Avec le Renne, il fait partie des derniers représentants de la mégafaune des terres glacées du Pléistocène. Le Bœuf musqué, Ovibos moschatus, est aujourd’hui le plus grand herbivore de la toundra arctique. Sous ses airs de vache des glaces, il est en réalité plus proche des chèvres. Sous son manteau de longs poils à la forte odeur, il subit le réchauffement foudroyant de son habitat. Couvrez-vous et bouchez-vous le nez pour partir à la découverte de cet ancien colocataire des Mammouths.

Il ressemble à un bœuf et il sent le musc. Son nom est donc tout trouvé. L’odeur est tellement prenante qu’en 1744, un texte rédigé en anglais, pose la question de savoir si sa viande est consommable et la première réponse est qu’il ne vaut mieux pas y toucher. Spoiler : les occidentaux ont changé d’avis et 150 ans plus tard, la chasse bat son plein.
Mais pour le moment, revenons à son nom. En 1816, Henri-Marie Ducrotay de Blainville, un zoologiste français, crée le genre Ovibos dans lequel il place le Bœuf musqué. En faisant cela, il combine le bœuf “bos” à cause de l’allure générale et le mouton “ovis” pour son manteau de laine. Un rapprochement qui frôle le coup de génie chanceux !
Une chèvre géante des glaces

En effet, les études génétiques montrent que le Bœuf musqué appartient à la sous-famille des Caprinés, comme nos moutons et nos chèvres domestiques. Sa branche s’est séparée des autres caprins au milieu du Miocène, il y a environ 12 millions d’années. Aujourd’hui, ses proches cousins sont des habitants des forêts tropicales d’Asie, les méconnus Gorals et Saros.
Ses plus proches parents n’ont pas survécu au réchauffement climatique à la fin de la dernière glaciation il y a 10 000 ans. Parmi eux, le Bœuf musqué casqué, Bootherium bombifrons, est une version gonflée aux hormones de l’espèce actuelle, peuplant l’Amérique du Nord, du Texas à l’Alaska. C’est d’ailleurs dans cet état qu’un spécimen est retrouvé momifié en 1940. Il pouvait peser 400 kg, contre 320 kg pour les plus gros mâles d’aujourd’hui. Il doit son nom à ses longues cornes courbées totalement fusionnées formant un casque au sommet de son crâne. Celles de notre Ovibos se touchent chez les mâles mais elles sont toujours séparées par une fine rainure ; chez les femelles, une bande de peau les sépare franchement. Le Bœuf musqué casqué vivait dans une plus grande variété d’habitats que son cousin actuel cantonné aux régions froides avec son grand manteau de laine.
C’est doux ! C’est neuf ? Non c’est du Bœuf musqué

On ne peut pas le rater, le Bœuf musqué porte un long manteau de fourrure et lui permet de survivre aux vents glacés de la toundra arctique. Les poils visibles, les jards, forment une première armure contre le froid. Longs de 60 cm, ils touchent le sol, au point que les Inuits l’ont nommé “oomingmak” soit “l’animal dont la fourrure est comme une barbe”.
Le véritable secret de la résistance au froid se trouve en dessous : le sous-poil est 8 fois plus chaud que celui des moutons et serait plus doux que celui des chèvres du Cachemire. Les Inuits nomment cette laine de grande qualité “qiviuk”. Elle est récoltée lors de la mue naturelle des animaux. Afin d’en augmenter la production, quelques tentatives de domestication ont été menées au Canada, sans grand succès jusqu’alors.
Au-delà de la douceur, le “musqué” de notre chèvre géante vient de l’odeur de son manteau de laine. Pendant la période du rut, les mâles arrosent leur fourrure du ventre avec de l’urine parfumée avec une glande particulière de leur prépuce. Un parfum d’amour composé de plusieurs molécules aromatiques comme l’acide benzoïque (présent dans certains encens), des lactones (odeurs fruitées), du crésol (goudron) et du cholestérol.
Bon pied, bon œil

En plus du froid, vivre en Arctique implique de s’adapter à des changements de lumière très importants. Au-delà du cercle polaire, en hiver, le soleil disparaît toute une partie de l’année. Le Bœuf musqué possède une rétine sensible, captant la moindre lumière de la Lune ou des étoiles, et des pupilles horizontales s’ouvrant en grand. En été, c’est l’inverse, le Soleil reste visible 24h/24 et se réfléchit sur la neige. La pupille du Bœuf musqué se referme presque totalement afin d’éviter la cécité des neiges.
Les sabots, larges et robustes, permettent de gratter la neige et de briser la glace afin de trouver un fourrage de faible qualité. Le Bœuf musqué profite de la belle saison pour se nourrir en grande quantité de diverses espèces d’herbacées. Il profite de 6 semaines de végétation riche et abondante pour constituer des réserves de graisses qui assureront sa survie le reste de l’année. Cette prise de poids est d’autant plus importante pour les femelles qui doivent assurer la gestation et l’allaitement des petits en dehors de la période d’abondance.
Chez le Bœuf musqué, l’union fait la force

