Ma roue subjugue le monde entier. Je m’évertue sans cesse à crier “Léon” à 1 km à la ronde. Qui suis-je, qui suis-je ?
Le Paon bleu bien sûr ! Que dis-je, le fameux Pavo cristatus (du latin pavo, pavonis : le Paon et cristatus : crêté, référence à ma crête sur la tête).
Les expressions qui me collent à la peau sont peu flatteuses… Fier comme un Paon, orgueilleux comme un Paon… J’ai fière allure, certes, mais on croit que je frime. Que nenni, je sors seulement mes plus beaux ocelles, ces tâches rondes comme des yeux, pour séduire ma Dame.
Faits notables à mon sujet :
- Je ne suis pas l’unique espèce de Paon !
- Ma roue a longuement questionné Darwin pour sa théorie de l’évolution.
- Selon la légende, je suis né d’un lot de consolation d’une déesse gréco-romaine en plein chagrin.
Intrigant…?
On connaît tous le Paon bleu, Pavo cristatus, mais est-ce que vous pouvez me citer d’autres espèces ?
A moins de vous être renseigné sur le net au cours d’une énième insomnie , je pense que vous séchez ! Et non, le Paon blanc ne compte pas. Il existe trois espèces de Paons.
Le Paon bleu est un petit jeunot apparu “seulement” ’il y a 70 000 ans, d’après les analyses de son patrimoine génétique. Il appartient à la famille des Phasianidés, de l’ordre des Galliformes, comme les Pintades et les Cailles. Il est originaire des forêts d’Asie, majoritairement d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka. En Europe et en Amérique, le Paon bleu vit en semi-liberté dans les parcs, alors qu’en Asie, il est resté à l’état sauvage.
Le Paon spicifère, Pavo muticus, est en réalité la première espèce de Paon de l’Histoire.
Le Paon spicifère était largement répandu en Asie, allant de l’Inde jusqu’à l’île indonésienne de Java.
Aujourd’hui, son aire de répartition est drastiquement réduite et il est classé comme espèce en danger par l’UICN.
Ses teintes sont plus vertes que celles du Paon bleu et il porte une huppe bien droite qui permet de le distinguer aussitôt du Paon bleu.
Le troisième Paon vient d’Afrique et non d’Asie. Il s’agit du Paon du Congo, Afropavo congesis, espèce endémique de la République démocratique du Congo. C’est le plus petit des Paons. D’ailleurs, il ressemble plus à une pintade. Cette espèce est classée “quasi menacée” par l’UICN et son effectif est en diminution.
Des mesures de protection ont été prises au sein de son territoire, notamment à l’aide de réserves telles que le Maiko National Park, au nord-est du pays. Néanmoins, une forte pression pèse sur ce Paon, victime de la destruction de son habitat et de la chasse pour sa chair.
Couleurs et manipulation humaine
Je me doute que vous n’avez pas oublié le fameux Paon blanc malgré mon brouillage de piste… Très bien, alors parlons-en !
Au début du XIXème siècle, certains Paons bleus détenus en captivité par des collectionneurs britanniques ne se sont pas montrés si bleus que ça… Ils présentaient en fait des anomalies génétiques qui provoquaient des tâches blanches sur leur plumage. Ces anomalies se sont ensuite accumulées au fur et à mesure de croisements au sein des générations captives, jusqu’à ce qu’une population apparaisse entièrement blanche ! C’est une simple histoire de génétique, comme le phénotype “yeux bleus” qui nécessite deux parents aux yeux de cette couleur.
Une Paonne blanche peut tout de même présenter quelques plumes grises et noires.
Ces Paons blancs sont leucistiques et non albinos. Le leucisme ne concerne que le plumage, ou le pelage chez les mammifères. A contrario, l’albinisme est une maladie génétique qui s’exprime par l’absence totale de mélanine, un pigment foncé, sur toutes les parties du corps. Les yeux des Paons blancs ne sont donc pas rouges comme ceux des animaux albinos.
L’instinct collectionneur de l’humain a pris le dessus et ce qui découlait alors d’une simple anomalie génétique a finalement été exploitée par les éleveurs dans le but de créer des teintes originales…
Ça laisse un peu dubitatif.
