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Presque vrais jumeaux avec les Chocards, si on les observe de loin, ils évoluent en groupes sur les sommets et profitent des courants ascendants. Ils filent le parfait amour avec leur compagne et sont connus des randonneurs ou des skieurs. Et pourtant, en rapprochant la focale sur un des individus de la bande,  le Crave à bec rouge se distingue du Chocard à bec jaune, son cousin du même genre, avec qui il partage les versants montagneux. Mais pas seulement… Rencontre avec le “cousin” d’altitude, un Crave “pyro”, vif et intelligent.

Groupe de craves sur motte de terre enneigée
Auteur : ©Roland Clerc – Valais, Suisse.

Le Crave à bec rouge, Pyrrhocorax pyrrhocorax est à l’origine du genre Pyrrhocorax. Le taxon français “Crave“, comme d’ailleurs le terme allemand “Krähe“, viendrait de l’ancien haut-allemand “kräwa“ qui signifie Corbeaux ou Corneilles. Vivant entre 1000 et 3000 m, c’est un habitué des Alpes, des Pyrénées et des grands Causses. Les littoraux ne lui sont pas étrangers non plus. On peut l’observer également sur les côtes rocheuses bretonnes, irlandaises et anglaises, mais de manière localisée où il se nourrit alors de mollusques et de crustacés. A Ouessant, il est même devenu l’emblème de l’île. En hiver, il peut être aperçu jusqu’aux Calanques de Marseille.

Il vit en petits groupes hiérarchisés, et parfois dans de grands rassemblements. Comme son cousin au bec jaune, ses acrobaties aériennes, glissades, vrilles et balancements, piqués aux ailes repliées cherchent notamment à impressionner la femelle au moment de la période de reproduction.

oeufs de crave
Auteur : Roger Culos – Museum de Toulouse. CC BY-SA 4.0

De même, fidèle en amour et à son site de reproduction, le couple installe un nid volumineux mais assez lâche, fait de radicelles et de laine dans une anfractuosité ou dans une caverne. Il défend alors son territoire coûte que coûte. Après une incubation de 17 à 18 jours, les oisillons restent au nid pendant un peu plus d’un mois, nourris en alternance 7 fois par jour par les deux parents. En général, seuls 43% des jeunes survivent au bout d’un an mais cela peut varier en fonction des conditions météorologiques (températures et précipitations). Après cela, l’espérance de vie du Crave est de 7 ans environ.

Le rouge et le noir… une affaire de Crave

Auteur : ©Roland Clerc – Valais, Suisse.

Comme pour le Chocard à bec jaune, le Crave à bec rouge, Pyrrhocorax pyrrhocorax reprend doublement la signification d’origine grecque, littéralement “corbeau, couleur de flamme“. Comme beaucoup de ses cousins corvidés, son plumage est noir. Peut-on alors le confondre facilement ? Non, car à l’instar du Chocard à bec jaune et au-delà de l’origine grecque du nom, le taxon ainsi que d’autres traductions nous informent sur une de ses caractéristiques majeures : la couleur rouge du bec. En italien, le Crave se dit “gracchio corallino“, “chova piquirroja“ en espagnol, et l’anglais nous donne “red-billed Chough“. En plus de cette couleur “red“, “corallino“, “roja“, identique aux pattes, le bec est plus long et légèrement recourbé. Il fait donc toute la différence ! 

Craves à bec rouge dans la neige
Auteur : ©Roland Clerc – Valais, Suisse.

