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Qu’ils soient rouges, volants, aux dents acérées ou à la mémoire défaillante, les poissons occupent une place de choix au cinéma. Le plus célèbre ? Bruce, le surnom donné au requin mécanique, star du film Les dents de la mer en “hommage” à l’avocat de Spielberg. Le succès du film en 1975 ouvre la voie des blockbusters en eaux troubles. Les profondeurs effraient ou fascinent et ce que l’on fixe sur les bobines en dit long sur l’époque et notre rapport aux créatures aquatiques.

poisson au cinéma, affiche du film le monde du silence

En 1956 Louis Malle et le commandant Cousteau émerveillent des millions de spectateurs avec Le monde du silence. Le film est un succès et remporte une palme d’or puis un Oscar en 1957. A une époque où les ressources marines sont considérées comme inépuisables, ce documentaire fait naître des vocations chez certains spectateurs. Jojo le Mérou, un des protagonistes du documentaire, devient une mascotte. Le public prend conscience de l’existence d’un monde jusque-là inconnu, celui des fonds marins et de ses habitants.

première photo sous marine de l'histoire
Première photographie sous-marine 1893, Louis Boutan

 Aujourd’hui, certaines scènes ou façons de faire feraient bondir n’importe quel spectateur, comme le dynamitage de récifs pour inventorier des espèces. Preuve que notre rapport au vivant et notre conscience écologique ont évolué. Les avancées technologiques, avec l’arrivée à maturité du scaphandre autonome au milieu des années 40, et les progrès en photographie et vidéo sous-marine permettent de découvrir un nouveau monde.

La mer devient un décor, un lieu d’intrigue. Aujourd’hui encore, le thème musical de John williams qui habille Les dents de la mer est un classique. Deux notes résonnent… mi et fa, un ostinato devenu un symbole sonore annonçant un danger .

Du Piranha au pire nanar

Surfant sur le succès des dents de la mer, de nombreuses productions plus ou moins réussies voient le jour. En 1978, Joe Dante se lance dans la réalisation d’un film de série B: Piranhas. Pastiche grossier mais efficace, la dimension parodique du film n’échappe pas à Spielberg. Il offre en 1984 la réalisation de Gremlins à Joe Dante. La boucle est bouclée !

affiche du film les dents d'acier, le requin un poisson de cinema
L’affiche originale des Dents d’acier 1977

La réputation sanglante des poissons au cinéma est grandissante et la critique salue ce premier film. Il obtient le prix du meilleur montage lors de la 6e cérémonie des Saturn Awards en 1979. Suivront un deuxième opus réalisé par James Cameron (Terminator, Avatar), des remakes et même des versions 3D . Dans les années 70/80, les créatures des profondeurs affolent et captivent. On aime faire peur avec des Requins-tigres dans Les Dents d’acier (1977) ou un monstre marin inconnu dans Tentacules (1977). On côtoie la mafia et les Murènes dans Les grands fonds (1977) et on ose le plagiat plus ou moins assumé avec La Mort au large (1981) et Apocalypse dans l’océan rouge (1984).

Tous ces mockbusters n’ont qu’un but, celui de vous faire trembler. Et de rapporter quelques dollars au passage, peu importe la réalité scientifique. Pour Piranha 3D, sorti en 2010, ce ne sont pas moins de 300.000 litres de “sang” qui ont été utilisés lors des 42 jours de tournage. Ce qui propulse le film au rang du plus sanglant de l’histoire du cinéma. Difficile de barboter sereinement après ça. Pourtant la plupart des espèces de Piranhas sont frugivores et phytophages. La seule attaque humaine mortelle documentée date de 1870. Plus de 40 ans après leur tournage, ces films continuent d’alimenter les clichés sur certaines espèces aquatiques.

Ainsi les films de Requins décrivent les squales comme des machines à tuer les humains alors que les attaques, qui plus est mortelles, sont rarissimes. En 2022, Spielberg confiait à la BBC son regret d’avoir participé à la diabolisation des Requins.

 «Je regrette vraiment et encore aujourd’hui ce massacre de la population de requins perpétré à cause du livre et du film. Je le regrette vraiment, vraiment.» 

S.Spielberg

Comme un poisson dans l’eau…

Si dans la majeure partie des productions dont ils sont les héros les poissons représentent un danger pour l’homme, leur rôle est parfois pacifique, voire symbolique.

poisson de cinéma en aquarium
Les poissons clown ont étés victimes du succès de Némo. CC.BT Lexica IA

Les films d’animation en font souvent des personnages attachants. Les poissons y sont joyeux, intrépides et l’océan n’est pas un lieu sombre et glacé. Gang de requins, Ponyo sur la falaise, le monde de Dory, ou la petite sirène donnent à voir des fonds marins hauts en couleurs. Parmi ces succès, Le monde de Némo a lui aussi marqué toute une génération. Fun fact: le requin végétarien du film se nomme Bruce en référence à celui des dents de la mer.