Le blanc ne suffisant pas pour faire une palette complète, vinrent ensuite le Paon nigripenne et le Paon arlequin.
Le Paon nigripenne mâle ressemble comme deux gouttes d’eau au Paon bleu sauf qu’il possède des plumes noires en plus sur le dos. La femelle, quant à elle, est blanche tachetée de marron.
Le Paon arlequin est un Paon bleu qui possède des plumes blanches réparties aléatoirement sur l’ensemble du corps.
Sur la même longueur d’onde
Le Paon bleu ne se contente pas d’exhiber ses ocelles sous les yeux de sa dulcinée. Il la fait littéralement vibrer !
Lorsqu’il fait sa cour, le mâle déploie ses ailes et réalise une roue tremblante : ses plumes vibrent et produisent une onde qui se propage jusqu’à la crête de la femelle, qui se met alors à vibrer !
Le mâle secoue ses plumes près de 25 fois par seconde, la vibration produite est similaire à celle d’ une corde de guitare frottée.
Les ocelles situées aux extrémités des plumes restent quasiment immobiles, c’est la tige qui oscille à une fréquence légèrement supérieure à la limite de l’audition humaine de 20kHz.
Les crêtes de la femelle sont constituées de “filoplumes”, des petites plumes aux capteurs très sensibles, particulièrement réceptifs à la fréquence de l’onde émise par le mâle. Ce rite joue certainement un rôle clé dans la parade nuptiale du Paon mais tous ses aspects ne sont pas encore élucidés par les chercheurs.
Le Paon bleu, un canon de beauté avant tout
“Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?“
Extrait de la fable “Le Paon se plaignant à Junon” ( Livre II – Fable 17) – La fontaine (inspiré d’un poème de Phèdre)
Charles Darwin s’est interrogé sur l’existence des dimorphismes sexuels, comme les parures nuptiales colorées et complexes des oiseaux, et en particulier celle du Paon. Il s’étonnait qu’un animal si voyant, si désavantagé devant les prédateurs ait pu être favorisé par l’évolution.
Il faut le dire, le Paon mâle a tout misé sur son physique pour plaire ! C’est ce qu’on appelle la sélection sexuelle : bien que sa traîne représente un caractère encombrant défavorable pour sa survie, elle lui confère un charme indéniable auprès des femelles et c’est ce qui compte.
La sélection sexuelle justifie donc que ces caractères soient conservés, car ils sont indispensables à la reproduction. Ce sont ces caractères qui permettent au mâle d’impressionner les femelles, ou bien de vaincre les autres mâles comme dans le cas du cerf avec ses bois.
De fait, cet exemple extrême a permis à Darwin d’affiner l’importance de la sélection sexuelle dans sa théorie de l’évolution.
Par ailleurs, on parle bien de traîne et non de queue.
La traîne, d’un mètre en moyenne, correspond aux couvertures supérieures composées d’environ deux cents plumes.
La vraie queue, de couleur brune, ne mesure que 40-45cm de long et ne compte que vingt rectrices.
Le Paon, un symbole de renaissance
Le Paon bleu, originaire d’Asie, tient une place particulière dans la culture indienne. Il y est vénéré et est lié à la fertilité. Sa danse symbolise le réveil de la nature et l’approche de la mousson.
Il a même été déclaré oiseau national en 1963 et depuis 1971 il est protégé par la loi indienne. Malheureusement, il reste chassé pour sa viande, sa graisse (qui guérirait l’arthrite – affirmation infondée) et ses plumes.
Pendant son règne, Alexandre le Grand rapporta quelques Paons d’Inde, puis les navigateurs arabes ont assuré un commerce régulier dans l’océan Indien. Prisé alors au niveau gastronomique, on ne le trouve plus dans nos assiettes aujourd’hui car il a été remplacé à partir du XVIe siècle par la Dinde, nom « culinaire » du Dindon sauvage (Meleagris gallopavo).
Dès le Ve siècle avant J.-C., toujours en Grèce antique, il était devenu l’oiseau emblème d’Héra (Junon pour les Romains), déesse du mariage et de la fécondité : le Paon quitte ses belles plumes caudales à l’automne lorsque les premiers arbres perdent leurs feuilles et il les regagnent au printemps, au moment de l’accouplement. Le Paon incarne ainsi un symbole de renaissance, tout comme en Inde !
