Oiseau grégaire, le Choucas des tours est souvent confondu avec d’autres Corvidés comme le Corbeau freux ou la Corneille noire. S’il a des traits communs avec ses cousins, voire même des appellations proches, il n’en demeure pas moins unique en son genre, qu’il partage avec le Choucas de Daourie. Objet d’observations éthologiques autant que de légendes et de fables qui lui collent aux plumes, le Choucas des tours mérite le détour… et qu’on se penche sur cet oiseau vif et fidèle.
Appartenant à la famille des Corvidés, le Choucas des Tours, Coleus monedula, est souvent victime de confusions à tel point qu’il peut être aussi appelé Corneille des clochers ou Corbeau choucas… Et pourtant, au-delà de leur couleur noire commune, le Choucas des tours possède des traits bien spécifiques et peut gagner au jeu des différences avec la Corneille ou le Corbeau.
“T’as d’beaux yeux tu sais !”
Avec une taille oscillant entre 30 et 31 cm, le Choucas des tours est plus proche de la corpulence du Pigeon que de celle du Grand Corbeau. Affichant 200 à 300 g sur la balance, c’est le plus petit des corvidés ce qui le rend facilement identifiable. Sa silhouette, plus arrondie et ramassée, le distingue également de celles du Corbeau ou de la Corneille qui dépassent les 40 cm.
Coté couleurs, il n’y a pas que le noir qui lui va bien ! Certes, de face, sa tête est noire mais les côtés et l’arrière du cou sont gris cendrés, ce qui lui donne l’air d’avoir une calotte comme couvre-chef. Le dessous de ses ailes se teinte également de gris. Chez les jeunes, le noir et le gris tirent vers le brun. Ces couleurs sombres aux reflets violets selon la lumière, tranchent avec celle de son iris. En effet, sa teinte bleu givré aurait pu rendre Jean Gabin aussi fasciné qu’il était dans Quai des brumes. Face au regard de Michèle Morgan, sa phrase mythique “t’as de d’beaux yeux tu sais” aurait pu aussi s’adresser à cet oiseau ! Cette élégance du Choucas associée à sa petite taille lui valut autrefois le nom de “chochotte”, qui était alors un attribut plus affectueux qu’aujourd’hui.
Une montée dans les tours
A l’origine, le Choucas vivait surtout dans les anfractuosités des falaises côtières. Il fréquentait également les steppes boisées. Trous dans les arbres, ou trous de falaise, la nidification était idéale. Peu à peu, son affection pour les bâtiments et façades des églises, les lieux urbanisés et anthropisés lui ont valu son qualificatif “des tours”, même si on le rencontre aussi dans des campagnes agricoles. Il a élargi son espace de nidification potentielle comme les Martinets et les Pigeons bisets. Cheminées, châteaux anciens, carrières, pylônes, clochers des églises, arbres des parcs et jardins sont autant de lieux de résidence pour cet oiseau aimant les trous et cachettes variées.
Capable de monter jusqu’à 2000 m d’altitude dans les Alpes et les régions du nord du Maghreb, le Choucas est un acrobate hors pair. Vif en vol, avec des battements d’ailes plus vigoureux que sa cousine la Corneille, ses capacités d’adaptation lui ont permis de s’étendre sur tous les continents, sauf en Amérique du Sud et en Antarctique. On pourrait s’amuser à faire le parallèle avec l’hélicoptère de la gendarmerie baptisé “Choucas”, dont l’analogie animalière est due à l’agilité de l’appareil et de son domaine élargi d’intervention.
Ça “tchak tchak” et ça vote à l’Assemblée des Choucas
Le nom de Choucas est d’origine onomatopéique, c’est à dire lié à son cri. C’est en Provence qu’il tire son origine mais à travers ses cousins corvidés : la Corneille en provençal se dit “Caucala” et le cri du Corbeau “Chouca”. La traduction anglaise de ce cri sera “chough” (qui désigne en réalité le nom du Crave à bec rouge). On en perd presque son latin si on observe les traductions du mot Choucas dans d’autres langues ! En anglais, le Choucas des tours se dit “jackdaw”, nom datant du XIe siècle et issu d’un vieux mot anglais “dawe”, Toujours en remontant le temps, “dawe” vient de l’allemand ancien “dakhwo”… et en allemand actuel, “dakhwo” devient “Dohle”. Peut être imitatif du cri ?… Vous me suivez toujours ?… En italien, aucune ressemblance en dehors du son [k] avec le “taccola” et en latin ancien “tacula”. Dans d’autres langues, le son [k] ressort nettement et confirme le lien avec son cri. Selon les pays et selon les scientifiques, on traduira celui-ci par “tchiow”, “kwak”, “kiak”, “kaa-kaa”, un cri plutôt aigu. Mais il est capable de différentes imitations et d’émettre des curieux miaulements ou des “kiiaaarrh” rauques.
