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Célébré dans le 9ème art, sous la serpe du druide Panoramix, le Gui est une plante souvent méconnue pour son rôle médicinal et ses différentes vertus. Reconnaissable à sa disposition en forme de boule dans les arbres dénudés de l’hiver, il est aussi un hémiparasite… donc un peu intrusif pour son hôte mais pas complètement. Alors, plante bienfaitrice ou malfaisante ? A l’approche de la nouvelle année où l’on se plaît à se souhaiter des vœux sous le Gui, perçons les secrets de cette plante légendaire.

Le Gui pot de colle

étude planche naturaliste du gui
Maurice Pillard Verneuil, Etude de la plante, Paris, 1903 BNF Gallica.

Jusqu’au début du XXème siècle, le Gui (Viscum album) a longtemps été inclus dans les Loranthacées au sens large, selon des critères morphologiques. En effet, cette famille regroupe des plantes sans racines souvent accrochées aux arbres – comme le Loranthe des chênes -, hémiparasites et possédant des baies charnues. Après études plus fines (embryon, structures des fleurs et détails anatomiques), les botanistes constatent une unité cohérente chez les “vraies” loranthes, mais qui n’inclut pas notre Gui, mais le genre Loranthus. L’ancienne famille Loranthacées est alors scindée en deux, les Loranthacées groupant des plantes plus tropicales et les Viscacées dont le Gui fait partie. Avec la révolution de l’ADN et de la phylogénétique moderne, les Viscacées ne forment pas un groupe assez unitaire. Elles sont alors imbriquées aujourd’hui dans les Santalacées, la famille du Santal, à l’origine du bois de santal.
Le nom scientifique du Gui de nos contrées, (Viscum album) vient du latin viscus, qui signifie “glu”. Cette caractéristique est liée à cette sorte de colle visqueuse retirée de l’écorce des tiges des espèces de ce genre et des fruits, ces “fausses” baies blanches (d’où vient le nom de l’espèce “album”) très reconnaissables, En botanique, on parle de baie, donc de fruit, lorsque celui-ci est issu d’un seul ovaire et dont la paroi devient charnue. Il contient en général plusieurs graines. Pour le Gui, la partie charnue et blanche n’est pas seulement issue de l’ovaire mais aussi d’autres tissus de la fleur. Le fruit ne contient ici qu’une seule graine. Dans ce cadre, les “perles” du Gui sont considérées comme des pseudofruits.

Les jardiniers ailés du Gui

Baies  de gui blanc
Baie de Gui. Auteur : Stux, Pixabay.

Le Gui naît grâce aux graines issues des baies, et transportées par les oiseaux frugivores, plus précisément baccivores, c’est-à-dire amateurs de baies, dont ils sont friands en hiver. La Mésange bleue (Parus caeruleus), la Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla), la Grive draine ou la Sittelle torchepot s’en régalent. Lors du transit intestinal, la pulpe est digérée, puis les graines enrobées de viscine (sorte de glue), sont rejetées dans les fientes et peuvent adhérer aux branches du futur hôte. Effectuées en vol ou lors d’un arrêt, ce mécanisme de dissémination est appelé endozoochorie. Exemple caractéristique, la Grive draine, porte son appétit pour ce fruit jusque dans son nom scientifique, Turdus viscivorus, soit la “mangeuse de gui”. Elle avale 7 à 8 baies et une digestion plus tard, les graines sont déposées sur l’arbre, avec à portée, tout ce qu’il faut pour se développer. 

Graine de gui collée à une branche
Graine de gui collée à une branche et enfonçant son suçoir dans l’écorce de l’arbre. Auteur : Ⓒ K. Ziarnek – Wikimedia commons.

Elles s’ancrent littéralement sur des arbres, par le biais de “suçoirs” intercellulaires de forme conique, appelés aussi haustoria, qui vient du latin haustos, signifiant “puiser”. Grâce à un épithélium d’adhésion, un ensemble de cellules très proches les unes des autres et formant une structure ressemblant  à des poils,le Gui s’insère dans les tissus de la plante hôte pour absorber les nutriments et l’eau contenus dans la sève brute. Cette expansion développée par la graine du Gui traverse la paroi pectocellulosique, le squelette externe de la cellule végétale. Le Gui développe alors un contact étroit avec la membrane plasmique de la cellule , mais sans la rompre. Cette dernière devient perméable et les molécules de la cellule de l’hôte sont ainsi pompées sans provoquer de “digestion” ce qui annule alors tout effet de réaction de défense de l’arbre parasité.

Sur un arbre perché…

fleur jaune de gui
Fleur de Gui. Auteur : Ⓒ K. Ziarnek. Wikimedia Commons

Plante parasite, le Gui ne fait pourtant pas souvent mourir son hôte. En effet, sa couleur verte montre qu’il produit de la chlorophylle et qu’il peut réaliser la photosynthèse par lui-même. Toutefois, puisque le Gui ne possède pas de racine, il se sert de son hôte comme tel. Il puise l’eau et les minéraux directement dans la branche, ce qui affaiblit la partie située après l’insertion. Comme il ne puise que de l’eau et qu’il peut réaliser la photosynthèse, le Gui est appelé hémiparasite. Une plante parasite n’a plus de chlorophylle et dépend entièrement de son hôte, comme les Orobanches ou les Rafflésies. 

Notre arbrisseau se développe par ramification dichotomique année par année (deux rameaux à chaque fois à la bifurcation de l’année précédente), ce qui accentue le port en boule. Mais le bourgeon terminal issu de chaque ramification avorte au bout d’un an, laissant place à deux bourgeons axiliaires qui prennent la suite. Quant aux fleurs, c’est chacun de son côté. En effet, les fleurs mâles et femelles sont portées sur des touffes différentes (on parle alors de plante dioïque). Cette répartition sexuelle, dénommée dioécie, est rare. Elle n’est représentée que dans quelques genres comme l’Ortie, le Houx ou la Bryone.

