Dans l’étude étymologique des noms de poissons, les appellations scientifiques trouvent parfois leur origine dans des anecdotes, des lieux géographiques ou des légendes dont la véracité n’est pas toujours avérée. Le Mérou n’échappe pas à la règle. Ce terme vernaculaire désigne de très nombreuses espèces. Avec une silhouette massive caractéristique, ce gros carnassier au tempérament placide et facile à chasser, a failli disparaître notamment de Méditerranée. Né femelle, le Mérou peut devenir mâle en cas de besoin. Rencontre avec ce poisson, qui fait l’objet à présent d’élevages mais aussi de mesures de protection….
Le Mérou est un terme usuel désignant près de 150 espèces de la famille des Séranidés, associées aux genres Epiphénilinés. Leur taille et leur poids varient beaucoup selon les espèces. Le plus grand Mérou est le Mérou goliath de l’Atlantique (Epinephelus Itajara) pouvant atteindre 2,50 m de long et peser près de 450 kg.
“La petite robe noire” du Mérou
Le nom vient de l’espagnol “mero”, et serait relié à “merlus” en latin qui désignerait un poisson sombre, rappelant la couleur noire du Merle. Cependant, les différentes espèces de Mérou connaissent une variété importante de couleur de robe. Le Mérou blanc (Epinephelus aeneus) par exemple est appelé “thiof” au Sénégal en langue wolof, il est également nommé Mérou bronzé en Mauritanie ou fausse Morue. On le rencontre sur les côtes est africaines et fait l’objet de nombreuses recettes de cuisine locale. Il est victime de la surpêche et ses populations se sont effondrées.
Ailleurs, au Vietnam, une nouvelle espèce de Mérou a été distinguée. A partir d’échantillons d’ADN prélevés par des chercheurs sur le marché de Ha Long, le Mérou de boue a été nommé Epinephelus randalli, en l’honneur de l’éminent ichtyologiste John E. Randall, décédé en 2020. Évoluant en mer de Chine méridionale, il se différencie du Mérou à longues dents (Epinephelus bruneus) notamment par la structure de ses nageoires dorsales.
Plus remarquable encore, la robe du Mérou bossu (Cromileptes altivelis), attire l’attention, car cette fois, plutôt que de se confondre avec les rochers, elle se pare de points noirs sur l’ensemble du corps et des nageoires sur fond de couleur claire (du vert-marron au grisé). Cette espèce plus petite que les autres (70 cm à l’âge adulte), est appelée aussi Mérou de Grace Kelly. Selon la légende, l’actrice aurait été vue portant une robe identique lors d’une lecture du scénario du film “Le crime était presque parfait” d’Albert Hitchcock. La photo présente bien une robe à pois, mais ils sont clairs et non noirs…
Au-delà de l’anecdote, ce Mérou bossu peut aussi être nommé Panthère des mers, qui rappelle la robe du félin. Lorsqu’il est endormi ou effrayé, des taches marrons apparaissent alors sur son corps. C’est un redoutable prédateur à l’affût qui évolue dans les eaux du Pacifique tropical.
En italien, le Mérou se traduit par “cernia” du latin “cernium” qui signifie courbé. On retrouve ce lien éthymologique avec le Cernier commun, poisson appelé aussi Mérou des bosques (Polyprion americanus), possédant un font concave et une bosse à l’arrière de l’oeil.
Mais revenons à l’origine espagnole du Mérou. La variante catalane du nom occasionne un changement : “méro” devient “néro”, qui cette fois serait relié à l’empereur Néron, dont le visage était représenté avec une mine patibulaire… comme celle du Mérou ?
Une tête à faire peur… pour rien
Si vous croisez un Mérou, vous serez frappé par son corps massif, ovale et robuste mais surtout par l’allure de sa bouche tombante. En effet, celle-ci est proéminente, comme s’il faisait en permanence la grimace. Lorsqu’il l’ouvre, elle fait saillie et lui permet d’attraper de grandes proies comme des céphalopodes, des crustacés et d’autres poissons. Avec cette énorme bouche et ses branchies puissantes, il aspire et les avale tout rond ! Il dispose néanmoins d’une rangée de dents au fond du pharynx qui servent à décomposer la nourriture. Cette bouche lui sert également à creuser des abris sous les rochers. Ses gros yeux placés sur les côtés de la tête lui donnent une vision élargie dans les eaux sombres, les anfractuosités rocheuses et les fonds marins où il aime évoluer. Malgré sa position de prédateur en fin de chaîne dans l’écosystème marin, et participant à la régulation de l’état sanitaire des populations, ce gros carnassier solitaire est peu agressif et se déplace lentement. Ce n’est pas un nageur de vitesse mais il peut en cas de danger ou pour capturer une proie utiliser sa queue puissante et arrondie pour une propulsion rapide sur une courte distance. Ce comportement placide lui a valu d’être surpêché et d’être menacé de disparaître de nos côtes.