Cependant, le message initial du film, qui montre l’enlèvement d’un jeune poisson de son habitat naturel pour finir dans un aquarium, semble ne pas avoir été entendu. À la suite de sa sortie en 2003, les ventes de poisson clowns ont explosé, entraînant un véritable pillage des récifs coralliens. 

“90 % des poissons marins que l’on trouve dans les magasins ne sont pas nés en captivité. La population des poissons coralliens doit déjà faire face au réchauffement de la température de la mer et à l’acidification de l’océan, liés au réchauffement climatique. La dernière chose dont ils ont besoin, c’est qu’on les enlève des récifs.”

Carmen da Silva, doctorante de l’université de Queensland.
explosion nucléaire dans l'atoll de bikini
explosion nucléaire dans l’atoll de Bikini. 25 juillet 1946.

 À Bikini Bottom, dans Bob l’éponge-le film, les couleurs sont psychédéliques et les personnages loufoques. Sous couvert de divertissement, le créateur de Bob l’éponge, Stephen Hillenburg (qui était professeur de biologie marine) a réussi à faire passer des messages forts sur la protection des océans. Le lieu où il situe l’histoire, l’atoll de Bikini n’est pas anodin. Dans la réalité, il fut l’emplacement de 23 essais d’armes nucléaires pendant la guerre froide.

Lorsque les poissons ne sont pas les héros des films d’animation, ils peuvent être des acolytes au profil humoristique ou servir d’ange gardien au protagoniste. Chez Disney, de nombreux sidekicks arborent écailles ou nageoires. Rappelez vous de Polochon dans la petite sirène, Cléo dans Pinocchio ou encore Doudou le poisson dans Lilo et Stitch.

…Ou dans un bocal.

Les poissons sont un sujet cinématographique de premier ordre, filmés dès la naissance de cette industrie. En 1895, deux courts métrages des frères Lumières Le bocal aux poissons rouges et La pêche aux poissons rouges ont pour objet des poissons et leur bocal.

Des poissons de cinéma rouges et vert dans un aquarium. film en noir et blanc
Les poissons sont les seules touches de couleurs dans cette scène de Rusty James.

Le bocal, qui peut sembler n’être qu’un simple élément de décor, est bien souvent signifiant et jamais là par hasard. Métaphore d’enfermement par excellence, du trouble ou de la folie, l’aquarium et le bocal sont des éléments qui ajoutent à l’intensité de certaines scènes. On le retrouve dans Lilith (1964), Roméo et Juliette (1996) ou encore dans Amélie Poulain (2001) où cette fois c’est l’équilibre mental du poisson lui même qui est questionné.

L’aquarium peut aussi être signe de pouvoir : Le loup de wall street (2013) ou indiquer de manière très claire un besoin de liberté comme dans le film de Francis Ford Coppola Rusty James, dont le titre original est Rumble fish

Parmi les aberrations halieutiques au cinéma, nous pouvons citer le Flétan volant d’Emir Kusturica dans Arizona Dream, sorti en 1993 tout comme le requin-jaguar crée par Wes Anderson en 2003 dans La vie aquatique. Terminons avec “Un gros poisson” et le film de Tim Burton, Big Fish sorti en 2003. Ici un poisson-chat d’une taille hors norme est le symbole d’une transmission entre père et fils.

Animal connu de tous, le poisson représente un tiers des animaux de compagnie en France. Il est cependant rarement pensé en tant qu’individu et est victime de nombreux préjugés. On le considère comme faisant partie d’un tout, d’un stock, d’un banc. Lorsqu’il est seul, c’est au détriment de son bien-être, dans un bocal trop petit ou un aquarium aseptisé. Pourtant, il est au cœur de nombreuses cultures: de la mythologie scandinave à la pop culture, de Pokémon aux estampes japonaises. Aujourd’hui, de nombreuses recherches mettent à mal tout ce qu’on croyait sur les habitants des océans. Le monde du silence semble finalement avoir beaucoup à nous dire.

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Pour écouter l’épisode de PPDP :

https://smartlink.ausha.co/ppdp/s03e17-piranha-2-2-films-de-pire-en-pir-anha-jb-ducourneau

Pour aller plus loin :

L’épisode de Blow up qui parle des poissons au cinéma : https://www.youtube.com/watch?v=qR6UWuQRWwE

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Bannière Baleine sous gravillon hermine dans la neige

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