Hémione, Onagre et autres Âne…cdotes !

Domestiqué depuis des millénaires, issu de l’Âne sauvage d’Afrique, Equus asinus a sa vie dévouée à l’être humain. Animal de bât par excellence, il traîne une réputation peu flatteuse au grand désespoir des défenseurs de ces équidés, les “asinophiles”. Pourtant, avant d’être au service de l’être humain, l’Âne existe aussi à l’état sauvage. Hémione, Onagre, Âne sauvage de Somalie, plusieurs espèces réparties sur plusieurs continents, persistent en liberté, mais leur existence n’est pas forcément de tout repos ni synonyme d’avenir !

Espèce à part entière, l’Hémione, Equus hemionus est un équidé qui a des caractéristiques communes avec le Cheval et l’Âne, mais n’est pas issu de croisement. Hémione vient du grec ”hemi” qui veut dire “moitié” et “onos” qui signifie littéralement “âne”, donc l’Hémione est un ”demi-âne”.

Ressemblant à un petit Cheval, c’est le plus rapide des équidés sauvages. Il possède un caractère indomptable et démontre une résistance à toute épreuve face aux conditions de vie rudes des steppes désertiques d’Asie. Il survit dans les confins de la Mongolie et des régions transfrontalières chinoises, en Iran et sur les plateaux tibétains.

Hémione, l’Âne plus rapide qu’un Zèbre !

Espèce en voie d’extinction, elle est menacée par le pastoralisme, la fragmentation des espaces, la raréfaction des ressources naturelles et le braconnage. Heureusement, elle fait l’objet de programmes de protection. Dans le désert de Gobi, en Mongolie, des associations, en lien avec les populations locales, se mobilisent. En Israël, des Onagres (un des autres noms de l’Hémione) , qui avaient grandi en captivité, ont pu être relâchés dans le désert du Néguev.

Ces mesures de protection concernent également l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Turkménistan. 

Cinq sous-espèces composent l’espèce Hémione dont une s’est malheureusement éteinte en 1927. Il s’agit de l’Hemippe – Equus hemonius hemippus – qui vivait en Syrie et dans la péninsule arabique.

La plus importante sous-espèce est l’Hémione de Mongolie Equus hemionus hemionus qui représente 80% de l’espèce. Le Kulan turkmène Equus hemionus kulan occupe, comme son nom l’indique, le Turkménistan. Le Khur – Equus hemonius khur – se rencontre en Inde du Nord et dans certaines zones du Pakistan. Tandis que le Khur et l’Onagre, avec le Dchiggetai et le Kulan kazakhe, appartiennent à une même espèce. Le Kiang tibétain, Equus kiang, est reconnu depuis 2002 par l’UICN comme une espèce d’Âne sauvage d’Asie à part entière, c’est d’ailleurs le plus grand Âne sauvage du monde, 1,40 m au garrot, pour 2,10 m de longueur, qui se rapproche beaucoup plus du cheval sauvage.

Toutes ces espèces d’Ânes sauvages sont menacées de disparition. 

L’Onagre, “passez pas derrière” 

L’Hémione d’Asie, aussi appelée Onagre, Equus hemionus onager fait partie des espèces à haut risque d’extinction. On estime qu’il n’y en a plus que 600 environ autour de la Mer Caspienne.

Dans l’Empire romain, avant de désigner un âne, l’Onagre est le nom d’une redoutable machine de guerre. C’est une sorte de catapulte dont on se servait pour assiéger l’ennemi. L’analogie du nom de cet engin qui lance des pierres par l’arrière fait penser aux ruades de l’Onagre, notre robuste équidé. L’Onagre fut beaucoup utilisée avec ou sans roue durant les guerres de Jules César. Il pouvait lancer des grêles de pierres, des projectiles enflammés et même des cadavres ! L’énergie nécessaire au tir était stockée dans une corde torsadée.

Plus pacifique et bienfaitrice, et du genre féminin cette fois-ci, l’Onagre est aussi une famille de plantes appartenant aux Onagracées. Appelée également herbe à ânes, l’onagre est reconnaissable à ses grandes fleurs jaunes. Feuilles et racines permettraient de soigner les rhumes, tandis que l’huile issue des graines aurait un effet de ralentissement du vieillissement de la peau. 

Inscrit sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, l’Onagre a bénéficié de mesures de protection et des troupeaux ont pu ainsi se reconstituer, d’abord dans des zoos et réserves.

