Skip to main content

24 décembre, peu avant minuit des millions d’enfants à travers le monde ont le nez collé à la fenêtre. Ils guettent l’éventuel passage d’un convoi qu’ils ont tant attendu : le Père Noël et son attelage de Rennes.
Si le Père Noël existe sûrement, chez Baleine sous Gravillon, on doute fort de l’existence de Rennes avec cette capacité évolutive. Les seuls mammifères connus pouvant voler étant les chauves-souris. Mais le Renne, que l’on nomme Caribou au Canada, a tout de même plus d’un tour dans sa hotte.

Rangifer tarandus, c’est le nom binominal de cet animal robuste pouvant peser jusqu’à 180 kg. Il vient de l’ancien français rangier, du vieux norrois hreindýri et du grec tarandus qui tous signifient “Renne”. En Europe, notamment en Scandinavie, il se nomme “Renne” ; de l’autre côté de l’Atlantique, il devient “Caribou”. Cette dénomination vient du micmac xalibu, “celui qui gratte le sol”, portrait fidèle de cet ongulé fouilleur de neige. Le mot “Renne”, lui, est issu des langues sames et du terme reino.

Rennes au soleil couchant

Les lointains ancêtres du Renne seraient des petits cervidés apparus il y a 10 ou 14 millions d’années en Eurasie. Leurs descendants se seraient déplacés vers le nord, jusqu’en Béringie, il y a deux millions d’années. L’espèce Rangifer tarandus serait apparue un peu plus tard, vers 1,6 million d’années. Les plus anciens fossiles attribués au genre ont été retrouvés dans entre la Sibérie et l’Alaska, en Béringie. Cependant, contrairement au cheval ou au bœuf, dont on connaît l’arbre “généalogique” depuis le tertiaire, l’origine du Renne porte encore une part de mystère : il semble surgir au Pléistocène moyen, déjà presque identique à celui d’aujourd’hui.

En Europe, on trouve des traces du Renne dès – 600 000 ans, notamment dans la Caune de l’Arago, une grotte située à une cinquantaine de kilomètres de la chaîne des Pyrénées. C’est l’animal le plus chassé par les Hommes du Paléolithique supérieur en Europe occidentale.

Durant les glaciations du Pléistocène, époque des mammouths et rhinocéros laineux, ce cervidé a survécu, prouvant son exceptionnelle capacité d’adaptation aux bouleversements climatiques. Associé au Grand Nord, il a longtemps été présent sur le territoire de la France actuelle, avant d’en disparaître définitivement il y a 10 000 ans environ pour migrer plus au nord.

Après la dernière grande glaciation, les populations de Rennes ont suivi deux trajectoires. La première en Eurasie où l’on compte environ 2,5 à 3 millions d’individus dont un grand nombre ont été semi-domestiquées tandis qu’en Amérique du Nord, les 2,5 millions de Caribous sont restés sauvages. Cette dualité a favorisé l’apparition d’un large éventail de sous-espèces adaptées à des milieux très différents (forêts boréales, toundra, montagnes). Aujourd’hui, on distingue 7 à 11 sous-espèces, regroupées en trois grands lignages génétiques. Deux sous-espèces américaines se sont éteintes au XXᵉ siècle. Cette longue évolution a donné naissance à un animal remarquablement adapté à son environnement, dont les performances méritent qu’on s’y attarde.

Le Renne des neiges

Le Renne est l’ongulé qui a la plus grande distribution autour du pôle Nord. Il vit dans la toundra arctique, dans la taïga subarctique, dans des forêts boréales et fréquente des milieux très divers : montagnes, plaines, forêts…
Il supporte des températures négatives extrêmes : jusqu’à -50°C lors d’hivers polaires particulièrement rudes.

Un renne avec des bois se désaltère
Les Rennes ont de grandes variations de couleurs. Auteur : ©Kjetil Kolbjornsrud.

