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Tout premier Pokémon d’une longue liste de plus de 1000 espèces, Bulbizarre est une sorte de crapaud avec une graine incrustée sur le dos. Bizarre ? Dans la vraie vie pourtant, il existe un amphibien, la Pipa américaine, qui transporte une graine de vie bien plus étrange dans sa peau. 

Carte Pokemon avec la Pipa américaine
Photo d’illustration ©Frank Deschandol

Notre Bulbizarre de la vraie vie peuple les étangs, les bras morts ou les rivières au cours lent de l’Amazonie. En tant que Pokémon, nous pourrions lui prêter le type Plante, car son corps plat et brun pourrait être confondu avec une feuille morte sous l’eau, lui offrant un excellent camouflage. Mais comme Bulbizarre, sa particularité se cache dans son dos.

Un crapaud qui fait du métal

Si vous êtes sujet à la trypophobie, la peur des groupes de trous évoquant une infection, passez votre chemin ! La femelle Pipa américaine, Pipa pipa, abrite ses œufs puis ses petits dans sa peau du dos. 

Tout commence par le chant d’amour aux cliquetis métalliques du mâle. Ce dernier n’utilise pas de sacs vocaux comme beaucoup de grenouilles ou de crapauds, mais il fait plutôt claquer son os hyoïde, un os de la gorge… encore une bizarrerie de notre Pokémon.

Une fois la femelle attirée, le mâle s’agrippe sur son dos, enserrant sa dulcinée pendant plusieurs heures. C’est l’amplexus. Il ne relâche son étreinte qu’après qu’elle ait libéré ses ovules dans l’eau. Le mâle les arrose alors de spermatozoïdes pour assurer la fécondation. 

Au terme de quelques acrobaties aquatiques, les œufs sont remontés sur le dos de la femelle et se collent sur sa peau déjà en train de s’épaissir et de les englober.

L’instinct maternel dans la peau

Illustration présente dans "Metamorphosis insectorum Surinamensium" de Maria Marian
Illustration présente dans “Metamorphosis insectorum Surinamensium” de Maria Marian.

Deux jours après la fécondation, 50 à 100 œufs sont piégés sur le dos de la femelle. Chaque capsule, riche en vaisseaux sanguins, assure la survie de sa petite Pipa américaine en devenir, comme le fait le placenta dans l’utérus d’un mammifère. 

Alimentés en nutriments et en dioxygène, les œufs donnent des têtards. Ces derniers restent à l’abri et effectuent leur métamorphose en mini adultes. 

En 1705, Maria Sibylla Marian, une naturaliste et artiste peintre allemande, décrit ce comportement particulier à la suite de son voyage au Suriname. Pour la première fois, des soins parentaux sont documentés chez les Anoures (les amphibiens sans queue). C’est étonnant car sous nos latitudes vit l’Alyte accoucheur, dont les mâles transportent les œufs autour des pattes. Certains, comme le Crapaud commun, ne s’occupent pas du tout de leur progéniture, ils abandonnent les œufs et les têtards aux prédateurs. La perpétuation de l’espèce repose sur un grand nombre de descendants dont peu arrivent à l’âge de se reproduire. Chez notre Pipa américaine, la femelle reste immobile à l’affût de proies tout en abritant et nourrissant ses petits. Ils sont certes moins nombreux que chez les autres grenouilles, mais ils ont plus de chance de survivre jusqu’à la fin de la métamorphose. 

Au bout de 3 à 4 mois, ils finissent par quitter la peau de leur mère alors qu’ils mesurent moins de 2 cm de long. Ils finissent leur croissance en se débrouillant seuls, jusqu’à atteindre une taille de 15 à 17 cm.

Une fois libérée, la femelle perd sa plaque de peau et peut recommencer un nouveau cycle.
Contrairement aux apparences, les crapelets ne dévorent pas leur mère de l’intérieur, par contre l’inverse n’est pas impossible.

Immobile comme une Pipa américaine

Pipa américaine sur fond de feuilles mortes
Le camouflage de la Pipa américaine ©Andreas Schlüter – CC BY-SA 2.5

Alors que Bulbizarre patiente au soleil pour emmagasiner son énergie, la Pipa américaine reste tout aussi immobile en attente de sa pitance. Sans langue, comme les autres membres de la famille des Pipidés, et sans dent, elle capture sa nourriture par succion

À l’affût, elle capte tous les mouvements de ses proies aquatiques grâce à des organes de la ligne latérale. De même, elle compte aussi sur les appendices en forme d’étoile du bout de ses doigts pour détecter les vers, les insectes ou les crustacés. Elle peut également capturer de petits poissons et d’autres amphibiens y compris de jeunes Pipas… avec ses petits yeux, elle n’est pas très regardante sur ses repas. 

La capture est instantanée, en 12 à 24 millisecondes. La Pipa américaine crée une dépression en ouvrant grand la bouche, mais aussi en déplaçant ses clavicules et en reculant l’ensemble de ses organes internes, y compris son cœur, sur le tiers de sa longueur. C’est le seul tétrapode connu capable de faire cela. La cavité créée permet d’accueillir une quantité d’eau plus importante que le volume de l’animal au repos et de gober la proie au passage. Elle évacue ensuite l’eau lentement tout en retenant sa victime dans la bouche grâce à ses mains. 

Sans protection… et alors ?

Détail du dos d'une Pipa américaine
Détail du dos d’une Pipa américaine portant ses petits ©Endeneon – CC BY 3.0

Encore une bizarrerie, mais qui nous ravit : contrairement à beaucoup d’autres amphibiens, sa population globale semble bien se porter. La Pipa américaine vit dans une vaste partie de l’Amazonie y compris dans des zones déjà protégées. Localement, elle subit cependant l’exploitation forestière et la déforestation à des fins d’agriculture.
De même, elle ne semble pas sensible aux maladies comme la chytridiomycose. C’est d’autant plus étonnant qu’elle ne produit aucune protéine antimicrobienne dans son mucus ni aucune toxine. Un point qui l’éloigne du type Poison de Bulbizarre.

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Photographie de couverture et illustrant la carte : ©Frank Deschandol

Sources :

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