Voyage avec les Ânes,… au-delà des Cévennes

Utilisé comme moyen de déplacement dans des régions escarpées et comme animal de bât, il joue parfois le rôle de berger et de gardien de troupeaux, grâce à son instinct grégaire naturel qui le pousse à s’attacher aux ovins (en utilisant la technique de l’imprégnation à la naissance, une des découvertes de l’éthologue Konrad Lorenz). Son rôle de protection lié à son agressivité face aux prédateurs se révèle partiellement efficace contre les chiens errants, les Coyotes et les Renards. Mais l’idée fait son chemin en France pour protéger les troupeaux d’ovins. Ce sera moins évident pour lui face au Loup, au Lynx ou à l’Ours.

Domestique ou à l’état semi sauvage, voire complètement sauvage, l’Âne est présent sur tous les continents et dans beaucoup de pays. Par exemple en Afrique, on peut trouver le grand Âne blanc d’Egypte, l’Âne sauvage de Somalie devenu rare avec ses zébrures sur les pattes. L’Âne sauvage de Nubie est quant à lui considéré comme éteint.

En Amérique, à l’image de la taille du continent, l’Âne le plus grand au monde est très représenté. Il est issu d’un savant mélange de races d’ânes européens les plus célèbres. En effet, à la fin du XVIIIème siècle, les différents croisements hispaniques donnèrent naissance à un gigantesque étalon catalan légendaire du nom de Mammoth Jackstock. Celui-ci aurait été donné en cadeau par le roi d’Espagne Charles IV au président américain Georges Washington. Haut de 1,60 m, il donna son nom à l’ensemble de sa race. A l’inverse, il existe des ânes miniatures qui n’appartiennent pas à une race en particulier. La race “Burros” est également très présente sur le continent américain, notamment en Arizona, espèce redevenue sauvage après l’arrêt de l’exploitation des mines d’or fin XIXème par les anciens colons espagnols. Depuis des politiques de stérilisation ou d’adoption ont été menées pour contenir les populations.

L’Europe n’est pas en reste avec l’Âne de l’Amiata italien, et celui de Martina Franca en Italie du sud. En Espagne, l’Âne andalou descendant de celui d’Egypte se taille la part belle face à l’Âne catalan et l’Âne de Majorque. L’Irlande, la Turquie, la Macédoine et l’Angleterre ont eux aussi leurs Ânes.
En France, l’élevage d’Ânes est une longue tradition. Certains toponymes comme “Asnières”, traduisent l’histoire de l’utilisation ou l’élevage d’Ânes. Et comme dans différents pays, on rencontre des races variées selon la région. Comme son nom l’indique, le Baudet du Poitou vit dans l’ouest de la France. C’est le seul à posséder une robe à longs poils. Avec ses 450 kg, il passe pour l’Âne le plus lourd du monde.

L’Âne bourbonnais quant à lui est considéré comme un véritable bourreau de travail, notamment dans les vignes, malgré son nom à caractère noble. Plus au sud, l’Âne de Provence porte sur son dos la ligne noire de la croix de Saint André, ainsi que des oreilles bordées de noir. Il permet le transport des provisions des bergers dans les zones escarpées de pâturages. Cependant, avec la mécanisation, il est fortement menacé. Dans les régions montagneuses, il n’est pas rare de nos jours de croiser des randonneurs accompagnés d’Âne pour transporter leur équipement, à l’image de l’œuvre célèbre de Louis Stevenson “Voyage avec un Âne dans les Cévennes”. 

L’Âne, une mémoire presque d’éléphant

Souvent, l’Âne a subi les expressions populaires les plus méprisantes à son encontre, servant de bouc émissaire. L’image de cet animal fut utilisée pour caractériser la bêtise, l’idiotie. Pinocchio, dans l’œuvre de Collodi, subit la pousse d’oreilles d’Âne en plus de l’allongement de son nez.

La littérature regorge de contes et fables avec l’Âne comme principal personnage, comme celles de Jean de La Fontaine ou encore d’Alphonse Daudet. Ce dernier écrit dans “Les lettres de mon moulin”, “La Mule du pape”, l’histoire de cet animal maltraité par un fils de sculpteur qui rentre au service du pape Boniface. Voulant se venger, la Mule doit attendre 7 années le retour de son persécuteur parti servir auprès de la Reine Jeanne de Naples. Et elle ne l’oublie pas car à son retour, elle lui décoche un sérieux coup de pied. D’ailleurs comme morale de cette histoire, Daudet conclut ainsi : “À quinze lieues autour de mon moulin, quand on parle d’un homme rancunier, vindicatif, on dit : Cet homme-là ! méfiez-vous !… Il est comme la mule du pape, qui garde sept ans son coup de pied.”