Pour faire face au froid mordant, le pelage du Renne, qui possède de nombreuses variations de couleurs allant du blanc au noir, est une arme redoutable.
La fourrure du Renne possède deux types de poils. Le poil de bourre, est très dense et peut atteindre une épaisseur de 5 cm. Son rôle est déterminant dans l’isolation thermique. Plus en surface, on trouve les poils de jarre qui peuvent mesurer jusqu’à 7 cm. Chez le Renne, ils présentent une structure particulière. En effet le canal médullaire de ces poils est composé de chambres de formes alvéolaires. Ce sont des zones creuses, délimitées par des structures sèches épithéliales kératinisées.

Elles permettent d’emmagasiner de l’air pour isoler du froid et faciliter la flottaison. Le Renne est le cervidé qui a la plus grande densité de poils par cm². Il possède des glandes sébacées qui lubrifient et imperméabilisent la surface du pelage. L’animal est donc capable de supporter la neige, la pluie ainsi que des eaux glaciales lorsqu’il doit traverser des rivières. 

Pour l’aider dans ses déplacements, le Renne peut s’appuyer sur… ses sabots. En forme de croissants de lune recourbés vers l’intérieur, les sabots du Renne possèdent des bords tranchants. Ce qui lui permet de creuser à la recherche de sa nourriture. Les doigts des sabots peuvent s’écarter jusqu’à doubler la surface d’appui au sol. Cette flexibilité lui permet de marcher sur des sols gelés. Ses sabots secondaires latéraux lui servent à ne pas s’enliser et facilitent la marche dans la neige.

Le Renne possède une autre particularité physiologique : l’hypothermie localisée. Lorsqu’il se déplace sur des sols glacés, les vaisseaux sanguins des pattes se contractent sous l’effet du froid (vasoconstriction). Cela réduit l’apport de chaleur dans ces zones : le Renne conserve alors une température stable. Le corps peut donc être à 37,5 °C alors que la température du bas des pattes peut descendre jusqu’à 0 °C.

Voir clair dans la nuit polaire

Si nous n’avons pas trouvé de littérature concernant les Rennes volants à Noël, le Renne possède cependant une capacité unique au monde.

lichen des rennes
Cladonia rangiferina est une espèce de lichen connue sous le nom de Lichen des Rennes. Auteur : ©Anterovium shutterstock.

Il est en effet le seul mammifère connu à modifier de façon saisonnière la structure de son tapetum lucidum. D’un marron doré en été, les yeux du Renne passent à un bleu profond en hiver. Cette modification a pour but de permettre au Renne de s’adapter à la faible luminosité de l’hiver polaire.
Le tapetum lucidum, généralement présent chez les espèces nocturnes, améliore la perception des contrastes, notamment dans le spectre ultraviolet. C’est cette couche réfléchissante qui donne l’impression que les yeux des chats sont phosphorescents lorsque la nuit, nous les apercevons à la lumière des phares.

Ainsi, les Rennes peuvent plus facilement trouver leur nourriture. Des lichens qui constituent 50 à 80 % de leur alimentation en hiver, puisque ceux-ci réfléchissent les UV au crépuscule. 

Le père Noël prépare son traineau suivit d'un renne de noël
Un mystérieux homme en rouge prépare son attelage. Auteur : ©Altrendo Images.

Par ailleurs ses capacités hors du commun sont encore nombreuses. Il possède une paire de côtes de plus que les autres cervidés qui en possèdent 13. Il est capable de supporter à la fois un déficit hydrique, énergétique et protéique quand les ressources se font rares. De plus, c’est un champion de la migration : certaines populations, notamment les Caribous de toundra, peuvent parcourir jusqu’à 6000 km par an à raison de 55 km par jour. Pouvant atteindre une vitesse de pointe de 70 km/h, il est aussi capable de traverser des lacs et rivières à 6 km/h !

Bref, le Renne possède des adaptations si remarquables qu’elles ont sans doute contribué à nourrir l’imaginaire collectif. 

Enfin, une information biologique concernant les Rennes du Père Noël pourrait nous apporter un éclairage inattendu sur leur identité. En effet, le Renne est la seule espèce de cervidés chez qui mâles et femelles portent des bois. Mais les mâles les perdent au début de l’hiver, tandis que les femelles les conservent jusqu’au printemps : Rudolph et ses compères seraient donc, très probablement… des femelles.

_______

Photographie de couverture : PavProPhotographyLtd

Sources :