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Présent à l’origine en Amérique du Nord, le Lama est une figure animalière emblématique des pays de la Cordillère des Andes. Mondialement connu grâce à Hergé, dans “Tintin et le Temple du soleil”, cet animal d’altitude de la famille des Camélidés est appelé précisément Lama blanc. Il est domestiqué comme son cousin l’Alpaga depuis longtemps tandis que persistent deux espèces sauvages, la Vigogne et le Guanaco. D’un tempérament docile, le Lama ne se laisse pourtant pas faire… mais rend d’importants services aux communautés locales de l’Altiplano. Portraits de ces ruminants,  ”bougres de jets d’eau ambulants” comme les surnomme le capitaine Haddock. 

Jeunes Lamas
Jeunes Lamas, appelés aussi Crias, qui vient de l’espagnol. Auteur : Yuvy Dhaliah, Unsplash.

Bien que capables de ruminer, les Camélidés actuels ne font pas partie des Ruminants, comme les vaches et autres antilopes, Leur système digestif et leur digestion sont différents. Pour les Camélidés, elle est notamment plus lente, la rumination arrivant tardivement. On trouve les traces des ancêtres du Lama il y a 40 millions d’années dans les plaines d’Amérique du Nord. Ne mesurant pas plus de 30 cm au garrot, il était la version minuscule du Guanaco actuel. Ensuite 4 nouvelles lignées sont progressivement apparues dont une seule a survécu. À la faveur du développement de la savane, ces animaux grandirent en taille. 

Le berceau américain, les cousins disparus du Lama

Illustrations d'espèces éteintes de Camélidés.
Illustration d’espèces de Camélidés éteintes.

Plus tard, 3 millions d’années avant notre ère, les ancêtres de nos Chameaux et Dromadaires actuels passèrent le détroit de Behring pour atteindre l’Asie et l’Afrique. D’autres migrèrent de l’Amérique du Nord vers le sud jusqu’aux Andes, en franchissant le détroit de Panama alors en cours de formation. Les individus restés au nord de l’Amérique se sont éteints à la fin de la période glaciaire il y a 10000 ans, sous l’effet des changements climatiques et de l’action de l’Homme. 

En 1758, le naturaliste Linné qui crée la classification binominale pour les espèces, traduit le terme “Lama” par ”chameau”  et distingue à l’époque deux espèces : le Lama, Camelus glama et l’Alpaga (ou alpaca), Camelus pacos. Aujourd’hui, les cousins américains des chameaux et dromadaires, qu’on dénomment de manière générique Lama, sont en réalité 4 espèces différentes : le Guanaco, la Vigogne, le Lama blanc et l’Alpaga. Le Lama blanc (Lama glama) et l’Alpaga (Vicugna pacos) sont deux espèces domestiquées à partir respectivement des deux espèces sauvages que sont le Guanaco (Lama guanicoe) et la Vigogne (Vicugna vicugna). D’ailleurs, l’Alpaga, longtemps considéré comme proche du Guanaco a été reclassé à partir de 2001, non plus du genre Lama mais du genre Vicugna

Le Lama, un vrai Quechua

Lamas blancs à flanc de montagne
Lamas blancs – Cotopaxi, Equateur. Auteur : Zebulon72, Pixabay.

Dans la dénomination scientifique générale du Lama, Camelus glama, on retrouve le lien avec l’appartenance aux Camélidés et la transposition des Amérindiens en quechua. Les explorateurs espagnols du Nouveau monde l’ont appelé “llama”, traduction écrite similaire que l’on retrouve en anglais. C’est en 1598 qu’apparaît ce terme dans l’ouvrage ”Histoire naturelle et morale des Indes orientales et occidentales”  rédigé par José de Acosta qui a rencontré le peuple inca. Pour l’Alpaca (terme plutôt utilisé pour l’animal) ou Alpaga (désignant plutôt la toison), Linné nous renseigne aussi sur l’étymologie de cet animal. En effet, “pacos-pago” serait dérivé du mot quechua “p’aku” qui signifie ”blond”. L’Alpaca comme le Lama ont été domestiqués depuis 2000 ans, soit comme animal de bât, soit pour sa toison ou encore pour sa viande. 