Des hôtes sélectionnés, le choix du Gui

peuplier portant du Gui
Peuplier portant des boules de Gui. Auteur : Ⓒ HeckiMG – Pixabay.

Il existe environ 1100 espèces de plantes appartenant à de nombreux genres et qui portent le nom de “gui”. Le genre Viscum comprend, quant à lui, 70 espèces, dont la plupart vivent en Afrique et en Australie dans des milieux arides ou semi-arides. En Europe, deux espèces de ce genre existent, celui bien connu dès l’époque gauloise, Viscum album à baies blanches translucides, et Viscum cruciatum à baies rouges, présent dans le sud-ouest de l’Espagne et au sud du Portugal. Mais notre Tanguy des arbres ne s’incruste pas n’importe où. On le trouve sur une quarantaine d’espèces d’arbres, arbustes, arbrisseaux, aussi bien conifères que feuillus. Trois sous-espèces du Viscum album se distinguent selon les hôtes parasités. Le Gui des feuillus (Viscum album album) s’installe chez les pommiers et les peupliers, les plus parasités. Il peut être visible sur les tilleuls, les sorbiers et les aubépines. Le Hêtre à l’inverse, n’accueillera jamais le Gui… Le Gui du sapin (Viscum album abietis) s’invite notamment sur le Sapin blanc (Abies alba) et d’autres espèces introduites. Enfin, le Gui du pin (Viscum album pini) pousse sur différentes espèces de pin. Chaleur, lumière sont les deux critères généraux de développement du Gui. On le trouvera donc plus souvent à la cime des arbres. Cependant, d’autres facteurs interviennent qui font varier sa répartition sur un territoire donné : la disponibilité en eau, la température, les caractéristiques des populations d’hôtes, le comportement et la consommation des oiseaux frugivores. Le Gui peut aussi s’installer plus facilement chez des arbres fragilisés par la sécheresse ou moins densément feuillus. A l’inverse, des arbres hôtes, très résistants comme certaines espèces de peupliers, arrivent à synthétiser des polyphénols autour du suçoir de la graine du Gui, bloquant son développement.

Symbole de bonheur et source de soin

Estampe du peintre Gustave Doré, présentant un Druide cueillant le Gui
Druide cueillant le Gui. Estampe de Gustave Doré,1871.

Selon une tradition bien ancrée, et représentée dans les manuels d’histoire anciens, notre Gui du chêne était régulièrement cueilli par les druides gaulois tout de blanc vétus, à la cime de ces vieux arbres. Considéré comme sacré et aux nombreuses vertus, appelé la “plante qui guérit tous les maux“, il était déposé dans un linge pour éviter tout contact avec le sol et conserver sa nature aérienne. L’aspect sacral était en réalité associé à celui de ses hôtes, des arbres considérés comme les plus puissants de la forêt, symbole de lumière et de soleil. Le naturaliste P. Deom cite ainsi la fête du gui chez nos ancêtres, “La grande fête gauloise du gui avait lieu chaque année au 6ème jour de la lune qui succède au solstice d’hiver, c’est à dire à une date tournant autour de Noël ou de notre 1er janvier. Un moment pas du tout choisi au hasard : c’est l’époque la plus noire et la plus inquiétante de l’année ; les jours ne semblent jamais cesser de raccourcir, les nuits sont de plus en plus interminables et angoissantes ; […] Pour les Gaulois, de même que le Chêne était la plante du soleil, le gui était l’arbuste de la Lune […].” Pour les Romains, le Gui servait de rituel d’amour. Il était considéré comme plante miraculeuse, un rempart contre les poisons et associé à la chance.

La paix et l’amour en héritage

Dans les pays nordiques, il est lié à la légende du dieu Baldur tué par une lance de Gui et dont la mère éplorée en fait un symbole de paix. Chez les Celtes et les Germains, on devait déposer les armes et négocier si deux adversaires se rencontraient sous le Gui. Cette aura autour de cette plante hors-sol a évolué dans le temps, associée à des formules de vœux et de symbole de fertilité. Ainsi au Moyen-Age, on accrochait des branches de Gui aux poutres, aux berceaux, aux étables et on offrait cette plante avec la formule “Au gui l’an neuf”, puis transformé en “bon an mal an que Dieu soit céans”. Au XIXè siècle, les vœux s’expriment par “Bonne et sainte année, le paradis à la fin de vos jours”, jusqu’à aujourd’hui avec le traditionnel “bonne et heureuse année”. Plus concrètement, notre plante possède des vertus médicinales vantées dès l’Antiquité par Théophraste. Jusqu’au début du Moyen-Âge, il était utilisé comme antispasmodique pour l’épilepsie, les crampes et la nervosité. Puis éclipsé comme remède pendant l’époque médiévale, il retrouve depuis un siècle quelques vertus en phytothérapie (hypertension artérielle par exemple). Cependant, une certaine toxicité peut avoir lieu en lien avec des protéines – les viscotoxines et lectines – présentes surtout  dans les feuilles et les parties aériennes, pouvant entrainer des allergies, les baies translucides restant toxiques pour l’être humain.

En ces périodes de fêtes, pensons à notre Gui, une plante qui s’invite au-dessus de nos têtes, le temps d’un baiser… Malgré son statut de plante parasite, il joue un rôle essentiel pour la nourriture et sert d’abri pour certains oiseaux en période hivernale. Alors bonne et heureuse année avec le Gui, la perle d’hiver !

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Sources :

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bannière baleine sous gravillon