L’ultime rempart contre le froid est la vie en groupe. Serrés les uns contre les autres, les Bœufs musqués appliquent la même technique que les Manchots empereurs de l’autre côté de la Terre.
Cette défense fonctionne aussi face aux prédateurs. Menacés par les Loups arctiques, les Grizzlys ou les Ours blancs, les Bœufs musqués présentent un cercle de cornes. Les jeunes et les plus fragiles se placent au centre du troupeau et les adultes font face aux prédateurs.
Une étude de 2013 (voir Sources) montre que le prélèvement des mâles par les chasseurs réduit le nombre de bouvillons passant leur première année. Chez les autres espèces formant des harems, le prélèvement de mâles à peu d’incidence sur le nombre de petits. Un mâle s’accouple avec plusieurs femelles. Chez le Bœuf musqué, la technique du cercle de cornes n’est efficace que si le nombre d’adultes est suffisant. Ainsi, bien que les affrontements tête contre tête soient violents pendant le rut, la présence de mâles dans le troupeau renforce la protection face aux prédateurs.
Survivre à l’extinction… 3 fois

Habitant de la toundra arctique, le Bœuf musqué dépend des habitats froids. Au Pléistocène, il vit en Sibérie et en Amérique du Nord, de l’Oural au Groenland. Au cours de son histoire évolutive, l’espèce est passée par 2 goulots d’étranglements, il y a 3 millions d’années et 20 000 ans. Un goulot, ou goulet, d’étranglement correspond à une forte perte de la diversité génétique d’une espèce, en raison d’une forte diminution de la population. En somme, par le passé, le Bœuf musqué a frôlé 2 fois l’extinction lors des phases de glaciations de la fin du Cénozoïque.
En conséquence, l’espèce présente encore aujourd’hui une faible diversité génétique. Or, c’est dans une diversité importante qu’une espèce peut trouver le salut face aux changements inévitables de son milieu de vie.
La troisième fois où le Bœuf musqué a frôlé l’extinction, c’est à cause de la chasse de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. À cette époque, les Occidentaux changent d’avis sur la qualité de la viande, ils récupèrent également les peaux, anéantissant les animaux d’Alaska.
Présent uniquement dans le Nord du Canada et du Groenland, le Bœuf musqué a fait l’objet de plusieurs tentatives de réintroduction dans son aire de répartition préhistorique au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, de nouvelles populations sont établies en Alaska, en Suède et en Norvège et en Sibérie, sur la péninsule de Taïmyr et l’île de Wrangel, l’ultime bastion des derniers Mammouths. En 1998, la population mondiale atteint 157 000 individus.
Et la quatrième fois ?

Au cours des dernières années, le nombre de Bœufs musqués diminue significativement, la population est de 127 000 individus en 2019 dans le monde. Si aujourd’hui la chasse est fortement réglementée, c’est le réchauffement climatique qui met à mal l’espèce de deux manières différentes.
D’abord par l’augmentation des précipitations à l’automne : désormais, il peut pleuvoir dans la toundra et l’épais manteau de laine du Bœuf musqué n’est pas adapté. Une fois détrempé, il perd son pouvoir isolant et le froid pénètre l’armure de laine.
Ensuite, les étés plus chauds marquent le développement de parasites en plus grand nombre. De même, l’émergence de maladies bactériennes, comme l’érysipèle sur l’île de Banks, décime les troupeaux. Ces bactéries, habituellement repoussées par le froid, pourraient décimer les populations de Bœufs musqués. La menace est d’autant plus grande que la diversité génétique est faible ce qui diminue la probabilité que certains animaux soient porteurs d’une résistance à la maladie.
À une époque où les mots “réchauffement climatique” sont gommés des sites officiels des États-Unis d’Amérique, le Bœuf musqué sera-t-il une espèce de plus sur la liste des victimes de la 6ème extinction de masse ? Ou bien ferra-t-il preuve encore une fois de résilience ?
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Image de couverture : © Rosula de Pixabay
Sources :
- Prewer E, Kutz S, Leclerc LM, Kyle CJ. Draft Genome Assembly of an Iconic Arctic Species: Muskox (Ovibos moschatus). Genes (Basel). 2022 May 1;13(5):809. doi: 10.3390/genes13050809. PMID: 35627194; PMCID: PMC9140810.
- West AR. Mitogenome of the extinct helmeted musk ox, Bootherium bombifrons. Mitochondrial DNA B Resour. 2016 Nov 11;1(1):862-863. doi: 10.1080/23802359.2016.1250136. PMID: 33473657; PMCID: PMC7799672.
- Schmidt JH, Gorn TS. Possible secondary population-level effects of selective harvest of adult male muskoxen. PLoS One. 2013 Jun 20;8(6):e67493. doi: 10.1371/journal.pone.0067493. PMID: 23818982; PMCID: PMC3688598.
- IUCN : Ovibos moschatus (Muskox)
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