L’Épinoche : le général “Épinochet” d’eau douce 

Elle n’est pas plus longue qu’une carte de crédit, de 4 à 8 cm, mais elle est puissante dans sa détermination… en tant que père. Épineuse, recouverte de plaques d’os, elle se met en position défensive quand on approche sa progéniture en devenir… mais de qui parle-t-on ? Tel Poséidon, dieu des eaux, avec ses trois épines en guise de trident, l’Épinoche mérite qu’on s’y attarde tant son comportement et son anatomie intriguent, fascinent. Largement présente dans les eaux douces ou en mer, elle est devenue un poisson-modèle pour les scientifiques et un marqueur en éco-toxicologie en laboratoire. Épinoche, lanceuse d’alerte malgré elle ? 

L’Épinoche à trois épines, Gasterosteus aculeatus, s’accorde au féminin. Son nom d’espèce “aculeatus” signifie “qui a des aiguillons, des piquants”, ce que confirme l’origine du nom français “Épinoche”. La famille des Épinoches, les Gastérostéidés, compte 16 espèces réparties en 5 genres. 

Une épine dans la nageoire, l’Épinoche sentinelle…

Adepte des zones peu profondes riches en végétation, l’Épinoche se nourrit de plancton, de micro-invertébrés benthiques, d’insectes aquatiques, d’insectes aériens noyés et d’alevins. Elle se déplace plutôt en bancs, comprenant des regroupements familiaux. Par le biais des phéromones, elle peut reconnaître des individus de sa propre famille, évitant ainsi les risques de consanguinité. Ayant peu de prédateurs à l’âge adulte, grâce à son armure forgée au fil de la pression de la sélection, elle a su s’adapter à de nombreux biotopes et témoigne d’une certaine résilience écologique. 

Elle est néanmoins victime d’un prédateur bipède, l’être humain. Petite et pleine d’épines, Gasterosteus aculeatus n’a rien d’un poisson prisé commercialement parlant. Cependant, la Scandinavie l’a déjà pêchée pour la transformer en farine animale pour l’aquaculture ou bien en huile de poisson. Comme son compère le Chabot, l’Épinoche reste néanmoins un poisson-modèle, mais aussi “sentinelle” pour la qualité de l’environnement, … et à terme pour la santé humaine. 

Étudiée en laboratoire pour son comportement social marqué, elle fait aussi l’objet de toutes les attentions en biosurveillance, concernant les différents polluants des eaux qui l’affectent malgré sa grande résistance. Les plus incriminés sont les insecticides (perchlorates), véritables perturbateurs endocriniens, qui impactent le taux de fertilité de l’Épinoche et d’autres poissons. Les femelles deviennent hermaphrodites avec l’apparition de testicules sur les ovaires et l’inverse se produit sur les mâles. Les modifications anatomiques et du génome ont des incidences sur sa descendance et donnent une résonance particulière à l’avenir de l’Épinoche mais aussi, à terme, à celui de l’être humain. La dégradation de son environnement, la destruction des zones humides et l’introduction d’espèces invasives menaçant les alevins, fragilisent ce petit poisson pourtant bien armé. 

L’Épinoche, une cuirassée hors norme

Chez l’Épinoche, les épines sont en général au nombre de 3 (parfois 4), positionnées avant la nageoire dorsale. La dernière est plus petite et plus courte, parfois difficilement visible sur les clichés. Ces rayons épineux prennent ainsi toute leur place sur le haut et l’avant du corps tandis que les nageoires dorsales et anales se situent très en arrière. On retrouve d’autres épines sur la face ventrale, une à la place de chaque nageoire pelvienne et enfin une dernière légèrement recourbée au niveau de la nageoire anale. 

À moins d’être un poisson fakir… l’Épinoche ne se laisse pas facilement avaler. Pour rajouter un peu plus de piquant, à la place d’écailles, la peau de ses flancs recouvre des plaques osseuses appelées écussons, le long de la ligne latérale, plus nombreuses chez les espèces vivant en milieu marin que celles en eau douce. Ces plaques renforcées sont à l’origine du nom de la famille, “gaster” pour le ventre et “osteon” pour “os”. Ainsi cuirassée tel un Potemkine et même si ses prédateurs sont nombreux (Aigrette, Morue, Doré, Omble de fontaine, Corégone, Saumon et Anguille), il n’est pas rare que l’Épinoche soit recrachée après avoir été attrapée. Car ses épines se dressent en cas de danger. On pense alors au Baliste, ce poisson “gachette” qui érige ses deux épines dorsales lorsqu’il se sent menacé.

Comme un poisson dans l’eau… douce ou salée

À l’origine, ce poisson fusiforme et au corps comprimé vivait plutôt dans le cercle polaire, puis ses populations se sont déployées dans toutes les régions tempérées de l’hémisphère Nord (Europe, Afrique du Nord, Amérique du Nord et Nord du Japon). Sans être considéré comme menacé par l’UICN, il est en voie de régression. 

Cependant, l’Épinoche à trois épines détient le qualificatif d’ubiquiste. Sa capacité d’adaptation s’exerce dans des biotopes très différents : les eaux saumâtres des lagunes, dans les estuaires, les eaux douces des ruisseaux ou de petites rivières, des mares voire des étangs. Il est aussi présent en mer dans les eaux littorales en surface, jusqu’à une dizaine de mètres de profondeur voire jusqu’à 100. Il accepte ainsi une large gamme de températures allant de 4 à 20 °C. 

