Au 19ème siècle Darwin s’interrogeait sur certains coléoptères qu’on appelait alors les Lamellicornes: “Ces cornes, dans la grande famille des Lamellicornes, ressemblent à celles de divers mammifères, tels que le cerf, le rhinocéros, etc., et sont fort curieuses, tant par leurs dimensions que par les formes diverses qu’elles affectent.“ S’il existe des Scarabées rhinocéros, les cornes sont d’abord l’apanage des bovins et des caprins, qu’ils soient sauvages ou domestiqués, ainsi que des Antilopes.
Au cours des siècles, les animaux à cornes ont été tour à tour adulés, craints ou victimes de braconnage. Alors prenons le Taureau par les cornes et penchons-nous sur cet organe… sensible.
Tout comme les bois qui sont en os, les cornes sont des structures paires. Elles poussent généralement à partir des os frontaux du crâne. Chez les bovidés et les caprinés, elles possèdent une base osseuse recouverte de kératine. Tandis que chez les rhinocérotidés, elles sont composées uniquement de kératine. En fonction des espèces, les cornes varient en taille ou en poids mais sont généralement présentes chez les mâles et les femelles. Les bois eux, sont l’attribut des mâles et tombent chaque année. Aux deux extrêmes de cette diversité, les Dik-diks, qui du haut de leur 40 cm arborent des cornes qui mesurent 3 à 8 cm, font pâle figure face à celles du Watusi, qui peuvent dépasser 2m!
Les cornes des différents groupes de mammifères sont le fruit de processus évolutifs complexes, influencés par la sélection sexuelle et la compétition. C’est à dire que ces structures sont devenues des caractères sexuels secondaires. Lors des compétitions intrasexuelles, les mâles avec des cornes plus grandes ou imposantes bénéficiaient d’un avantage lors des combats pour accéder aux femelles. La préférence de certaines femelles pour ces traits ostentatoires ont amplifié ces caractères. On nomme ce mécanisme hypertélie (littéralement “allant au-delà du but” ). Le grand public le connait avec l’exemple du Paon. Ses couleurs attirent les prédateurs et la taille démesurée de sa queue rend sa fuite difficile. Un véritable paradoxe du point de vue de la sélection naturelle !
Corne d’abondance !
L’être humain pousse parfois cette sélection. Si les cornes sont habituellement des structures paires, il existe des exceptions. Ainsi les éleveurs sélectionnent les Moutons Loaghtan de l’île de Man pour leurs cornes multiples. Ces animaux avec des cornes surnuméraires sont dits polycères. La première mention d’un tel animal date de 1786. Marie-Antoinette acquiert alors un Bouc blanc à quatre cornes, transféré depuis la ville de Bulle, en Suisse jusqu’à Versailles.
Aujourd’hui, l’étude des génomes, de Chèvres et Moutons, explique le mystère du Bouc à 4 cornes. Une équipe de recherche menée par Aurélien Capitan, généticien à l’Inrae, a démontré que les animaux polycères portent tous une mutation affectant le même gène : HOXD 1. Ce gène dit “architecte” a pour fonction de délimiter la surface de l’endroit où les cornes peuvent pousser. La mutation de ce gène aboutit à la scission des bourgeons des cornes lors du développement embryonnaire et, par conséquent, à la pousse de cornes surnuméraires.
Un vent à décorner les bœufs !
Tout d’abord les cornes ne sont pas qu’un élément d’apparat. Véritables organes, les cornes, sensibles au toucher, sont innervées et irriguées par des vaisseaux sanguins. Chez les Vaches, elles sont reliées aux sinus par l’intermédiaire du cornillon. À chaque respiration de l’animal, l’air traverse donc les cornes. Elles semblent donc jouer un rôle dans le système respiratoire de l’animal. L’écornage des bovins et ovins est aujourd’hui questionné par les éleveurs, vétérinaires ou associations. Les animaux écornés se retrouvent privés d’une partie de leurs sinus. Et s’il répond à des logiques agricoles, il a des conséquences directes tant sur le comportement de l’animal que sur sa physionomie. Ainsi, parmi les signes visibles à l’œil, on observe une déformation de l’os frontal chez les animaux écornés.
Mais les cornes ont d’autres rôles. Elles sont un moyen de communication. Les Vaches qui arborent des cornes ont un rang social plus élevé que celles qui en sont dépourvues. Elles permettent de garder la distance entre les individus, de un à trois mètres environ, et de maintenir la hiérarchie. Elles servent aussi pour les soins corporels, qu’ils soient “personnels” ou prodigués à des congénères.
Armés jusqu’aux cornes !