A l’instar de la Corneille ou du Corbeau, le Crave a quelques prédateurs connus comme le Faucon pèlerin, l’Aigle royal ou le Hibou grand-duc. Le Corbeau peut à l’occasion se régaler des oisillons du Crave encore au nid. A noter que les Craves à bec rouge installés dans le nord de l’Espagne nichent près des Faucons crécerellettes insectivores, beaucoup plus réactifs pour repérer des prédateurs et défendre leur couvée. Ainsi, le taux de réussite des couvaisons pour ces Craves est bien supérieur aux autres nichées, de 65% contre 16%, bénéficiant ainsi de cette protection indirecte rapprochée… Une autre protection encore plus “proche”intime” vient d’un acarien qui s’installe dans les plumes des juvéniles venant de quitter le nid. Cependant, au lieu de nuire, cet acarien, Gabucinia galibatia, participerait au nettoyage des plumes, repoussant les parasites et améliorant ainsi la santé de l’oiseau. Cette forme de commensalisme, où le Crave nourrit l’acarien tout en étant nettoyé, complète les bains de soleil ou le frottement de ses ailes avec des fourmis, qui produisent de l’acide formique répulsif.  

Tout feu, tout “flamme”… le Crave à bec rouge, pyro ?

A l’instar de la Corneille ou du Corbeau, le Crave à bec rouge porte lui aussi une réputation d’oiseau de mauvais augure… made in England. En effet, avant de s’appeler en anglais “red-billed chough”, son nom était celui de Cornish Chough, Crave de Cornouailles… Dans une légende de cette région, il est associé à la mort du roi Arthur. En effet, celui-ci, tué lors de sa dernière bataille, ne serait en réalité pas mort. Son âme aurait pris l’apparence du Crave, dont la couleur rouge des pattes et du bec représenterait le sang versé. Tuer un Crave porterait donc malheur… 

Groupe de Craves à bec rouge sur herbe sèche
Auteur : ©Roland Clerc – Valais, Suisse.

Ce n’est pas tout, jusqu’au XVIIIe siècle, le Crave est associé à la pyromanie. Coïncidence avec la traduction grecque de “pyrrho“, couleur de flamme ?.. L’historien anglais du XVIème siècle William Camden le décrit comme un oiseau maléfique qui “apporte en secret des brindilles enflammées, mettant le feu aux maisons“.  L’écrivain britannique de la fin du XVIIe, Daniel Defoe, renchérit sur les méfaits commis par le Crave : vols dans les maisons d’objets mais aussi incendiaire : Parfois, on dit qu’il vole des morceaux de charbons ardents, ou des bougies allumées et les place dans le meules de blé, la chaume des granges et des maisons, et y met le feu“. Cependant, Defoe temporise en indiquant “mais c’est seulement ce que j’ai eu par transmission orale...

Heureusement pour le Crave, cette réputation infondée n’existe plus. Il est même arborée sur des blasons du duché de Cornwall, sur les armoiries de l’archevêque martyr de Canterbury, Thomas Beckett, et sur le blason de la ville. On le retrouve également sur d’autres continents dans la rubrique philatélie : Bhoutan, Gambie, Île de Man…

armoiries de Canterbury en souvenir d" l'évêque martyr
Armoiries de Canterbury

Les Craves à bec rouge, comme les Chocards à bec jaune, ne sont pas classés en “espèces menacées“ sur la liste de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) au niveau mondial. Ils sont néanmoins “vulnérables“ en Europe. Avec la baisse du pastoralisme et des pâtures, sources d’alimentation pour ces oiseaux, les aires de nidification ont été fragmentées et isolées. Le Crave a par exemple disparu en Autriche, et ses aires de répartition se sont réduites au Portugal, en Italie et autour de la Manche. Le tourisme de masse représente également une menace pour ces corvidés intelligents, lors de la période de nidification. Des études sont préconisées pour estimer la population de Craves sur le territoire national ainsi que des programmes de restauration des habitats.

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Retrouvez les épisodes de NOMEN sur le Crave à bec rouge et les autres corvidés

  • NOMEN S03E14 : Chocard à bec jaune et Crave à bec rouge, les montagnards de la famille
  • NOMEN S03E10 : Le Choucas monte dans les tours
  • NOMEN S03E06 : Le Corbeau freux, un sacré récolteur-vendangeur !
  • NOMEN S03E02 : La Corneille craille, le Corbeau croasse, la caravane Nomen passe

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