Les populations d’Épinoches se répartissent aussi en sédentaires et migratrices. Celles qui se déplacent sont amphibiotiques, c’est-à-dire qu’elles passent de l’eau douce à l’eau salée et inversement. En hiver, elles sont en mer et à l’arrivée du printemps, elles migrent vers les eaux douces de rivières puis redescendent en été vers les mers et océans. L’Épinoche migratrice est plus longue en taille que la sédentaire, jusqu’à 11 cm, et ses couleurs diffèrent également de sa parente. En effet, elles vont du vert au gris bleuté noir sur le ventre avec le dos argenté, alors que la sédentaire se pare sur le dos d’un brun tacheté ou verdâtre. Les rayons des deux variantes sont transparents comme du verre – on dit qu’ils sont hyalins – et ceux des nageoires pectorales sont souvent ponctués de points noirs.

Séduire ou se reproduire… il faut choisir

Quand mars arrive, c’est le temps des amours qui durent jusqu’à juillet. L’espèce peut se reproduire deux fois dans l’année. Le mâle Épinoche change de costume, habituellement vêtu de jaune, blanc ou gris, il enfile des couleurs chatoyantes pour attirer la belle. Le dos devient bleu brillant alors que le ventre et les joues deviennent rouge-orange. Son iris vire au bleu pâle et iridescent. Effet sur la femelle ? En tous les cas, celle-ci devient légèrement rosée sur la gorge et le ventre. Le mâle ainsi coloré construit un nid, fait de débris de végétaux et de sable (et oui, ce n’est pas seulement les oiseaux qui en construisent…). Pour solidifier l’ensemble, il devient “maçon” en sécrétant du mucus et des filaments d’une protéine collante issus de ses reins, la spiggine. Ce nid en forme de cylindre de 2,5 cm de diamètre environ, posé dans une petite fosse, dispose d’une ouverture à chaque bout dans le sens du courant. 

Tout est alors prêt pour accueillir la nouvelle famille… ou presque. Il faut maintenant séduire. La parade nuptiale donne lieu à une forte dépense d’énergie des mâles auprès des femelles, invitées parfois forcées, à entrer dans le nid. Cependant, les femelles ont une part de choix dans le futur père. Elles sont en effet capables de détecter ceux qui ont le meilleur mucus pour consolider la maison grâce aux différences d’absorption et de réflexion des ultraviolets par la peau. Chaque femelle “séduite” dépose entre 100 et 400 ovules. Le même nid peut être partagé par plusieurs femelles. Après la ponte, elle est vite chassée par le futur père qui féconde les ovules à l’intérieur du nid. 

Mais qui dit parade ardente ne signifie pas fertilisation optimale. En effet, des études récentes montrent que la parade nuptiale intense est très coûteuse en énergie. Les mâles les plus colorés sont, en bout de course, moins fertiles et moins aptes à protéger les œufs. Dans un effet de vases communicants, l’énergie déployée dans la séduction ne peut pas l’être dans la production de spermatozoïdes et dans la protection des petits. À l’inverse, ceux qui sont moins colorés et moins ardents à la parade assurent plus efficacement la descendance de l’espèce… une forme de “compromis” au regard de la sélection naturelle.

Dans la famille Épinoche, je voudrais le père…

Le mâle est un père “hors pair”. Il assure la garde du nid, protégeant les œufs puis les alevins. Il les ventile avec ses nageoires pectorales pour favoriser l’oxygénation et élimine les œufs morts. Tel un général “Épinochet”, ce poisson devient un défenseur de sa future progéniture et n’hésite pas à entrer en guerre contre les autres mâles ou d’autres prédateurs. Des duels sanglants ont parfois lieu. Ce gardien peut même être “jusqu’au boutiste” se défendant de certaines femelles cannibales. Ces dernières n’ayant pas participé à la ponte, se regroupent et attaquent alors le nid pour dévorer les œufs. Face à cette horde, le mâle est fidèle à son poste. Et pour ne pas mourir de faim, il sacrifie alors une partie de ses propres œufs. Ce comportement de reproduction est commun à d’autres espèces voisines comme l’Épinochette (Pungitius pungitius) ou le Chabot.

Lorsque plusieurs femelles déposent leurs œufs dans un même nid, on peut en obtenir jusqu’à 1000. Ces derniers éclosent au bout de 4 à 27 jours selon la température de l’eau. Transparents à la naissance et mesurant à peine quelques millimètres, ils restent tranquillement au nid pendant une semaine sous l’œil paternel. Puis, ils le quittent pour se nourrir de petits animaux aux alentours avant de conquérir d’autres milieux. Si les conditions de reproduction sont correctes, à savoir une eau propre, un petit noyau d’Épinoches peut doubler sa population en 15 mois de temps… Mais la question de la qualité des eaux demeure un épineux problème pour l’Épinoche et d’autres poissons d’eau douce...,

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Pour écouter l’épisode de Petit Poisson Deviendra Podcast sur l’Épinoche… et le Chabot :

• PPDP S03E33 L’Epinoche : Le général “Epinochet” d’eau douce
• PPDP S03E32 Le Chabot 2/2 : Qui se cache sous ce discret bioindicateurs ?
• PPDP S03E31 La Chabot 1/2 : Comme un air de déjà vu pour une rareté !

Sources : 

• https://www.theses.fr/2019REIMS052.pdfhttps://umr-sebio.fr/theses/approche-multi-marqueurs-genotoxicite-chez-lepinoche-a-trois-epines-application
• https://uicn.fr/wp-content/uploads/2019/08/liste-rouge-poissons-d-eau-douce-de-france-metropolitaine.pdf
• https://theses.hal.science/tel-00175398/document
• https://uicn.fr/la-liste-rouge-mondiale-de-luicn-vient-detre-publiee-les-poissons-deau-douce-illustrent-lescalade-des-impacts-climatiques-sur-les-especes/

Crédits photos : Doris-ffessm

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