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Les requins sont parmi les plus anciens animaux vertébrés de la planète. Mais aussi les plus mystérieux, ceux qui nourrissent les mythes… Pour ça la recette tient en un mot : l’inconnu. Le grand public en a peur (merci “Les dents de la mer”), nous leur accordons donc peu d’attention à part quand il s’agit d’un accident sur la plage. La preuve, le Squale bouclé, alias la chenille de mer, aurait disparu en Atlantique Nord dans l’indifférence générale. Un requin qui a des boucles, comme s’il s’était décoré de petits piercings et qui peine à être connu aujourd’hui, vraiment ?

Le Squale bouclé (Echinorhinus brucus, Bonnaterre, 1788) a intrigué le Dr Samuel Iglésias récemment. Il faut dire que cette espèce est, en France, inconnue du grand public. Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas. Ce requin est bien présent dans les anciennes presses! Vous allez comprendre… Dr Iglésias a mené une véritable enquête, et s’est plongé dans les archives entre 1680 et 2020. Son but ? Rassembler les preuves de la disparition de ce requin en Atlantique Nord-est, centre de sa répartition historique. Le suspect ? Souvent le même dans ces enquêtes, l’être humain.

Distribution du Requin bouclé dans les eaux du globe.
Distribution de Squale bouclé dans les eaux du globe. Sharks of the World. Collins Field Guides

L’enquête du Squale bouclé est lancée

Un Squale bouclé mort dans les archives de La Presse
Une des rares images d’un Squale bouclé, pêché en 1981 dans les eaux Atlantiques françaises – Quotidien sud-ouest

De façon plus précise, le chercheur a supposé que la disparition du Squale bouclé serait corrélée à l’explosion de l’effort de pêche, lors de la motorisation des bateaux en 1865. Ce changement des pratiques a rendu la pêche plus intrusive et intensive, ce qui aurait décimé les populations de Squale bouclé dans cette aire de répartition. Le biologiste a balayé 340 années d’archives pour appuyer cette suggestion. Entre 1680 et 2020 il a retrouvé 350 signalements individuels historiques en Atlantique et en Méditerranée, avec un pic d’abondance entre 1870 et 1910. Aujourd’hui, avec la venue d’internet et des publications, le Squale bouclé ne passerait pas entre les mailles du filet. Cela suggère que les populations se sont éteintes, bien tristement. 

En effet, l’union internationale de conservation de la nature (UICN) classait jusqu’à récemment le Squale bouclé dans les “Données insuffisantes”. À défaut d’information, cette espèce pouvait être pêchée sans restrictions aucunes dans les eaux internationales. Ce n’est qu’en 2020, suite à l’étude du Dr Iglésias et ses collègues, que le statut “En danger” a été assigné à Echinorhinus brucus. La touche optimiste est que l’espèce vît encore dans les eaux de Turquie, dans la mer de Marmara alors qu’on le pensait éteint dans cette partie du globe. Une photo a été prise comme preuve, et le Squale serait allé à 1 214 m de profondeur. 

Chenille des mers pépère

Illustration de la Raie bouclée (Raja radiata)
Illustration de la Raie bouclée (Amblyraja radiata).

Echinorhinus brucus est imposant et possède un gros corps comprenant deux petites nageoires dorsales situées bien à l’arrière, et aucune nageoire anale. Il fait partie des grands requins, car les femelles peuvent atteindre 3 mètres de long. Parlons de ses “boucles”. En anglais le nom commun est “Bramble shark”, requin à épines, ou encore à clous en portugais. Ces noms font référence aux grosses denticules dermiques, qui sont régulièrement réparties sur le corps du Squale. Ces genres d’épines recourbées forment une caractéristique infaillible pour reconnaître l’espèce. La Raie bouclée possède également des denticules dermiques importants, mais une raie et un requin sont tout de même bien différents morphologiquement. D’autres caractéristiques sont propres à cette espèce: ligne latérale présentant un sillon creux visible à l’oeil nu, museau de couleur  bordeaux, ou encore l’iris de couleur vert émeraude (signature des poissons vivants en zone obscure). Avec tout ceci, peu de risque de se tromper à l’identification!

Requin benthique, fréquentant plutôt les fonds marins, le Squale bouclé est défini comme lent et paresseux. Il se nourrit de petits requins, poissons osseux et de crabes qu’il capture par succion. La dénomination de chenille de mer lui colle vite à la peau. À l’époque, les Français font le lien avec les chenilles processionnaires à cause de son abondance et des picots sur le corps! 

Archives poussiéreuses, mais savoureuses 

Exactement 200 articles de presse mentionnant le Squale bouclé en Atlantique Nord-Est ont été retrouvés depuis 1835. L’espèce a eu son moment de gloire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale… En effet, un spécimen naturalisé a été exposé dans plusieurs villes, faisant un tour de France alors que la guerre faisait rage. Les bénéfices auraient été reversés aux prisonniers de guerre à l’époque. Ce requin était donc admiré et considéré !

Illustration de Squqles bouclés par Marc Dando.
Illustration de Squales bouclés (Echinorhinus brucus) par © Marc Dando.

La première description valide du Squale bouclé est celle que le naturaliste français Pierre Joseph Bonnaterre, qui baptisa l’espèce Squalus brucus en 1788 (du grec ancien “brux” ou “bruchios” signifiant venant des profondeurs de la mer). Mais cette description en reprend une autre non valide de Broussonet datant de 1780. En 1816, Henri de Blainville créa le genre Echinorhinus rien que pour classifier le Squale bouclé. On pêchait encore jusqu’à la fin du 19ème siècle beaucoup de chenilles de mers dans le golfe de Gascogne. L’on pouvait, un jour généreux, avoir 12 chenilles de mer sur une même palangre – des lignes avec des hameçons en série – ! Le Squale bouclé était surnommé le poisson du pauvre, car “il rassasiait à un prix modéré”. Pêché pour sa chair, mais pas que! La peau de requin était utilisée comme abrasif pour polir le verre ou encore pour garnir les sabres des samouraïs. De nos jours, cette dernière est encore utilisée en maroquinerie de luxe, ça s’appelle le Galuchat. L’huile de foie extraite du Squale est un médicament très apprécié en Afrique du Sud. On l’utilisait également pour alimenter les lampes à huile au Portugal. Enfin, en Inde, une légende raconte qu’on aspergeait les canoës d’huile de Squale bouclé pour décourager les coléoptères mangeurs de bois! On espère qu’aujourd’hui les légendes s’écriront en faveur de la sauvegarde de ce magnifique requin menacé de méditerranée…

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Retrouver toute la saga requins en podcast : S04E05 èa S04E17 Requins : Évolution (Steven Surina, requinologue, plongeur, guide, auteur). Liens vers les 12 épisodes :

https://bit.ly/requins1_prez_evo_BSG, https://bit.ly/requins2_7diffs_os-ca_BSG, https://bit.ly/requins3_8ordres_BSG, https://bit.ly/requins4_3nages_dodo_BSG https://bit.ly/requins5_7sens_BSG, https://bit.ly/requins6_repro_4instcts_BSG, https://bit.ly/requins7_3hbts_3ATQs_BSG, https://bit.ly/requins8_3idiospheres_BSG, https://bit.ly/requins9_6crcts_5dgx_BSG, https://bit.ly/requins10_13approches_BSG, https://bit.ly/requins11_12attitudes_BSG, https://bit.ly/requins12_signes_BSG.

Article scientifique : “Cold case: The early disappearance of the Bramble shark (Echinorhinus brucus) in European and adjacent waters“.

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