèches de l’autre côté (pour les 13 États américains). Paix d’un côté, et défense ou guerre de l’autre. Et pour auréoler ce rapace, une oriflamme portant la devise latine E Pluribus Unum signifiant “de plusieurs, un”, signature à la fois de la diversité culturelle américaine et de l’unité des 13 États.
Si certaines espèces ont presque totalement disparu comme en Asie, d’autres espèces de Pygargues persistent ailleurs comme sur le continent africain avec le Pygargue vocifer (Ichtyophaga vocifer). Il est l’emblème de la Zambie et appelé “voix de l’Afrique”.
En Europe, des programmes de suivi et de protection sont mis en place. La protection à long terme de l’habitat de cet oiseau, à l’écart des nuisances humaines, nous permet à l’avenir de pouvoir encore admirer ce planeur hors pair.
Photo centrale : ©Peter Kraayvanger
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Pour écouter le podcast NOMEN sur le Pygargue :
Sources :
- “Rapaces”, de Dietmar Nill, Torsten Pröhl, Bernhard Ziegler. Editions Gerfaut
- “Le guide ornitho”, de Lilia, Mullaney, Lars Svensson, Dan Zetterström, Peter J. Grant – Editions Delachaux et niestlé. 2004
- https://inpn.mnhn.fr/docs-web/docs/download/441037
- https://www.lpo.fr/decouvrir-la-nature/fiches-especes/fiches-especes/oiseaux/rapaces/pygargue-a-queue-blanche
- https://www.hww.ca/fr/faune/oiseaux/le-pygargue-a-tete-blanche.html
- https://www.lesaiglesduleman.com/centre-de-reintroduction/le-programme-de-reintroduction/
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/haute-savoie/comment-le-pygargue-a-queue-blanche-fait-son-retour-dans-les-alpes-130-ans-apres-sa-disparition-2602916.html
- https://reporterre.net/Aigle-rare-empoisonne-87-000-euros-d-amende-pour-le-pisciculteur
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