Durant tout le Moyen-Âge en Europe, le Paon faisait partie des figures animales majoritaires dans les enluminures des manuscrits. Il y symbolisait bien souvent la résurrection et la capacité de renouvellement. Des représentations similaires ont également été retrouvées au Moyen-Orient.
A travers le temps et peu importe la région du globe, les civilisations sont unanimes sur cette symbolique de renaissance.
Et si ce Paon si inspirant était seulement admiré plutôt que tué ou exhibé ?
Que ce soit pour sa chair ou sa beauté, on ne l’a jamais laissé tranquille. Les mentalités n’ont pas évolué depuis le Moyen-âge où avoir des Paons était signe de noblesse, au même titre que des Cygnes ou Colombes. On les retrouve encore aujourd’hui dans de nombreux parcs de châteaux et jardins zoologiques, comme au parc floral de Vincennes, afin de divertir les visiteurs avec leur somptueuse traîne déployée en éventail.
Le Paon a ainsi été domestiqué pour sa beauté. Cette domestication se ressent dans la façon dont il est perçu par le grand public. Quand on cherche des informations sur internet, on peut même trouver que c’est “un animal particulièrement décoratif” et que les Paons “ne sont pas des oiseaux intelligents et [qu’]ils sont facilement conditionnables.” (extraits trouvés dans un article de Ouest France).
Les messages ainsi véhiculés sont à revoir, qu’est-ce que vous en pensez ? On pourrait simplement se contenter de les admirer culturellement et scientifiquement et arrêter d’en faire des objets de foire.
« Elle en couvre le plumage de l’oiseau qui lui est cher et le répand comme des pierres précieuses sur sa queue étoilée » (Ovide I, 720)
Il vous manque une info sur le Paon si vous suivez bien… Son lien avec la tristesse d’une déesse gréco-romaine. J’y viens ! Comme vous le savez maintenant, le Paon est associé à Junon. Dans la mythologie, il est représenté conduisant son char. Junon est à l’origine des ocelles sur les plumes du Paon ! Selon les dires d’Ovide bien entendu.
Voici l’histoire :
Argos est un géant. Un géant qui possède cent yeux qui lui permettent de tout voir car une moitié dort tandis que l’autre veille. Junon est jalouse d’Io, une des nymphes courtisées par Jupiter (Zeus chez les Grecs), son époux un peu volage… Piquée au vif, elle oblige Jupiter à transformer Io en génisse. Elle confie ensuite sournoisement cette génisse à la garde d’Argus. Mais Zeus se venge et demande à Mercure (Hermès chez les Grecs) de tuer le géant. Il parvient à l’endormir au son de sa flûte puis lui tranche la tête. Junon, dans sa tristesse, se consola en récupérant les yeux d’Argus qu’elle répandit comme des pierres précieuses sur la queue de son animal favori.
Plagiat d’ocelles chez les papillons
Plusieurs espèces de papillons portent le nom de ces oiseaux.
Ailes ornées d’ocelles : c’est à ça qu’on les rapproche du Paon.
On trouve notamment le Paon du jour, le Petit et le Grand Paon de nuit.
Non pas effrayantes, leurs ocelles serviraient plutôt à distraire subitement les prédateurs.
Les images parleront mieux que cet acrostiche :
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Pour écouter l’épisode de Nomen sur le Paon :
- S02E42 Le Paon : un bellâtre qui a commencé sa carrière comme “indic” d’une déesse jalouse …
Sources :
- https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/la-femelle-paon-vibre-au-rythme-des-plumes-du-male_125147
- https://www.zoom-nature.fr/la-traine-du-paon-un-reel-handicap/
- https://mondami.ca/wp-content/uploads/2021/07/Symboles.pdf
- https://www.larousse.fr/encyclopedie/vie-sauvage/paon/184039
- http://www.loxiafilms.com/le-petit-paon-de-nuit-saturnia-pavonia-a169695600#:~:text=Comme%20l’indique%20son%20nom,pas%20chez%20le%20grand%20paon.
- https://www.baroquiades.com/articles/baroque/1/metamorphoses-ovide-selliers
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