La partition du Choucas des tours est variée. Ses chants lui servent surtout à communiquer différentes informations. Il en module à la fois le volume, le rythme, et la tonalité. Ainsi, il y a des cris de contact pour la cohésion du groupe, des cris explosifs et d’alertes en cas de danger et d’autres pour défendre le territoire ou pour… changer de perchoir. En effet, une étude anglaise issue de l’Université d’Exeter, révèle en mai 2022 que les Choucas agissent de manière démocratique. Par la modulation de son cri, l’oiseau propose de voter des décisions. Alex Thornton, professeur d’évolution cognitive à l’université d’Exeter et coauteur principal de l’étude explique : “Quand un oiseau appelle, il vote ou signale qu’il veut partir”. Ainsi en cas de changement de lieu, c’est à la majorité, lorsque l’intensité et le rythme des cris atteignent un niveau sonore suffisant que toute la tribu lève le camp. Ce mécanisme leur permettrait de s’informer et de se protéger contre les prédateurs. Leur survie passe donc par leurs chants. Un bon exemple de démocratie directe d’une assemblée où le perchoir est occupé par la majorité !
Un pour tous, tous pour un !
Cette polyphonie du Choucas est un atout pour la survie autant que son caractère grégaire. Il vit en bande d’une dizaine d’individus parfois jusqu’à 50, mais il arrive qu’ils se retrouvent sur le même lieu que des colonies de Corneilles ou de Corbeaux. A l’automne, ils sont rejoints par des populations venant du nord de l’Europe et forment des dortoirs communautaires. A plusieurs, on est plus fort et l’intrus, comme l’Autour des palombes (Accipiter gentilis) est vite repéré et pris en chasse. Le Choucas s’associe même à des espèces de sa famille comme le Corbeau freux (Corvus frugilegus) lors du nourrissage.
Omnivore, son menu est complété par des baies, des fruits, des graines et tubercules à la saison froide. Il n’hésitera pas, si l’occasion se présente, à s’approprier les œufs d’autres espèces, notamment sur le littoral, voire même à ajouter à son menu quelques oisillons. Le soir venu, il se regroupe avec ses congénères dans des arbres mais aussi avec d’autres colonies de corvidés. Cette sociabilité a un atout immense : la sécurité.
Choucas des tours, heureux en amour
Seul, jamais ! En groupe mais surtout à deux, le Choucas file le parfait amour avec le même partenaire. Quand on observe une troupe de Choucas en vol, les couples se détachent clairement. Après une parade nuptiale spectaculaire en l’air ponctuée de moments d’enlacement, les partenaires sont alors unis pour la vie. Les couples sont d’ailleurs dominants par rapport aux célibataires dans la colonie. Le Choucas des tours est fidèle et monogame. La reproduction a lieu en avril pour les sédentaires et en mai-juin pour les migrateurs. Une fois la cavité trouvée, pas besoin de dépenser de l’énergie pour la défendre. L’iris du Choucas, joue un rôle bien précis : le contraste du bleu clair de l’œil avec l’obscurité de la cavité, indique clairement à tout intrus que celle-ci est occupée.
Le nid, construit à deux, est composé de branchettes collées à l’aide de boue ou de bouse de vache, complétées par des plumes, du crin, voire même des morceaux de tissu. Pendant 3 semaines environ, 3 à 6 œufs verdâtres et tachetés seront couvés par la mère. Puis le partage des tâches reprend lors de l’alimentation des jeunes pendant 4 à 5 semaines. Lorsque ceux-ci quittent le nid, ils peuvent se regrouper, former ou rejoindre d’autres colonies. Une fois adultes, il arrive souvent qu’ils retournent sur leur lieu de naissance pour se reproduire à leur tour.