Alpaca avec sa toison, un des cousins du lama
Un Alpaca, un cousin du Lama, avec son épaisse toison. Auteur : ⓒSébastien Goldberg. Unsplash.

C’est doux, c’est neuf ? Non c’est du Lama…

Espèces adaptées à la haute altitude – entre 3000 et 5000 m -, les Lamas portent un épais manteau de laine, avec laquelle les populations créent vêtements et tapis. Dans l’échelle de valeur et de douceur, la laine de Vigogne sauvage remporte la palme. Les Vigognes sont attrapées pour être tondues puis relâchées ensuite. Cette laine luxueuse appelée “carmeline” faisaient l’objet d’étoffes précieuses uniquement portées par l’empereur inca. À l’époque, ces animaux étaient nombreux et furent décimés pour leur peau, lors de l’arrivée des Espagnols. En 1965, comme il n’en restait presque plus, des mesures de protection ont permis à l’espèce de se reconstituer. Aujourd’hui, la laine de Vigogne est diffusée dans le monde à prix élevés. La densité de sa fibre est telle qu’elle permet d’élaborer un tissu de très haute qualité, même supérieure au cachemire. La vente de la laine de Vigogne par les populations locales représente une aubaine. En 2022, en Bolivie, le kilogramme de laine de Vigogne est vendu pour 425 euros si elle est bien traitée. Espèce protégée, cet animal gracile reste victime de braconnage. 

Laine d'Alpaga et ses multiples teintes naturelles.
Laines d’Alpaga (ou Alpaca pour l’animal) et ses teintes naturelles.

On trouve ensuite la laine d’Alpaga, utilisée depuis deux millénaires par les civilisations précolombiennes. En effet, des traces archéologiques de la culture Mochica ont été découvertes avec notamment des représentations d’Alpagas. 

Aujourd’hui, même si cet animal est élevé dans de nombreux pays comme l’Angleterre, l’Australie, la Suisse ou la France, il reste un moyen de subsistance essentiel pour des familles surtout au Pérou. Comme la toison de la Vigogne, son alter égo sauvage, l’Alpaga est élevé pour sa laine, dont la réputation luxueuse fait l’objet de commerce. Vingt-deux couleurs naturelles existent allant du noir au doré, en passant par les nuances de brun. Enfin, le Lama donne une toison dont le poil est assez grossier, laineux et à brins droits.

Le Guanaco, des Andes à la Terre de Feu, un des cousins du Lama

Groupe de Guanacos, un des cousins du lama
Groupe de Guanacos – Las Heras, Mendoza, Argentine – Auteur : ⓒMauro Talet – CC BY NC 4.0

Souvent confondu avec le Lama domestique, le Guanaco sauvage se distingue de ses cousins par sa stature plus petite, sa taille élancée et son pelage fauve. Sa population qui se chiffrait à plus de 50 millions d’individus au XIXè siècle a drastiquement chuté à cause du braconnage, de la fragmentation de leur habitat naturel et de la concurrence alimentaire avec les moutons.
Comme la Vigogne, le Guanaco est un animal grégaire, craintif et farouche, vivant en harem. Il peut vivre sans eau pendant de longues périodes. Chassé pour sa fourrure moins épaisse que le Lama mais plus douce, il a été décimé par l’Homme alors que ses prédateurs naturels sont le Coyote, l’Ocelot et le Puma qu’il peut semer avec des pointes de 65 km/h. On rencontre les Guanacos sur la Cordillère des Andes et en Patagonie à des altitudes de 3900 m. Vrais montagnards comme leurs cousins domestiqués, ils transportent très efficacement l’oxygène dans leur sang. En effet, à cette altitude, l’air en contient deux fois moins qu’au niveau de la mer. Ces Camélidés en captent 90% grâce à l’homoglobine qui agit comme un filet très fin pour son transport vers les organes.
Ils forment des territoires d’alimentation d’environ 18 ha, défendus chacun par un mâle adulte. Ils entretiennent leur milieu de vie par un broutage régulier qui favorise la repousse des parties vertes empêchant le développement de tiges dures. Aujourd’hui, les Guanacos bénéficient d’une relative protection. 

