Corrigeons une idée reçue tenace : les araignées d’eau les plus connues ne sont pas de “vraies” araignées. Il est plus juste d’appeler ces espèces des punaises d’eau, puisque ce sont des insectes piqueurs, comme les cigales ou les pucerons, regroupés dans l’ordre des Hémiptères. Les Gerris sont des insectes communs rencontrés dans les ruisseaux, lacs et rivières d’Europe. Il est fort à parier que vous en avez observé lors d’une baignade d’été. Ces patineuses-skateuses ont 2 yeux, et non 8 comme l’araignée. Curieusement, ces animaux défient les lois de la physique : les poils hydrophobes se trouvant sur leurs longues pattes créent une tension qui leur permet de marcher sur l’eau… ou plutôt de ramer comme des kayakistes !
Le tour de magie du Gerris
Avouez-le, vous avez déjà essayé de faire couler ces pauvres créatures en les aspergeant d’eau, sans succès, et sans réussir à percer leur secret. Et oui, le genre Gerris comprend 43 espèces, toutes capables de jouer au Jésus-Christ marchant sur l’eau. Rectification, les Gerris ne marchent pas, ils courent sur l’eau par saccades, et peuvent même jouer à saute-moutons pour échapper à leurs assaillants. Ils peuvent atteindre une vitesse de 1,5 m/s (~ 5 km/h). Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle les patineuses. Elles utilisent un phénomène physico-chimique de l’eau que l’on appelle la tension superficielle. Cette force, parfaitement ajustée, s’exerce au niveau de leurs tarses, là où se trouvent les fameux poils magiques. Graissés par une glande située près de l’orifice buccal, ces poils sont hydrofuges : ils repoussent les molécules d’eau. Au même titre que les pattes, une épaisse pilosité recouvre la face ventrale et protège le corps. Et ce n’est pas fini ! Les 3 paires de pattes des Gerris sont optimisées pour tenir un rôle différent. Les 2 pattes de devant servent de “mains”, elles vont saisir et ramener les proies vers la bouche. Celles du milieu sont leurs rames, ou propulseurs pour se déplacer, et enfin les 2 pattes arrière servent de gouvernail. En France, l’espèce la plus commune est le Gerris lacustre (Gerris lacustris). D’autres espèces comme les Gerris marchent sur l’eau. Les plus connues et remarquables sont les Dolomèdes, des araignées cette fois ! Il y a aussi l’Hydromètre (Hydrometra stagnorum), qui est plus gros que le Gerris lacustre, mais beaucoup plus lent dans ses déplacements.
Le temps d’un été…
La stratégie de reproduction partagée par les Gerris est assez violente. Les mâles harcèlent les femelles en essayant de les féconder sans discontinuer durant la reproduction. L’accouplement va durer plusieurs jours. Les mâles meurent peu de temps après. Les femelles Gerris peuvent donner naissance à une progéniture qui n’a pas le même père, on appelle ceci la polyandrie. Les comportements sexuels de ces espèces sont étudiés de près, et il existe plusieurs stratégies selon les espèces. Les œufs des Gerris sont pondus sur les pierres ou posés sur des végétaux flottants, juste en dessous de la surface de l’eau. Les larves sont vues comme des mini-adultes, puisqu’elles mènent la même vie en étant à la surface. Selon les espèces, il y a une ou deux générations de larves sur une année. Une première école entre mai et juillet pour vivre environ 4 mois, et l’autre survivra plus longtemps entre août et mai, mais devra hiberner sur les berges. On ne sait pas trop dans quelle équipe on aimerait être, les deux solutions semblent difficiles !
On retrouve des Gerris sur les lacs en haute montagne, jusqu’à 2 150 mètres d’altitude. Ils sont observés à travers l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord. Il existe dix espèces du genre Gerris en Europe, mais elles sont souvent très difficiles à identifier. Souvent, les petites différences de couleurs, taches ou zébrures sur les ailes aident les habitués à les identifier. Leurs tailles varient entre 5 et 18 mm de longueur.
Piqueurs-suceurs, les vampires attaquent !
“Dé-zoomons” un petit peu, pour parler du sous-ordre des Hétéroptères, les punaises, dont les Gerris font partie. Ils ont la particularité d’avoir des ailes sur le haut de leur corps. Une partie des 86 espèces répertoriées en France sont strictement aquatiques, tandis que les autres sont semi-aquatiques, se déplaçant à la surface de l’eau ou sur les berges, comme nos Gerris. Leur rostre acéré et puissant permet de piquer et d’absorber les sucs vitaux de leurs proies, pour ne laisser que leurs enveloppes vides à la fin du repas. Les punaises aquatiques sont prédatrices, mais également opportunistes. Elles n’hésitent pas à se jeter sur tout ce qui a eu la malchance de tomber à l’eau ou de s’y poser. Les ondes générées par les mouvements vont leur indiquer où attaquer.
De nombreux Hémiptères se retrouvent en eau douce, mais il existe une espèce qui s’est adaptée aux eaux saumâtres, la Punaise des estrans (Aepophilus bonnairei). En plus d’avoir un nom commun qui en jette, elle a conquis les côtes de l’océan Atlantique, de la Manche et du Maroc. Elle est difficile à observer, car elle se place dans de toutes petites fissures de roche.
L’été prochain, verrez-vous les Gerris différemment au bord de la rivière ? De mon côté, ils me fascinent d’autant plus que maintenant, je connais leur secret.
Pour écouter l’épisode de Petit Poisson Deviendra Podcast :
https://smartlink.ausha.co/ppdp/s03e29-le-gerris-1-2-qui-est-ce-patineur-de-vitesse-jb-ducournau