Âne : du symbole du travail à celui de la bêtise

De Shrek à Bourriquet, entre contes de fées et humour décapant, l’Âne est partout dans la culture. Symbole de travail, de fidélité, de sagesse ou de bêtise, cet animal a fasciné les artistes de tout temps. Il se retrouve partout, des contes aux romans, de la Bible au cinéma, des bancs d’école à la politique.

Notre histoire commune commence il y a 7000 ans, dans la vallée du Nil, en Egypte, l’être humain domestique l’Âne sauvage d’Afrique, Equus africanus, qui donnera l’Âne commun, Equus asinus. Dès l’Antiquité égyptienne, les Ânes étaient vénérés et considérés comme des animaux sacrés. On a retrouvé des statues à leur effigie placées dans les tombeaux et les temples. En 2007, les squelettes de plusieurs animaux découverts dans une tombe égyptienne à Abydos présentent des déformations caractéristiques montrant qu’ils avaient portés de lourdes charges. Pour les marchandises ou les humains, l’Âne est un animal porteur, et cela se retrouve jusque dans les textes sacrés. 

À Noël, il s’installe dans la crèche aux côtés de Marie et Joseph, sans oublier le bœuf. Dans le christianisme, l’Âne est donc présent dans l’étable quand naît Jésus. Mais il sert surtout de moyen de transport, c’est sur le dos d’un Âne que Marie voyage jusqu’à Bethléem. Selon les évangiles, son fils, Jésus, monte aussi un Âne à son arrivée à Jérusalem. Dans les autres religions, l’Âne n’est pas en reste. Le judaïsme mentionne également l’Âne dans la Bible, il est symbole d’humilité et de travail. Dans le Coran, l’Âne est mentionné comme un animal utile et bénéfique. Le Prophète Mahomet possédait un Âne nommé Ya’Foor. Il l’aimait pour sa patience et sa fidélité.

Un travailleur acharné

Malgré les siècles, l’Âne garde l’image d’un travailleur acharné encore aujourd’hui. Il a longtemps été un animal domestique très répandu en Espagne. C’est pourquoi il est devenu le symbole de la Catalogne, placé devant les couleurs du drapeau. L’Âne catalan est un symbole de la volonté d’indépendance de cette région, pour se différencier du taureau rattaché à l’Espagne. Longtemps utilisé pour les travaux agricoles, il incarne la fidélité et le travail.

Il n’y a pas qu’en Espagne que l’Âne sert la politique. De nos jours aux Etats-Unis, le parti démocrate affiche fièrement un Âne de couleur bleue alors que l’Eléphant républicain est rouge. Ce symbole remonte à l’élection de 1828, quand Andrew Jackson, candidat, s’est fait surnommé “Jackass” par les Républicains. Cette insulte signifiait idiot mais aussi bourricot. Le candidat a retourné la situation en sa faveur en plaçant l’Âne sur ses affiches de campagne, symbole de loyauté et de persévérance, par la suite il devint le premier Président démocrate aux États-Unis. 

Un jour (espérons) vient l’âge de la retraite 

Quand vient l’heure de la retraite, il perd son utilité. Vieillissant et fatigué, il devient mélancolique. “Il resta au village. Tout le monde l’aimait bien, vaillant, malgré son âge et malgré son chagrin…”. Vous avez reconnu les paroles de Le Petit Âne gris d’Hugues Aufray. Cette chanson, touchante, raconte l’histoire d’un vieil Âne aidant les humains, d’abord dans sa ferme. Puis vieillissant, il est vendu au village, continuant d’aider malgré tout village auprès du cantonnier. Fatigué, ce petit Âne termine sa vie isolé dans une étable. L’auteur met en avant la fidélité de l’Âne pour les humains. Cependant, ceux-ci l’abandonnent dans sa vieillesse, le laissant mourir tout seul. 

