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Un plumage unique, un long cou et un long bec courbé, l’apparence distinctive des Ibis ne laisse pas indifférent. Ces oiseaux jouent un rôle important dans la sensibilisation à la faune sauvage. Leur popularité permet de faire parler des causes de leurs déclin : perte des zones humides, contamination de l’environnement ou changements climatiques. Parmi les 35 espèces d’Ibis, certaines sont sacrées, d’autres chassées, ou bien assistées pour s’assurer d’une réintroduction réussie. Assez d’histoires palpitantes à partager pour éviter qu’elles fassent partie du passé. 

Messager divin des Égyptiens, l’Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus) était associé à Thot, dieu de la sagesse, de la connaissance, de l’écriture, et des sciences. Celui qui apportait ordre et équilibre dans l’univers était représenté en hiéroglyphe par un homme avec une tête d’Ibis. Ce lien mythologique, ainsi que les comportements remarquables de l’oiseau, ont fait de l’Ibis un symbole important dans la culture égyptienne.

Ibis sacré oiseau en vol
Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus). Photo par pen_ash sur Unsplash.

En raison de ses attributs, Thot était une divinité extrêmement vénérée, et l’Ibis, en tant qu’animal sacré qui lui était associé, devenait un symbole de sagesse, d’intellect et de divinité. Pas moins de 8 millions d’Ibis ont été embaumés dans les tombeaux en tant qu’offrande à Thot. Cela fait de l’Ibis sacré une des espèces les plus respectées par les égyptiens, avec les chats.

Pourquoi un tel honneur pour cet oiseau en particulier ? Le naturaliste du XVIIIe siècle, Buffon, a une hypothèse : l’Ibis est un mangeur de serpents. À la bonne heure ! Les serpents, c’est dangereux, alors les animaux qui les mangent tout cru, on les adore. D’ailleurs, les Cigognes et les Circaètes ont aussi ces proies en commun. Est-ce pour cela qu’on les aime aussi ?  

L’Ibis, nom unique pour un être admiré !

On prononce et on écrit “Ibis” pareillement dans toutes les langues ! Cette influence importante dans l’histoire a été favorable à ces échassiers… mais ce temps est révolu. Bien qu’ils soient appréciés par le grand public, leur déclin est indéniable. La cause principale est la perte des milieux humides dont ils dépendent pour leur alimentation et leur reproduction.

Environ ⅓ des 34 espèces de la famille des Threskionithinae ont un statut de conservation élevé (en danger critique, en danger, vulnérable ou presque menacé). Toute la famille hérite de pattes fines et longues, d’un long cou et d’un long bec, mais la courbure de ce dernier est réservée aux Ibis, car les 6 espèces de Spatules de cette famille possèdent plutôt un bec plat, faisant penser à une cuillère, d’où le nom anglais spoonbill.

Spatule blanche
Spatule blanche (Platalea leucorodia). Photo de Ashley Main sur Unsplash.

Les Ibis sont cosmopolites, à l’exception de l’Antarctique, mais la plus grande diversité se retrouve en région tropicale. Ils vivent dans une variété de zones humides, mais quelques espèces fréquentent les forêts, prairies ou régions arides ou semi-arides.

Un plumage qui fait des envieux

L’ibis chauve (Geronticus eremita) est en danger critique d’extinction. Son berceau naturel  se trouvait au Proche et Moyen-Orient. On le retrouvait en Turquie pendant la période de reproduction, puis en Somalie et en Éthiopie pendant la saison d’hivernage. Cet immense volatile est omnivore. Une fois adulte, il se nourrit de criquets, de petits lézards, d’amphibiens et occasionnellement de scorpions qu’il traque dans les steppes.

Cet oiseau, qui vît de 20 à 25 ans, a été gravement affecté par la chasse illégale et les perturbations humaines, qui seraient responsables de 60 % des décès observés, ce qui indique un impact significatif sur leur déclin. Les dernières populations naturelles (environ 250 individus) résistent au Parc national de Souss-Massa au sud d’Agadir (Maroc) et en Algérie. L’Ibis chauve a été réintroduit dans plusieurs pays d’Europe dont l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne grâce aux financements d’un projet LIFE+. Dans la presse, cette action de conservation pour l’Ibis chauve a fait les manchettes, notamment grâce à la création d’une route migratoire jusqu’en Toscane (Italie) qui servirait de site d’hivernage pour l’espèce. 