En mer Méditerranée, le sauvetage du Mérou brun
Dénommé en 1872 de manière vague par Le littré, comme un “poisson de la Méditerranée”, le Mérou brun (Epinephelus marginatus), appelé également Mérou noir, Mérou rouge ou Mérou sombre, a subi une chute drastique de sa population dans l’ensemble de la Méditerranée. En effet, depuis les années 70, il est victime de plusieurs techniques de pêche au chalut, au filet, et même de pratiques illégales comme la pêche à l’explosif ou au poison. Pouvant mesurer jusqu’à 1,20 m et peser 35 kg, il était considéré alors comme un trophée. En Méditerranée, une réserve a été créée pour tenter de reconstituer les populations décimées de Mérous : la Réserve Naturelle Marine de Cerbère-Banyuls, dans le département des Pyrénées orientales. D’une dizaine d’individus dans les années 80, la population est remontée grâce à plusieurs moratoires – en 2013 et en 2023 – Elle est estimée aujourd’hui à plus de 700. Une belle victoire qui reste néanmoins fragile, face aux pêcheurs réclamant le droit à nouveau de pêcher ce poisson emblématique. En 1981, une zone de protection renforcée à été créée sur la réserve, représentant 10% des 650 hectares du site. Comme l’indique Jean-François Planque, responsable pédagogique de la Réserve, “C’est un espace qui favorise la reproduction et qui fait gagner cinq ans de production de biomasse. On y trouve des poissons en plus grand nombre et qui sont beaucoup plus gros car moins stressés”.
Plutôt seul que “mâle”…accompagné
Le Mérou est un poisson grégaire. Pourtant, sa traduction anglaise prête à confusion car il se traduit par “gruper”. Ce terme étrange serait lié à la zone américaine de pêche, mais plus précisément de celle proche du Brésil. En effet, “gruper” serait alors à rattacher au terme portugais (et donc brésilien) “garupa”. Dans le dictionnaire officiel d’Oxford, “garupa” lui-même issu des langues autochtones. Le Mérou est donc en réalité un poisson solitaire et territorial et se reproduit de manière lente. Hermaphrodite protogyne, il naît d’abord femelle, et sera capable de se reproduire au bout de 4 ou 5 ans. Entre 5 et 12 ans, il change alors de sexe pour devenir mâle et poursuivre ainsi son rôle reproducteur pendant encore près de 40 ans. Cette longévité est rarement atteinte en milieu naturel car les gros mâles sauvages ont tendance à être capturés en premier. Cela occasionne un déséquilibre dans la répartition des sexes, compromettant l’avenir de l’espèce. Ce poisson, autrefois sauvageb, est rapidement devenu une espèce d’élevage. Capturé au stade juvénile, il est commercialisé dès les années 1975 à Taiwan. Pour accélérer la production de mâles, des chercheurs taiwanais ont mis au point une technique permettant de déclencher artificiellement le changement de sexe. Parallèlement, l’aquaculture s’est fortement développée dans de nombreux pays d’Asie, répondant à une demande toujours croissante. Selon la FAO, 500 000 tonnes de Mérous alimentaient le marché mondial en 2020.
Si le Mérou brun de Méditerranée peut à nouveau respirer, grâce au Groupe d’étude du Mérou et à la réserve qui lui est attribuée, ce n’est pas le cas ailleurs. Les descendants de “Jojo le Mérou” du film “Le monde du silence” subissent les effets de l’élevage et de la surpêche. Dans la zone caraïbéenne, la réglementation inexistante sur les quotas entraîne le déclin des populations. Le Mérou rouge et le Mérou goliath sont très menacés. L’impact environnemental de l’aquaculture, avec des poissons sauvages en guise d’alimentation, la propagation de maladies et de parasites, et la biodiversité menacée, pèse lourdement sur l’avenir de ces espèces qui détiennent un rôle clé dans la chaîne alimentaire. Mesures de protection, ZMP (Zones maritime protégées), restauration de récifs coralliens, moratoires (comme en Corse) et programmes de protection devraient rendre l’avenir de ce carnassier moins sombre.
Auteur photo centrale : ⒸChristophe Dehondt avec l’autorisation du site de Doris-ffessm. Iles Medes, Espagne.
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Pour écouter le podcast NOMEN sur le Mérou :
Pour écouter les Podcast PPDP sur le Mérou :
- S01E26 Le Mérou et la Murène : deux chasseurs sachant chasser… ensemble !!
- S01E18 Hermaphrodites 1/2 : tous les Mérous naissent femelles et deviennent mâles… sur le tard!
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Sources et bibliographie :
- https://archimer.ifremer.fr/doc/00087/19822/17464.pdf
- https://Reporterre.net/Grace-a-une-reserve-le-grand-retour-du-merou-en-mediterranee
- https://www.marinelife-revue.fr/wp-content/uploads/2019/06/Barnabe-1999-MarLife.pdf