Enfin, dans le conte Les Musiciens de Brême, les frères Grimm racontent l’histoire d’un Âne qui prend son destin… entre ses sabots. Voyant qu’il vieillit et que son maître veut se débarrasser de lui, l’Âne cherche une nouvelle vie et décide de fuguer par la route de Brême pour vivre son nouveau rêve, devenir musicien. Il rencontre un vieux chien de chasse au destin identique : “Sais-tu, dit l’Âne, je vais à Brême pour y devenir musicien ; viens avec moi et fais-toi engager dans l’orchestre municipal. Je jouerai du luth et toi de la timbale”. Sur la route, ils rencontrent ensuite un chat et un coq. Les 4 animaux terrorisent des voleurs et prennent leurs places dans une maison. Ils ne deviennent pas musiciens mais ils coulent des jours tranquilles. 

Une sagesse virant à la mélancolie

Le plus Âne des trois n’est pas celui qu’on pense. 

Le meunier, son fils et l’Âne de Jean de La Fontaine

En lisant le nom de cet animal, nous pensons d’abord à la bêtise. Cependant, Jean de La Fontaine lui a aussi donné d’autres caractéristiques. Dans Le meunier, son fils et l’Âne, l’animal illustre l’idée que l’on ne peut pas plaire à tout le monde. D’autres de ces fables évoquent aussi l’Âne, comme Le Cheval et l’Âne ou L’Âne et ses maîtres. L’auteur y décrit ces animaux comme des personnages humbles et patients. Ils symbolisent la sagesse mais également la bêtise quelquefois. 

Avec une portée politique, Georges Orwell, dans La ferme des animaux, fait de Benjamin, l’animal le plus intelligent de la ferme. Vieux, il est le seul à savoir lire. Il est sage et lucide sur la situation dans la ferme. C’est celui que l’on doit écouter pour se faire entendre. 

l’Âne en tant que symbole de sagesse se retrouve jusque chez Disney. “Un peu de considération, un peu de réflexion pour les autres, fait toute la différence”. Il faut croire que Bourriquet a tout compris. Dans Winnie l’ourson, il est un compagnon gentil et rigolo, mais il est également discret, pessimiste et mélancolique. Il parle souvent seulement pour s’excuser ou se plaindre. 

D’un Âne mélancolique à un autre, Eo, dans le film éponyme, est également très sensible. Lorsqu’il traverse le monde pour retrouver sa protectrice, il rencontre des personnes bienveillantes et d’autres hostiles. Dans ce film de Jerzy Skolimowski, récompensé au Festival de Cannes 2022, le monde vu des yeux d’un Âne est à la fois touchant et renversant. Il nous éclaire sur toute la sensibilité de cet animal, notre cœur n’en sort pas indemne. 

Une fidélité à toute épreuve

Humble comparé à la noblesse du Cheval, l’Âne est montré comme un animal fidèle dans la littérature classique. Ainsi, Rucio accompagne sans ciller Sancho Panza, l’écuyer de Don Quichotte dans le roman de Cervantes. Ce roman apporte une touche de réalisme et de proximité avec l’animal. 

Dans les œuvres plus récentes, vous connaissez sans doute cet Âne comique, bavard et adorant chanter. Héros du 7ème art, Jo, l’ami de Shrek, est l’exemple parfait du compagnon idéal. Il dévoile une amitié inattendue, où la beauté de ce lien réside dans la différence entre eux, l’un ogre, l’autre Âne. Jo affiche aussi d’autres qualités attribuées à l’Âne, comme la détermination et la persévérance, puisqu’il reste aux côtés de Shrek malgré le caractère compliqué de ce dernier. Il possède enfin une touche d’humour et un franc-parler donnant un côté comique au film. 

De la persévérance au manque d’intelligence

Les Ânes sont perçus comme des symboles positifs ou négatifs. De l’image du travailleur infatigable a découlé une idée moins flatteuse. Derrière l’acharnement au travail, certains y voient un manque de talent ou d’intelligence, une lenteur à la tâche. 

Vous avez déjà entendu ces expressions populaires : “être têtu comme un Âne” (être obstiné), “être bête comme un Âne”. Mais connaissez-vous l’expression du “Coup de pied de l’Âne” ? Celle-ci débute par un homme maltraitant son Âne. Des années après, ce même homme est devenu Pape et croise le chemin de l’Âne qu’il a maltraité. Mais l’animal ne l’a pas oublié et lui décoche un coup de pied pour l’humilier. Ce n’est pas la seule fois que la papauté est associée à l’Âne de manière peu flatteuse.