Capitaine Haddock, empereur Kuzco et le Lama : des caractères bien trempés ?

Dans Tintin et le Temple du soleil, Hergé illustre le caractère ombrageux du Lama qui crache sur le capitaine Haddock, mais celui-ci semble l’avoir bien cherché ! En réalité, ces Camélidés ne réagissent pas ou peu à l’être humain. Ils peuvent porter jusqu’à 20 kg mais ne peuvent être montés. L’Alpaga par exemple, apprécie la compagnie de l’être humain. C’est un animal au caractère calme, prévisible et paisible. C’est plutôt entre congénères que les crachats de salive auront lieu, pour signifier un mécontentement allant jusqu’à des régurgitations gastriques quand l’intensité de l’exaspération augmente. Cela peut tourner aux coups de pattes, aux coups de tête ou aux morsures lorsque la rivalité devient féroce entre deux mâles convoitant une même femelle. 

Sculptures en argent de lamas, de l'époque Inca.
Figurines incas en argent provenant de l’Ile du Soleil sur le lac Titicaca. Source : ⓒDivision of Anthropology, American Museum of Natural History, New-York.

Symboles culturels anciens, des Lamas momifiés ont été retrouvés sur des sites archéologiques péruviens. Dans la civilisation inca, un Lama multicolore incarne le dieu Urcuchillay . Il est aussi associé à la légende quechua de la Yacana, ou Voie Lactée- la représentant. Cet animal est également très présent dans les arts précolombiens et la culture des Moche. A cette époque, il existait de nombreuses races de Lamas. Au-delà des symboles, ces animaux conservent une grande importance pour les populations qui vivent à leurs côtés. Leur viande est réputée plus saine que la viande rouge de bœuf. D’autre part, dépourvus de sabots, les Lamas possèdent deux doigts parallèles protégés chacun par un coussinet, protégeant ainsi les sols. Ils font partie des Tylopodes, du grec tylopoda qui signifie “pieds à coussinets”. Le sabot est présent mais seulement à l’avant de la dernière phalange. En éco-pâturage, ils facilitent la valorisation des pâtures pauvres et permettent de débroussailler. Ils servent même de gardiens de troupeaux d’ovins contre les prédateurs. Comme avec les Vigognes, ils participent à la régénération des terres pauvres en nutriments et victimes du changement climatique. Ces animaux déféquant toujours au même endroit, créent de véritables “latrines” organiques avec les graines disséminés dans leurs excréments. Elles favorisent alors un oasis fertile au milieu de sols arides et glacés. 

Troupeau de Vigognes, un des cousins du lama
Vigognes dans le Salar de Chalviri – Bolivie – Auteur : ⓒkallerna

Paisibles, grégaires, faisant preuve d’une grande adaptation, les Lamas domestiques n’ont finalement pas la mauvaise réputation que leur attribue ce cher Capitaine Haddock. Ce jet de salive a marqué des générations de lecteurs sur le caractère de l’animal. Quant à  leurs cousins sauvages, Vigogne et Guanacos, menacés par le morcellement de leur territoire, souhaitons que les programmes de protection permettent la survie à terme des deux espèces malgré la chasse illégale et persistante.

Photo centrale : Bébés Alpacas près de la ville de Ñuñoa au Chili. Auteur : ⓒElwinlhq.

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Pour écouter le podcast NOMEN sur le Lama :

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Sources :

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