L’Ibis réapprend à migrer en famille

Ibis chauve sur une falaise
Ibis chauve (Geronticus eremita). Photo de Stanislav Ferrao sur Unsplash.

Pendant plus de 300 ans, seules de petites populations d’Ibis chauves du Nord ont survécu dans des zoos. Une histoire touchante va marquer les mémoires en 2024. Le biologiste Johannes Fritz décide, après plusieurs tentatives de réintroduction non concluantes de changer d’approche, et de confier de très jeunes poussins à un “parent adoptif” humain. Le but est fou : faire en sorte que ces bébés Ibis chauves soient suffisamment en confiance pour suivre leur parent adoptif lors de l’envol vers la migration. Une fois qu’ils ont atteint leur zone d’hivernage, les Ibis n’ont plus besoin de leur parent adoptif et garde une balise GPS pour le suivi. On appelle cela une “greffe migratoire”.

Seulement, cet effort de conservation demande beaucoup d’investissements sur le plan humain et logistique. Tant que les menaces de chasse illégale et de destruction de l’habitat planent, le succès des réintroductions n’est pas garanti. La combinaison des méthodes d’élevage manuel et parental s’est avérée efficace pour augmenter le nombre d’oisillons produits pour la réintroduction. C’est 36 jeunes Ibis chauves qui se sont lancés pour la migration avec leur humain adoptif en 2024. Partis le 13 août de l’Autriche, ils devraient atteindre l’Andalousie en Espagne, en fin d’année, pour un trajet d’environ 2 800 km.

Ibis falcinelle
Ibis falcinelle (Plegadis falcinellus). Photo de Dedu Adrian sur Unsplash.

Un invité en Camargue

Ibis falcinelle juvénile
Ibis falcinelle juvénile. Photo de Santiago Lacarta sur Unsplash.

L’Ibis falcinelle (Plegadis falcinellus) est une espèce qui aime les pays chauds. Surnommé Glossy Ibis, on le retrouve toute l’année sur le continent africain ou océanien. Ce migrateur niche également dans le bassin méditérannéen, principalement en Turquie, en Albanie, en Grèce et en Israël. Mais il y a bien un endroit en France où l’on peut voir ce majestueux échassier noir aux reflets violacés : la Camargue, joyau caché entre les bras du Rhône.

Des données historiques entre 1991 et 1996 indiquent que plusieurs colonies d’Ibis falcinelles auraient nichées dans les zones humides de Camargue. C’est ainsi qu’en 2006, la Tour du Valat, un institut de recherche, a débuté un suivi de ces oiseaux. Il y avait cette année-là seulement 14 couples d’Ibis falcinelles recensés. Aujourd’hui, ils seraient plus de 2000 couples revenant chaque année vers le mois d’avril pour élever leurs petits. Pourquoi ces oiseaux choisissent de s’arrêter en Camargue ? Cette fréquentation des couples de plus en plus nombreux serait dû au réchauffement climatique. L’Ibis aux mille couleurs mange des écrevisses de Louisiane, une espèce de crustacé invasive introduite en France dans les années 70 et élevées pour être consommées. Finalement, ce sont les Ibis falcinelles qui s’en régalent !

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Pour écouter le podcast NOMEN sur les Ibis :

Sources :

  • Belhadj, G., Chalabi, B., Chabi, Y., Kayser, Y., & Gauthier-Clerc, M. (2007). Le retour de l’Ibis falcinelle (Plegadis falcinellus) nicheur en Algérie. Aves, 44(1), 29-36.
  • Kayser, Y., Blanchon, T., Lucchesi, J. L., Vincent-Martin, N., & Gauthier-Clerc, M. (2014). La nidification de certaines espèces d’oiseaux d’eau coloniales en Camargue–France, 2013. Defos du Rau, P., Mondain-Monval, JY & Azafzaf, H.(eds.). 2014, (2), 30.

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