Au XVIème siècle, avec la remise en cause de l’Église de Rome en faveur du protestantisme, certains se sont servis de l’art pour remettre en cause la légitimité du Pape en le comparant à un Âne. Par exemple, Der Bapstesel zu Rom, traduit par “Le pape-Âne à Rome”, représente le titre d’un pamphlet satirique. Il a été publié par Martin Luther et Philippe Mélanchton en 1523 à Wittemberg pour se moquer du Pape. Une gravure sur bois a ensuite été réalisée par Lucas Cranach l’Ancien, où une créature monstrueuse est représentée avec une tête d’Âne.

Le bonnet d’Âne, un symbole humiliant

En parlant de bêtises et d’Âne, l’imaginaire collectif garde encore la mémoire des fameux bonnets d’Âne distribués en classe. Ce chapeau traumatisant pour les écoliers du début du XXème siècle n’a pas toujours eu cette signification de honte et de ridicule. Une hypothèse sur l’origine de ce bonnet explique qu’au XVIIIème siècle, ce symbole encourageait les mauvais élèves. L’Âne signifiait la sagesse et le savant. Plus tard, à l’inverse, ce bonnet fut attribué de manière humiliante aux les derniers élèves d’une classe.

La punition des oreilles d’Âne ne date pas non plus d’hier. Dans la mythologie grecque, le roi Midas se retrouve juge d’un concours de musique entre Apollon à la lyre et Marsyas, un satyre, à la flûte de Pan. Midas proclame Marsyas vainqueur. Vexé et se sentant insulté, Apollon donne des oreilles d’Âne au roi. 

L’Âne qui protège l’âme

Avec la peau entière sur la tête, et pas seulement les oreilles, l’Âne devient protecteur dans les contes. Charles Perrault en fait un personnage central dans Peau d’Âne. Ici, il a la capacité de produire des pièces d’or. Lors du décès de sa femme, le roi fait la promesse qu’il n’épousera qu’une femme plus belle. Or la seule personne pouvant rivaliser avec la beauté de la défunte reine est sa fille. Pour échapper à l’inceste, la princesse demande à son père de tuer l’Âne et de lui donner sa peau. Elle s’en sert ensuite pour s’enfuir du château sans être reconnue. Dans ce conte, le fait de revêtir une peau d’Âne symbolise la volonté de préserver son âme. 

Qu’il incarne la modestie ou la bêtise, qu’il représente des critiques sociales ou politiques, l’Âne est partout dans l’art depuis des siècles. Servant à la fois de compagnon de travail ou de symbole culturel, l’Âne est, hélas, souvent associé à la bêtise. Pourtant, nous devons beaucoup à cet animal qui a inspiré de grands personnages, il nous rappelle des valeurs telles que la modestie ou la persévérance. Aujourd’hui, nous en savons assez sur la sensibilité de l’Âne pour pouvoir lui donner une vie autre que celle d’un animal surexploité pour transporter ou aider les humains notamment lors des récoltes. Cette vision de l’animal-objet est encore malheureusement trop présente autour de la planète. Pensez-y la prochaine fois que vous voudrez vous balader à dos d’Âne à Santorin ! 

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Pour écouter les épisodes de NOMEN sur l’Âne :

• NOMEN S03E01 : Doux comme un Âne, fort comme un mulet, beau comme un bardot
• NOMEN S03E05 : De l’Âne à l’Hémione, du domestique au sauvage

Pour retrouver des épisodes sur d’autres Équidés :

• NOMEN S02E05 : D’Hippos à Equus en passant par le Palefroi et le Tarpan
• NOMEN S02E13 : D’Hippolyte à Philippe, en passant par l’Hippocampe et l’Hippopotame
• NOMEN S02E21 : De Bucéphale à Pégase en passant par les Centaures, les célébrités
• NOMEN S02E29 : La jument signifie “bête de somme”, jugulée, sous le joug, à l’origine !
• NOMEN S02E33 : Le Zèbre : À quoi servent ses rayures ?

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