Légende et science, l’intelligence avant tout
Comme d’autres corvidés, le Choucas des tours est l’objet de légendes plus ou moins obscures qui lui collent aux plumes. Aristote lui attribue le qualificatif de cleptomane d’objets brillants ou colorés comme la Pie. Rien d’étonnant alors si l’on regarde l’origine latine du Choucas, (Coleus monedula). Monedula est dérivé de la racine latine “moneta” signifiant “monnaie”. Mais ce comportement de voleur a été depuis invalidé par les scientifiques.
A l’instar du Corbeau ou de la Corneille, il est messager et protecteur dans les histoires de sorcellerie et autres légendes. Intermédiaire avec l’au-delà, leur présence peut être interprétée comme signe de chance ou signe de communication avec les esprits des morts, à l’instar de nombreux autres oiseaux comme les Vautours. Leurs plumes serviraient de talisman ou au contraire à jeter des sorts. Dans la mythologie celtique, il était associé à la déesse Morrigan , et servait de guide spirituel.
Plus concrètement, l’observation du Choucas des tours dans certaines régions sert à prédire la météo. Objet de légendes, il possède surtout une intelligence exceptionnelle digne des grands singes et autres primates. En effet, il peut concevoir des outils pour dénicher des insectes, se reconnaître dans un miroir. Grâce à lui, le célèbre éthologue Konrad Lorenz a élaboré le concept de l’empreinte (Prägung) : le Choucas juvénile qu’il recueille, baptisé Tschok, préfère une fois adulte rester près de lui plutôt que rejoindre ses congénères. Ce concept sera notamment élargi aux Oies cendrées par le chercheur. L’oison à peine éclos s’attache au premier individu qu’il regarde comme source de protection – ici Konrad Lorenz – dédaignant alors sa mère biologique.
Capable de coopération, sociable et protecteur, le Choucas pourrait regagner l’estime de l’être humain. Malheureusement, il reste associé à l’image d’autres corvidés taxés de nuisibles. La diminution de ses prédateurs naturels comme le Faucon pèlerin a permis indirectement l’accroissement des populations. Mais il est fréquemment abattu dans les champs lorsqu’il se mêle aux immenses groupes d’oiseaux dont certaines espèces sont inscrites sur la liste des Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts (ESOD). Pourtant, grand amateur d’insectes, il pourrait s’en nourrir utilement juste après les labours. S’il n’est pas inscrit sur la liste des ESOD en France, ni sur celle des espèces menacées de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), sa chasse est autorisée par des arrêtés préfectoraux dans certains départements de Bretagne et dans certains pays. Cette mesure n’a jamais prouvé son efficacité. La disparition des grands arbres ainsi que des grillages ou la réfection de façades, l’utilisation excessive de pesticides, la pollution de l’eau et de l’air, pourraient à terme nuire à sa santé et sa reproduction, malgré sa relative protection officielle européenne.
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Pour écouter les épisodes de Nomen sur le Choucas et les autres corvidés :
- NOMEN S03E10 : Le Choucas monte dans les tours
- NOMEN S02E10 : Le Corbeau 1/2 : Un surdoué vénéré chez les Vikings, détesté chez les Chrétiens…
- NOMEN S02E14 : Le Corbeau 2/2 : De La Fontaine à Clouzot en passant par la Tour de Londres, black is beautiful
- NOMEN S02E30 : La Pie : Pas si voleuse, mais tellement maligne…
- NOMEN S03E02 : La Corneille craille, le Corbeau croasse, la caravane Nomen passe
- NOMEN S03E06 : Le Corbeau freux, un sacré récolteur-vendangeur !
- NOMEN S03E14 : Chocard à bec jaune et Crave à bec rouge, les montagnards de la famille
Pour aller plus loin/sources :
- https://www.mnhn.fr/fr/choucas-des-tours/
- https://www.salamandre.org/article/ceci-nest-pas-une-corneille-choucas/
- https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/oiseaux/l-abattage-inutile-des-choucas-des-tours_143746
- https://www.oiseaux.net/oiseaux/choucas.des.tours.html
- https://www.wildcognitionresearch.com/cornish-jackdaw-project/
- https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/les-corbeaux-choucas-utilisent-leurs-cris-pour-prendre-des-decisions-communes-7900159492
- https://inpn.mnhn.fr/docs/cahab/fiches/Choucas-des-tours.pdf
Bibliographie :
- Atlas des Oiseaux – collection Atlas 2008
- P. Cabard et B Chauvet (2003). L’étymologie des noms d’oiseaux. LPO, Belin.
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