Au-delà de la métaphore, l’Âne a une mémoire remarquable, cela vaut pour le chemin de retour vers l’étable, pour les odeurs, les personnes qu’il croise ou les compagnons d’étable qu’il a fréquentés. Fin observateur, il peut actionner avec le museau ou les sabots une serrure qui vient d’être manipulée par un humain. 

Sautons à présent “du coq à l’Âne”, expression venant du célèbre conte de Grimm “Les Musiciens de Brème”, pour évoquer l’intelligence de cet animal à qui on prête une réputation d’entêtement. Pour les défenseurs de l’Âne, le refus d’avancer est en réalité un signe de prudence. L’Âne vivait initialement dans des déserts de pierres, ainsi il veille à éviter la chute et sur un chemin inconnu, tête baissée, il observe pour évaluer le danger. Chargement et cavalier seront en sûreté sur le dos d’un Âne, compagnon indispensable…

Un 4×4 increvable du désert et des montagnes

En février 2023, des archéologues ont mis à jour sur le site d’une ancienne villa romaine dans le village de Boinville-en-Woëvre, les restes de plusieurs Ânes qui auraient éclipsé la plupart des espèces que nous connaissons aujourd’hui. C’était des Ânes géants mesurant 1,55m au garrot, et ce serait notre Âne géant américain qui s’en rapprocherait le plus.

Au-delà de cette découverte, les scientifiques ont montré que la première domestication, datant de 7000 ans dans la corne de l’Afrique, est l’événement unique dont descendent tous les Ânes actuels. De plus, avec l’expansion du Sahel et l’aridification de la région il y a 8000 ans, l’Âne a aidé l’être humain à s’adapter à ce changement climatique. Il lui a également permis de se déplacer vers des régions plus hospitalières, transportant ainsi de lourdes charges sur de longues distances, facilitant aussi le développement des contacts entre les peuples. Très prisés en Egypte et en Mésopotamie, ils étaient même enterrés avec leurs propriétaires, dont des rois et hommes de pouvoir.

Les recherches montrent ainsi que l’Âne a été un compagnon plus constant pour l’être humain que le cheval.

D’un caractère peu exigeant, d’un tempérament calme malgré les mauvais traitements qu’il peut subir, l’Âne sauvage ou domestique, mérite une meilleure réputation… quitte à remettre au fond d’un placard les expressions animalières négatives comme celle attribuée par La Fontaine dans “Le singe, le lion et les deux ânes”, qui dit ceci : “asinus asinum fricat”, proverbe qui se moque des sots se complimentant mutuellement. Il provient en réalité de l’habitude qu’ont les Ânes de se frotter l’un à l’autre pour calmer leurs démangeaisons…un exemple de coopération plutôt intelligente, non ? Et comme disait Victor Hugo “Dans les temps anciens, il y avait des ânes que la rencontre d’un génie faisait parler. De nos jours, il y a des hommes que la rencontre d’un génie fait braire”.

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Retrouvez les épisodes de NOMEN sur les Ânes :

• NOMEN S03E01 : Doux comme un Âne, fort comme un mulet, beau comme un bardot
• NOMEN S03E05 : De l’Âne à l’Hémione, du domestique au sauvage

Retrouvez les épisodes de NOMEN sur les autres Equidés :

• NOMEN S02E05 : Le Cheval 1/4 : D’Hippos à Equus en passant par le Palefroi et le Tarpan
• NOMEN S02E13 : Le Cheval 2/4 : D’Hippolyte à Philippe, en passant par l’Hippocampe et l’Hippopotame
• NOMEN S02E21 : Le Cheval 3/4 : De Bucéphale à Pégase en passant par les Centaures, les célébrités
• NOMEN S02E29 : Le Cheval 4/4 : La Jument signifie “bête de somme”, jugulée, sous le joug, à l’origine !
• NOMEN S02E33 : Le Zèbre : A quoi servent ses rayures ??

Sources :

• https://www.histoiredumonde.net/Onagre.html
• https://www.goviinkhulan.org/
• https://www.nationalgeographic.fr/animal/meconnu-le-kiang-est-le-plus-grand-ane-sauvage-du-monde
• https://www.bbc.com/afrique/articles/c3gneg9lw98o
• https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-histoires-du-monde/en-arizona-les-anes-se-reproduisent-sans-limites-2501978
• Greta Jansen – Ânes, fidèles compagnons – Edition Komet – avril 2010

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