À l’état sauvage, le rôle des cornes chez les mammifères, est crucial dans les stratégies de défense contre les prédateurs. Le Buffle d’Afrique (Syncerus caffer) utilise ses cornes incurvées, mesurant jusqu’à 1 mètre de long, pour charger ou projeter ses agresseurs. Lions, Léopards, et Lycaons gardent leurs distances et s’attaquent seulement aux plus vulnérables. Lors de la période de rut, les affrontements entre Mouflons sont courants. Les mâles se précipitent l’un contre l’autre à des vitesses pouvant atteindre 20 à 40 km/h. Leurs cornes spiralées, pouvant mesurer jusqu’à 90 cm de long et peser près de 14 kg, absorbent une grande partie de l’énergie des chocs. Ainsi, les combats causent rarement de graves blessures, mais sont cruciaux dans le succès reproductif des individus.
Chez les Antilopes, les cornes peuvent être droites et pointues comme pour l’Oryx gazelle (Oryx gazella), spiralées pour le Grand koudou (Tragelaphus strepsiceros), tandis que celles de l’Antilope cervicapre, (Antilope cervicapra), sont presque droites avec une torsion en spirale. Si les cornes sont un moyen de défense pour de nombreux animaux, elles sont aussi ce qui peut les mener à leur perte.
Ainsi les Rhinocéros sont victimes de braconnage aussi bien en Afrique qu’en Asie… et désormais dans les zoos européens. Le 7 mars 2017, un fait divers met en lumière l’ampleur du trafic mondial. à Thoiry, des braconniers tuent un Rhinocéros dans son enclos. Le commerce illicite des espèces sauvages constitue le 4e marché illégal au monde. Afin d’endiguer ce trafic, des scientifiques sud-africains, à l’initiative de James Larkin, chercheur à l’Université de Witwatersrand, ont développé une méthode consistant à injecter des isotopes radioactifs, tels que le lutétium-177, dans les cornes de Rhinocéros. Les cornes, qui peuvent atteindre jusqu’à 60 000 dollars le kg, sont alors détectables par des scanners dans les aéroports et inutilisables sur le marché noir.
Corps à corne.
La fascination pour les cornes ne se limite pas aux trophées. Familièrement associées au “cocu” , les cornes ont tour à tour été l’attribut des Dieux ou du Diable. En ancienne Egypte, on représente Amon-Rê avec des cornes de Bélier. En Grèce antique, Zeus se transforme en Taureau pour séduire Europe. Dans la religion chrétienne médiévale, les cornes prennent une connotation négative, et sont le symbole du diable. Sculptures gothiques et enluminures renforcent cette association. Aujourd’hui encore, cette vision perdure, ainsi le Bouc ou la Chèvre sont des animaux sataniques. Quant à la célèbre Licorne, c’est l’auteur grec Ctésias qui la mentionne entre -416 et -398. Cependant, cet animal légendaire prend différentes formes à travers les âges et les territoires. Ainsi, elle peut être Qilin en Chine, Ababda au Congo, ou Camahueto au Chili.
Enfin, au cinéma, les cornes ajoutent une dimension inquiétante aux personnages. Le faune du Labyrinthe de Pan reflète cette ambiguïté entre bien et mal. De même que dans Legend de Ridley Scott, Darkness, avec ses cornes gigantesques, incarne le mal absolu. Les cornes servent aussi à souligner l’altérité, comme pour Dark Maul dans Star Wars ou Hellboy, un démon qui œuvre pour le bien. De même, Maléfique, dans La Belle au bois dormant, arbore des cornes sinueuses, renforçant son aura de puissance. Enfin, Alexandre Aja exploite leur potentiel surnaturel dans Horns : Daniel Radcliffe se réveille doté de cornes aux pouvoirs mystérieux révélant les côtés sombres des individus.
Finalement, des mythes anciens aux écrans modernes, les cornes restent un symbole riche en significations. Elles sont un lien entre l’humanité et la monstruosité incarnant à la fois pouvoir, danger et fascination. Pour certains, la bête à corne la queue fourchue. Or en Bourgogne, la plus célèbre d’entre elle est plutôt de bonne augure. Helix pomatia, l’Escargot de Bourgogne, dont les tentacules sont à tort qualifiées de cornes est une espèce protégée. Aujourd’hui encore les jours de pluie on entend les enfants lui chanter: “Escargot mirogot Montre-moi tes cornes.”
Sources:
- Léon Rey, Le Petit Trianon et le hameau de Marie-Antoinette, Paris, Pierre Vorms, 1936, 84 p.
- Allais-Bonnet, A, Hintermann, A et al. (2021) Analysis of Polycerate Mutants Reveals the Evolutionary Co-option of HOXD1 for Horn Patterning in Bovidae, Molecular Biology and Evolution, msab021. DOI : https://doi.org/10.1093/molbev/msab021
- Heitzmann A.2006Trianon. La ferme du Hameau. Versalia9(1):114-129
Photo de couverture: CC Dylan Leagh.